Affaire Teissier : historique
Présentation par Daniel Filâtre, président de l'Ases (extrait de la Lettre de l'ASES 30 de décembre 2001)
Le 5 avril dernier, Madame Germaine Hanselmann (dite Elisabeth
Teissier), astrologue médiatique très connue, soutient une thèse
de sociologie sur l'épistémologie de l'astrologie à Paris
V Sorbonne. A ce moment, une dynamique s'empare des médias ce qui permet
au public d'apprendre l'événement. A cette occasion, cette doctorante
obtient le garde de docteur en sociologie de l'université de Paris
V et proclame qu'ainsi l'astrologie devient une science sociale et rentre
à l'université après en avoir été chassée.
Très vite, un débat s'instaure. Nous recevons au niveau du secrétariat
de l'ASES des réactions de collègues scandalisés ou inquiets.
Nos collègues Christian Baudelot et Roger Establet publient un papier
dans le Monde le 17 avril. Alain
Bourdin publiera dans Libération
un autre papier défendant une position différente. A ce moment,
par des échanges de courrier électronique, nous sommes persuadés
que cette thèse est problématique au regard de nos principes
et que les propos tenus par cette personne posent un problème sérieux
à notre communauté. Dès le 17 avril, nous commençons
à réfléchir à une réaction et à
envisager une pétition ASES dénonçant les déclarations
d'Elisabeth Teissier et demandant au Président de Paris V de surseoir
à l'attribution du grade de docteur en sociologie dans l'attente d'une
expertise indépendante. Nous adressons ce projet de pétition
aux membres du CA, à quelques autres occupant ou ayant occupé
des positions " institutionnelles " et à quelques collègues
de Paris V. Les réactions sont dans l'ensemble favorables avec quelques
divergences ce qui est normal. Nous refusons de nous attaquer nommément
au directeur de la thèse ou aux membres du jury et le vendredi 20 avril,
nous lançons cette pétition
par le réseau ASES. Les réaction sont rapides. Dès
le 25 avril, nous sommes à plus de 250 signatures.
Pendant ce temps, le débat continue soit dans les journaux, soit à
l'ASES et bien sûr dans d'autres lieux.. Le 30 avril, nous adressons
le texte de la pétition et la liste de ses 300 signataires à
la presse et dans une lettre ouverte au Président de Paris V.
Pendant ce temps, nous avons un débat au sein du CA de l'ASES sur la
suite à donner à la pétition. Doit-on la publier à
nos frais ? Cette pétition est-elle celle de l'ASES ou seulement à
l'initiative de l'ASES. Après analyse plus fine, on constate que sur
les 300 signataires, 55 sont membres de l'ASES. Nous recevons également
des réactions de sociologues universitaires qui adoptent une autre
position que celle que nous avons proposée dans le texte de la pétition.
En clair quatre positions se dégagent :
- ceux qui soutiennent la pétition
- ceux qui en accord avec les prises de positions développées
ont réservé leur engagement tant qu'ils n'avaient pas lu la
thèse en question
- ceux qui ont craint qu'une telle démarche ne soit interprétée
comme une chasse aux sorcières
- d'autres enfin ont considéré que l'humour ou l'ignorance constituaient
une voie plus efficace.
A ce moment là, nous décidons d'ouvrir un site pour informer
ceux qui le désirent et de faire de la rencontre du 12 mai qui devait
porter sur l'évaluation en DEUG un débat ASES, très large
sur cette affaire.
Par la suite, on voit apparaître d'autres articles dans la presse :
ceux du directeur de thèse
et d'un membre du jury, celui de
Jean Copans et celui d'Odile
Piriou. Pendant ce temps, nous avons connaissance du résumé
de cette thèse, édifiant et qui conforte la justesse de
nos positions. Certains collègues commence à lire la thèse
en question. Philippe envisage d'en publier des extraits
sur le site de l'ASES. Enfin, le 6 mai,
le journal Le Monde publie une page sur cette affaire. La stupeur nous
gagne lorsque l'on découvre que le journaliste ne mentionne à
aucun moment notre démarche réduisant l'affaire Teissier à
un débat entre sociologie compréhensive dont Maffesoli serait
le chantre et sociologie rationaliste avec Baudelot et Establet et dénonçant
nos fractures. Nous réagissons vivement par un courrier
adressé au Monde dès le 7 mai, réaction que le journal
n'a pas publiée. Parallèlement, j'ai un échange téléphonique
avec le Président de Paris V, bien embarrassé par cette affaire
mais contraint à ne pas pouvoir s'opposer à l'attribution du
grade de docteur à Madame Hanselman puisque toutes les procédures
ont été respectées et que dans ce cas, le jury reste
souverain. Et bien évidemment, il renvoie la balle dans notre camp.
Cette chronologie n'a d'intérêt que de rappeler à ceux
qui ne l'auraient pas eu, l'essentiel des éléments de cette
affaire. Quel bilan peut-on en tirer ?
Il ne m'appartient pas ici d'en débattre sur le fond. Mais je pense
que nous sortons plus forts de cet événement parce que si l'ASES
a pris plusieurs initiatives en correspondance avec ses missions et son originalité,
elle n'a jamais adopté ici ou ailleurs une politique unique. Nous avons
pris l'initiative d'une pétition visant essentiellement deux choses
: dénoncer une dérive médiatique et des propos inacceptables
d'une part, et d'autre part, mieux évaluer ce qui se passait. Cette
pétition a entraîné de nombreuses discussions, des réactions
vives parfois, des interrogations. Nos messageries électroniques ont
tourné à plein régime! Tout ceci était-il nécessaire
? Ma réponse est oui sans aucune hésitation.
Il eut été inacceptable que nous ne réagissions pas collectivement.
Il eut été tout aussi impensable que nous ne permettions pas
qu'il y ait débat. Certains nous ont condamné de ne pas être
plus vindicatifs. D'autres à l'inverse de pilonner un travail scientifique
sans l'avoir lu. Si l'on relit avec attention le texte de la pétition,
on voit que la position que nous avons adoptée ensemble (au sein du
C.A.) laisse place à beaucoup de réserves et de prudence mais
aussi à des mises en question essentielles. Le texte a recueilli in
fine 400 signatures.
Pourquoi ce débat est-il resté limité à notre
seule communauté ? Il est vrai que nous n'avons pas publié notre
texte et la liste des signataires. Il a été envoyé à
la presse pour information. Mais il n'était pas la position officielle
de l'ASES. J'ai indiqué ci-dessus les positions divergentes de la communauté
des sociologues universitaires français. Nous devions les respecter
et conserver les principes politiques de notre association. A mon sens, l'issue
immédiate de cette affaire a eu lieu lors de notre rencontre-débat
du 17 mai à ParisV (Photos).
La salle était plus comble qu'à l'ordinaire. Beaucoup était
présents. Une légère tension dans l'air due à
la présence non prévue de Michel Mafessoli dont je dois saluer
ici le courage d'avoir accepté ainsi de débattre. Nous avions
choisi deux exposés contadictoires, l'un par Christian Baudelot et
l'autre par Lucien Karpik que je remercie également et dont je salue
la qualité critique. Trois questions cadraient notre rencontre :
- peut-il y avoir de notre part ou d'un groupe d'entre nous condamnation d'un
travail de thèse que des collègues dûment patentés
ont validé en respectant les procédures légales?
- quels arguments peut-on invoquer dans ce cadre ? Détournement scientifique
- écart par rapport à une règle dogmatique - préjudice
à la discipline - remise en cause d'une compétence
- enfin, quelles armes pouvons nous mettre en place collectivement ? Quelles
sont nos capacités de réaction collective et de régulation
?
Impossible là encore de tout restituer et toujours le même regret
de réserver ces débats aux seuls présents. C'est évidemment
tout l'intérêt de La Lettre de l'ASES. C'est aussi la raison
qui me pousse à écrire plus longuement dans ce présent
numéro.
Je soulignerai d'abord la qualité de cette réunion et l'excellente
tenue des propos qui furent très divers, parfois vifs, d'autres fois
plus distanciés. Trois pôles les ont construits.
Le premier autour de la mobilisation, du jugement collectif et des prises
de position à partir de cet évènement. Chance pour notre
discipline ou boite de Pandore qui libère tous les vieux démons,
l'affaire "Teissier " donne à voir l'émergence d'un
espace public autour de la sociologie et des sociologues mais aussi les limites
de notre capacité d'action collective. Le second sur le statut de la
discipline. Débattre de la thèse d'Elisabeth Teissier, c'est
évidemment débattre de ce qu'est aussi la sociologie. Quels
doivent être ses fondements ? Quelles relations vis à vis des
autres approches disciplinaires? Pour certains, la sociologie est apparu comme
le dindon des sciences dures. Pour d'autres, elle serait facilement instrumentalisée.
Le troisième porte sur les normes professionnelles et les écarts
à ces normes. Que doit être une thèse ? Pourquoi si peu
de formalisation quant aux attentes ? Certains ont souligné le rôle
fondamental du CNU et de l'ASES. D'autres ont stigmatisé l'existence
de pratiques publiquement dénoncées et régulièrement
validées. D'autres enfin ont revendiqué l'existence de débats
plus clairs et transparents sur l'évaluation de l'activité scientifique.
C'est à mon sens sur ce chantier à venir que s'est terminé
la rencontre. Et là, nous avions déjà dépassé
l'affaire Teissier.