Contributions

Mail de Jean-paul KRIVINE, Association Française pour Information Scientifique (25/04/01)

Charles Gadéa à Daniel Filatre, Mail du 30/04/01

Petite parodie : Anne Marie Jeay, Nancy 04/05/01

Le hasard, la publicité et la sociologie ou Pitié pour Husserl ! Pierre Tripier 04/05/01

Eloge de la connaissance sociologique par Florence Weber 04/05/01

La véritable histoire de l’astrologue... par Sainte Etique 08/04/01

Protestation auprès du Monde du Président de l'ASES

Contribution de Sandrine Garcia

Michaël Dandrieux,Etudiant chercheur au CEAQ 2 mai 2001

Commentaires de J.Copans sur ...J.Copans ! 8mai 2001

Astrosociologie ? par Christian De Montlibert (28 mai 2001)

Que faire maintenant ? Contribution de Sylvia Faure (5 juin 2001)

Le président de l'Université Paris V, Pierre Daumard, Courrier du Monde du 19 juin 2001

Rapport de soutenance de la thèse d'Elisabeth Teissier

Déclaration commune des présidents de : SFS, ASES, CNU 19e section

" RENÉ-DESCARTES " ET ELISABETH TEISSIER

Depuis le 7 avril, plus personne ne peut ignorer - en raison des nombreux articles qui lui ont été consacrés dans la presse écrite - l'information relative à la soutenance de thèse de doctorat en sociologie par Germaine Hanselmann dite Elisabeth Teissier. Rappelons pour mémoire que son sujet de thèse portait sur " La situation épistémologique de l'astrologie à travers l'ambivalence fascination-rejet dans les sociétés postmodernes ".
Il m'apparaît aujourd'hui nécessaire de m'exprimer sur cette affaire en ma qualité de président de l'université René-Descartes -Paris-V, afin de répondre aux nombreuses protestations qui se sont élevées au sein de la communauté scientifique universitaire.
Je tiens à préciser que la candidate s'est inscrite à l'université René-Descartes dans le strict cadre de la réglementation en vigueur, que le jury de thèse a été régulièrement constitué, que l'ensemble de la pro-cédure a été parfaitement respectée et qu'il ne m'appartient pas de remettre en cause l'appréciation souveraine d'un jury, garant de la validité scientifique de la thèse qui lui a été soumise.
De plus, l'obtention d'un titre de docteur en sociologie ne peut en aucun cas servir à valider l'intervention professionnelle en tant qu'astrologue de Germaine Hanselmann. Il s'agit, en effet, d'un grade universitaire conféré après la soutenance d'une thèse dont le contenu n'engage en rien l'université, à partir du moment où il ne contrevient pas à la loi.
Je déplore que l'intéressée ait cru bon de donner à cette soutenance, contrairement à l'engagement moral pris sur ce point auprès de son directeur de thèse, un caractère hautement médiatique. Il n'en demeure pas moins que cette affaire, Si regrettable soit-elle par les controverses qu'elle a entraînées, ne saurait justifier le faux procès qui s'est développé ces dernières semaines à l'encontre de l'université René-Descartes et de sa supposée " irresponsabilité " et, plus grave encore, à l'égard de la sociologie dans son ensemble.
Fort heureusement, cellle-ci connaît des approches variées et nul ne peut sérieusement contester aujourd'hui que l'astrologie constitue un fait social qui, par l'intérêt qu'il provoque, est devenu, dans différents pays, l'objet d'étude de nombreux chercheurs.
L'émergence d'un débat scientifique ne peut être que positive pour ce champ disciplinaire. La question de la scientificité des propos tenus dans des thèses élaborées dans d'autres champs que celui de la sociologie - psychanalyse, philosophie, théologie - pourrait engendrer des débats tout aussi passionnés.
L'université René-Descartes est certaine que ses étudiants passés, présents et à venir ont conscience que l'université sait allier la rigueur, le respect des procédures et la tradition, de manière à favoriser le débat et la largeur d'idées.

Pierre Daumard, Paris

Retour


Thèse de Mme. Germaine Hanselmann

Le professeur Michel Maffesoli, directeur, prend la parole en premier:

- Nous sommes à la fin d'un long processus de recherche puisque c'est en 1992 qu'il commença, et c'est toujours un vrai plaisir de saluer un travail qui, dans l'ensemble, donne satisfaction.
Il est bon de rappeler le " défi " qui fut celui de cette thèse : faire un travail sur l'astrologie, à partir d'une expérience d'astrologue.

· Je tiens à préciser que, d'un point de vue sociologique, cela n'impliquait, nullement, de justifier cette expérience professionnelle. Neutralité axiologique (Max Weber) oblige, on peut diriger ou faire une thèse sur la musique techno, ou sur le Minitel rose, sans avoir à porter un jugement moral sur ces phénomènes. Ainsi en est-il pour l'astrologie. Pour nous, règle de base: tout fait social peut devenir un fait sociologique, c'est-à-dire être traité selon des méthodes adéquates et devenir objet d'analyse.
Tout cela pour dire que l'obtention d'un doctorat en sociologie ne peut, en rien, légitimer une activité professionnelle, quelle qu'elle soit, dès lors qu'elle n'est pas sociologique.

· Autre précaution préalable, qui peut sembler paradoxale, je vais indiquer, en tant que directeur, pourquoi cette thèse, qui se situe dans la moyenne des thèses soutenues dans notre université me semble être honorable, alors que je ne partage pas un de ses points essentiels. En effet, pour moi, l'astrologie ne me paraît en rien scientifique.
Nous avons eu à ce sujet de nombreuses discussions avec la candidate (Mme. Germaine Hanselmann), et je n'ai jamais caché mon sentiment. Tout en la laissant bien en faire état et s'employer à le démontrer.
En tout cas, et c'est fondamentalement cela qu'on attend d'un travail universitaire, le débat est " posé ".

Mais, en résumé: on ne peut pas se servir de cette thèse dans des discussions extra-universitaires, médiatiques en particulier, et la scientificité de l'astrologie n'est pas de mise.

· Reste " l'objet " thèse que nous avons, ici, à juger.

- D'un point de vue formel tout d'abord.
-
C'est un travail conséquent de presque 900 pages. L'écriture est élégante, le style soigné. Et cela mérite d'être souligné.
Il y a un index nominatif, un index thématique, des annexes (un glossaire en particulier) et surtout une importante bibliographie, comportant près de 600 titres.
L'ensemble témoigne d'un travail conséquent, qui en fait un outil documentaire d'importance pour les chercheurs concernés par le sujet et pour le public cultivé intéressé par cette thématique.

- Je précise également que le plan est cohérent. Il est bien annoncé et suivi dans les grandes lignes.
En résumé:
- La problématique, avec son aspect épistémologique. La méthodologie précisant les outils utilisés. L'analyse du système astrologique (ch. 3), comprenant une mise en perspective historique. Le postulat de la sympathie universelle (ch. 4), La fascination qu'exercent les astres (ch. 5). Et les médias comme " épicentre " de l'ambivalence fascination-rejet (ch. 6), ambivalence qui est le point nodal de ce travail.

· Quant à la thèse elle-même. Il est, bien sûr, impossible de relever toutes les pistes qui sont développées. Je ne soulignerai que l'intérêt de quelques unes. Choix partiel et donc partial.

- J'ai dit l'aspect honorable de la thèse. En particulier, parce qu'elle fait une sorte de bilan de la réflexion de la candidate. On peut d'ailleurs espérer que sur cette base, le travail d'approfondissement, par d'autres chercheurs, se poursuivra.
Dans cette perspective, je voudrais insister sur la dimension épistémologico-méthodologique Si bien mise en oeuvre. Celle de la sociologie compréhensive et de l'implication.

- La perspective est fort simple. La " compréhension " n'a pas une connotation morale, mais insiste, surtout, sur le fait que, pour paraphraser le logicien P. Feyerabend, " tout est bon " à analyser. En la matière, la vie sociale n'est pas, simplement, déterminée par l'économique, le politique ou le culturel, mais est le résultat d'une sédimentation de toutes petites choses. Quand rien n'est important, tout a de l'importance. Toute l'école phénoménologique (Peter Berger, T. Luckmann, A. Schütz) s'emploie à montrer que la " construction sociale de la réalité ". est faite, justement, d'interconnexion, de conjonction de faits, d'idées, de croyances et de phénomènes, fussent-ils idéels.

4.1.2 - La subjectivité du chercheur rentre dans un tel " tricotage ". C'est cela l'implication. En être conscient permet de la maîtriser. Mieux même, on peut en faire une force. Sociologie du dedans, en quelque sorte.
Le Minitel, l'audiotel (page 299), le courrier des lecteurs (p. 304), dans tout cela il y a une charge personnelle que la candidate sait utiliser avec profit. Les exemples données par le courrier des lecteurs en particulier font état d'un matériel quasi ethnographique, du plus grand intérêt. " L'interprétation qui en est faite (page 98) est réussie.
- La piste, à mon sens, la plus importante, est ce qui a trait à la croyance. Celle-ci est nommée de diverses manières.
Là encore, l'utilisation des classiques de la sociologie est bien venue. Je ne peux pas tout relever. Mais par exemple (page 16) Durkheim et les " représentations collectives ", P. Berger et " la relation entre la pensée humaine et le contexte dans lequel elle surgit " (p. 10), l'importance de l'intersubjectivité, bien analysée par Schütz (p. 15). Tout cela fait bien ressortir en quoi l'astrologie peut être un élément du lien social. " Communauté astrologique " (p. 14) est-il dit. L'expression est heureuse en ce qu'elle met l'accent sur la dimension " affectuelle ", voire la dimension de " reliance " qui est celle du " non-logique " pour comprendre tout fait social.
À cet égard, je souligne que cette expression de Pareto, que la thèse étaye par les analyses de notre collègue Bernard Valade, s'applique particulièrement au fait social astrologique. Les histoires humaines montrent bien, justement, comment les émotions, les affects ont une fonction fortement agrégative.
La démarche empirique de la candidate, démarche guidée par son matériel, fait bien ressortir ce phénomène d'attraction affectuelle.

- Je ne peux pas ne pas souligner, ici, en liaison avec ce qui vient d'être dit, l'importance du symbolique. " L'astrologie se situe à la frange entre le concept et l'image " (p. 211). Heureuse formule de G.H., qui est bien dans la lignée des maîtres en la matière. Par exemple, C.G. Jung :" L'astrologie consiste en configurations symboliques comme l'inconscient collectif " (p. 106). Ou encore Gilbert Durand: " Le symbole nous dévoile un monde et la symbolique phénoménologique explicite ce monde, qui - aux antipodes du monde de la science - est cependant éthiquement primordiale ".

On voit bien là comment la symbolique de l'astrologie, et c'est cela qui, d'un point de vue sociologique, m'intéresse, est une sorte " d'ethos ", de ciment, de " liant ", d'attraction unissant ceux qui, plus ou moins, en partagent la croyance. " Croyance clignotante " rappelle Edgar Morin, dont la recherche sur le sujet est souvent citée, mais croyance qui, à côté d'autres, est un facteur de liaison, de lien social.
Certes, on peut s'en moquer. Mais des midinettes aux hommes politiques, en passant par toutes les couches de la population, cette thèse rappelle, à bon escient, comment " l'irréel peut permettre de comprendre le réel " (Max Weber). Nous sommes ici renvoyés à l'efficace de l'imaginaire qui, de plus en plus, est analysé par les sociologues.

Pour ce qui concerne les critiques:

- Cela peut paraître paradoxal, mais souvent un livre ou une thèse " dit " autre chose que ce qu'a voulu démontrer l'auteur. En la matière, il me semble que, quoiqu'il soit souvent affirmé, le terme scientifique est souvent relativisé, dans la thèse elle-même, par d'autres expressions, qui sont peut-être plus pertinentes.

L'utilisation de termes tels que l'analogie, la correspondance (dans le sens baudelairien), la référence à Bachelard (" le zodiaque est le test de Rorschach de l'humanité enfant ", p. 234), tout cela met l'accent sur le fait que l'astrologie plus qu'une soit-disant science est avant tout un système socioculturel, cause et effet d'une expérience sociétale.
Ainsi que le souligne Edgar Morin: " cette astro-logique est... une ana-logique " (p. 271).
À cet égard, le recours très fréquent à " l'art royal des astres " rend bien compte de l'essence de ce système socioculturel qu'est l'astrologie. Système rendant compte des mécanismes d'interdépendance (p. 66).
Il s'agit d'une expérience sociale, qui s'exprime de diverses manières, et, de plus en plus, dans la post-modernité. Elle doit être prise en compte. Cette thèse y contribue.

· Je souligne, également, quelques faiblesses, perceptibles en particulier, dans le chapitre VI sur les médias. Peut-être aurait-il fallu le placer en annexe, comme illustration. Le ton et le style en sont un peu cavaliers. L'ensemble n'emporte pas l'adhésion, on a l'impression, par son aspect polémique, que la sérénité universitaire laisse place à la passion professionnelle, voire médiatique ! Dans ce chapitre, on est proche de l'apologie de l'astrologie, ce qui est en contradiction avec le reste de la thèse et son intention essentielle.
On peut aussi noter que certaines citations utilisées sont quelque peu " sollicitées ", et parfois prises à contre-sens, ce qui fragilise la démonstration.

· Je n'ai insisté que sur quelques points de cette thèse pour en montrer l'intérêt. Elle prête à discussion, ce qui est, justement, le propre de toute démarche intellectuelle. Elle force, en tout cas, à porter l'attention savante sur ce qui est nommé un " mythe coriace " (Roger Bastide, p. 623), et c'est heureux.
Il n'est pas question d'être ou non convaincu par l'astrologie, mais de reconnaître, qu a côté d'autres représentations ou croyances sociales, elle peut exercer, à la fois, " un attrait magnétique " ou un " refus horrifié " (Adorno, p. 7) et dès lors mérite d'être étudiée. En particulier par son aspect documentaire cette thèse apporte une contribution à cette étude.

C'est ensuite au tour de Mme. Françoise Bonardel d'intervenir:

Elle dit retenir l'exemple de M. Foucault - souvent cité dans cette thèse - chaque fois qu'une question à première vue dérangeante se présente à l'appréciation d'universitaires invités à faire montre à son propos de probité intellectuelle autant que d'ouverture d'esprit. Elle a donc lu, puis entendu Mme. Hanselmann, avec cet intérêt tout particulier que l'on porte à un effort de parler vrai, à juste distance de l'opinion publique et d'un discours qui, à force de se vouloir " scientifique ", finit par n'être plus que déni du réel et langue de bois académique. C'est en tout cas dans cet espace mental que lui a paru évoluer avec lucidité et dextérité la candidate, forte de son expérience professionnelle dans les milieux sociaux les plus divers, mais aussi d'une culture qu'on ne lui aurait sans doute pas prêtée au premier abord: la substantielle bibliographie de 538 titres accompagnant la thèse en témoigne, même Si les noms de Festugière (à propos de l'astrologie antique), des docteurs Allendy et Michaud, de Peuckert... auraient été les bienvenus parmi les auteurs cités. Mme. Hanselmann-Teissier sait à l'évidence de quoi elle parle, tant en ce qui concerne les fondements de l'astrologie traditionnelle (chap. 3), clairement distinguée des contrefaçons qui occupent souvent à sa place la scène sociale, que l'ambivalence des sociétés post-modernes à l'égard de l'art royal des astres. De tout cela, elle parle avec talent, distance ironique ou amusée lorsqu'il convient, force de conviction la plupart du temps.
On ne saurait donc lui contester le choix d'un tel sujet - parfaitement justifié par l'observation des faits sociaux actuels - ni celui d'une méthode à juste titre inspirée par la sociologie " compréhensive " de l'école de M. Weber et G. Simmel. En tant que philosophe, F. Bonardel dit toutefois regretter qu'aient été un peu vite assimilées démarche compréhensive (au sens large du terme) et phénoménologie, requérant une méthode et des instruments conceptuels plus précis; regretter aussi que les différentes formes d'expérience auxquelles il est fait référence dans ce travail n'aient pas été mieux distinguées et analysées. Ce flottement terminologique et méthodologique, sensible dans la structure même du plan, ne remet cependant pas en cause la démarche heuristique elle-même, ni l'effort de distanciation critique de la candidate tout au long de cet imposant périple de quelques 900 pages auxquelles viennent s'ajouter bibliographie, index rerum et nominum, Annexe et Figures. Astrologue certes - qui pourrait l'ignorer ? - elle évite de céder à la dangereuse mimesis qui l'eût portée à s'identifier au fait social dont elle a fait l'objet de son étude. Ce distancement l'a d'ailleurs conduite à placer en Annexe la quarantaine de pages, au demeurant fort intéressantes, relatives aux " preuves irréfutables en faveur de l'influence planétaire ".
L'astrologie apparaît au fil des pages comme l'une de ces " cohérences aventureuses " chères à R. Caillois, dont le paradigme traditionnel fait indirectement ressortir l'ambivalence des sociétés post-modernes, oscillant à son propos entre attraction et répulsion. La candidate souligne avec raison " l'incongruité méthodologique et didactique du refus de l'expérience " (p. 742), et l'on ne saurait lui refuser le droit de s'interroger d'autre part sur la véritable nature d'un rationalisme (p. 630) courant le risque de devenir à son tour " sectaire " en reniant ainsi l'une de ses exigences heuristiques fondamentales. On est donc porté à l'entendre lorsqu'elle reconnaît à l'astrologie " des possibilités maïeutiques considérables " (p. 350), et lorsqu'elle affirme que l'astrologie pourrait, en tant que science conjecturale, " élargir grandement notre spectre de la condition humaine " (p. 344). C'est même là un des aspects les plus attachants de son propos que de vouloir restituer à la condition humaine toute son amplitude au moment où la question de l'interdépendance universelle fait figure de réalité incontournable tant au plan économique que social et spirituel. N'est-ce pas d'autre part le but de toute " compréhension " véritable?
Il s'agissait pourtant moins de justifier le retour en force de l'astrologie sur la scène sociale actuelle, que d'émettre et vérifier une hypothèse: que l'ambivalence attraction/répulsion ici étudiée - à partir de documents de première main, faut-il préciser - puisse être elle-même imputable à l'absence de paradigme scientifique susceptible d'accueillir le paradigme astrologique, comme c'était le cas dans les sociétés dites " traditionnelles ". Dans ce vide épistémologique s'engouffreraient alors attractions irraisonnées et répulsions inconsidérées; et la candidate de montrer qu'il convient peut-être de refaire de ce vide un véritable " bassin sémantique " - au sens où l'entend G. Durand - à défaut duquel l'écart pourrait bien se creuser de façon inquiétante entre des phénomènes de masse de plus en plus ambivalents et erratiques (irrationnels, donc), et des théories que leur scientificité même rend inaccessibles au grand public qui n'y trouve de surcroît aucune réponse à ses préoccupations existentielles et spirituelles. Il aurait de ce point de vue été très instructif de savoir Si les observations ici présentées sont également valables pour d'autres pays: l'Allemagne par exemple, ou la Suisse, que Mme. Hanselmann, parfaitement bilingue, connaît bien.
Des six volumineux chapitres constituant cette thèse, c'est paradoxalement le quatrième consacré au " postulat de la sympathie universelle, fondement de la pratique astrologique ", qui est le moins abouti, le plus décousu et hâtif. F. Bonardel dit s'être interrogée à ce sujet, supposant que la candidate, que l'on ne peut soupçonner d'ignorer ce dont elle parle, s'est laissé déborder par l'ampleur de la question, par la multiplicité des références exigibles dans une thèse d'Université, et peut-être par le décalage entre sa pratique de l'analogie, requérant le secours permanent de l'intuition, et un mode d'exposition nécessairement didactique; comme Si cette loi d'analogie lui était devenue familière, qu'il ne lui était plus nécessaire de la mettre en mots, ni de se référer à quelques grands classiques: Porta, Crollius, Paracelse, Corneille Agrippa... Les pages consacrées àla critique d'Adorno (574 suiv.) - penseur pourtant difficile - sont par contre remarquables de finesse analytique et d'intelligence critique, comme chaque fois d'ailleurs que la candidate s'attaque à une question bien circonscrite.
N'étant pas sociologue, F. Bonardel dit vouloir au final questionner Mme. Hanselmann sur quelques-unes des implications philosophiques de son propos dont l'intérêt est par exemple de montrer combien sont au plan social incertaines, changeantes, les limites du rationnel et de ce que l'on nomme alors par opposition, mais toutes nuances disparues, l'irrationnel. Ce travail montre aussi indirectement - à travers les réactions des médias en particulier - comment la rationalité supposée peut à tout moment se retourner en son contraire et s'éclipser - comme l'avait déjà démontré Horkheimer dans Éclipse de la raison -' et cela jusqu'à devenir déraisonnable face à tel ou tel fait social incontournable. À cet égard, l'effort constant de " compréhension " déployé par la candidate montre qu'elle se recommande de paradigmes plus ouverts et novateurs que ceux légués par l'Aufklärung, et non qu'elle renonce à être rationaliste. Ce qu'elle dit par ailleurs du caractère amoral de l'astrologie - évoluant par delà bien et mal, comme aurait pu dire Nietzsche - laisse aussi penser que nos contemporains cherchent peut-être aussi, par delà leur ambivalence actuelle à l'égard des pratiques traditionnelles, un autre type d'unité, de mesure, que celui imposé par une rationalité demeurée trop étroitement calculatrice.
Aussi l'astrologie est-elle à plusieurs reprises définie comme " la science de la qualité du temps " (pp. 112, 260, 415), et l'homme dès lors envisagé comme un " être de saison " au moins autant que de raison. C'est de cette temporalité que parlait par exemple Paracelse dans un texte fameux, et qui eût été bienvenu à l'appui de l'argumentation: " chaque point du temps apporte avec lui sa vertu et sa force propres... " (Von den natürlichen Wassern). Réservée quant au rapprochement effectué entre ce type de temporalité et la durée bergsonnienne, F. Bonardel demande surtout à Madame Hanselmann Si elle croit avoir suffisamment montré pourquoi l'ambivalence attraction/rejet interdit justement tout accès à ce vécu temporel, tout autant que l'opposition tranchée entre déterminisme strict et libre arbitre. Il y aurait donc là toute une pédagogie sociale de la temporalité à développer, tout un réapprentissage de la juste mesure temporelle - du " moment opportun " aussi - dont ce travail montre indirectement l'absence dans nos sociétés inféodées à la seule chronologie ou livrées aux mirages de l'intemporel. S'il s'agit là d'une question culturelle de fond, où est engagé le destin même de l'Occident - comme le dit en d'autres termes Heidegger - alors devraient être plus précisément distingués circularité destinale, cyclicité astrale et Éternel Retour nietzschéen, trop vite amalgamés au nom d'un paradigme réconciliateur valorisant l'interdépendance universelle.

Enfin, Si ce travail n'élude pas l'immense question des rapports, tour à tour tendus et complices, entre astrologie et religion, il ne pouvait non plus lui consacrer davantage d'attention sans risquer de perdre de vue son objet. C'est pourtant la question de la croyance qui est en jeu, au plan social principalement. Évoquant d'ailleurs l'une des étymologies possibles du mot religion (religare: relier), la candidate considère l'astrologie comme une forme privilégiée de reliance sociale dont l'ambivalence actuelle est peut-être une forme détournée et caricaturale de religiosité. Mais doit-on pour autant considérer que la connaissance véridique du savoir astrologique traditionnel - aujourd'hui défiguré tant par le scientisme que par les médias - constituerait un mode d'accès, une initiation au sacré? Est-ce un renouveau religieux - et de quelle nature - qui est en jeu dans l'attraction/répulsion actuelle? L'approche sociologique, dominante tout au long de cette investigation fort bien documentée et raisonnée, ne peut , on le voit, dispenser d'interroger en direction de son ancrage philosophique à propos duquel Madame Hanselmann est invitée à préciser sa pensée.

C'est au tour du Professeur Patrick Tacussel de prendre la parole.

Il s'associe aux commentaires qui ont précédé son intervention, ceux du directeur de thèse, le professeur Michel Maffesoli, et du professeur Françoise Bonardel. Le temps, dont il dispose raisonnablement, l'invite à formuler sept angles d'évaluation, de critique et de discussion que sa contribution écrite au rapport de soutenance de doctorat développe de façon détaillée.

a) Tout d'abord, il expose les qualités et les défauts - sur le plan de la forme - des deux volumes soumis à l'appréciation du jury: 897 pages et deux annexes (dont une p XII à XL, extérieure aux préoccupations des sciences humaines), plus de 530 titres en bibliographie parmi lesquels les ouvrages des fondateurs de la sociologie (E. Durkheim, M. Weber, V. Pareto, G. Simmel, M. Mauss,...) ainsi que des références contemporaines pertinentes (R. A. Nisbet, T. W. Adorno, M. Foucault, E. Morin, G. Balandier, Cl. Lévi-Strauss, G. Durand, M. Eliade,...), deux index (thématique: 122 entrées, 6 pages; des noms cités: plus de 400 personnes). Le professeur P. Tacussel dresse une liste des fautes d'orthographe, patronymes estropiés, erreurs à propos de quelques citations et livres . Cependant, il reconnaît que le travail est construit selon un plan cohérent et suivi, bien écrit, clair, et très acceptable au niveau des exigences requises pour un diplôme de 3~ cycle. Il convient donc de discuter le contenu de la thèse.

b) Le titre de la thèse (Situation épistémologique de l'astrologie à travers l'ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes) engage d'ambitieux registres théoriques et historiques que la sociologie de la connaissance et l'anthropologie culturelle et sociale examinent d'un point de vue idiographique ou bien nomothétique en fonction de la construction méthodologique et épistémologique de l'objet (cf. Wilhelm Windelband, "Geschichte und Naturwissenschaft ", Präludien, t. Il, 9e éd.Tubingen, 1924). A cet égard, la candidate pose la problématique à une hauteur que ne parviennent pas toujours à atteindre les arguments déployés
pour l'éclairer. Le terme ambivalence mentionné dans l'intitulé, traduit un effort de la conscience pour surmonter le fait que la production des connaissances scientifiques opère toujours en réaction au " croyable disponible d'une époque ", pour reprendre une formule de Paul Ricoeur (Du texte à l'action, Il, p. 390, Paris Seuil, 1986). Dans le cas de l'astrologie, les chapitres III et IV de la thèse (p. 94 à 272) confirment cette hypothèse. Le professeur P. Tacussel regrette que les travaux de Pierre Duhem, sur l'histoire des doctrines cosmologiques, n'aient pas été sollicités afin d'expliquer sur quelles bases la cosmologie a scindé - sur le plan interne de l'approfondissement de l'exploration de l'espace - une relation " implicite " entre l'astronomie et l'astrologie à laquelle la modernité viendra mettre fin, tant à l'intérieur du contexte idéologique général de légitimation du savoir qu'à travers les institutions établies à cet effet. Selon lui, la dimension théologico-politique de cette fracture mérite une attention moins allusive que celle exprimée dans plusieurs passages de la thèse.

c) La situation épistémologique de l'astrologie, exposée par la candidate, repose essentiellement sur les thèses philosophiques de Raymond Abellio qui défend l'idée selon laquelle la distinction entre l'organique et l'inorganique, le naturel et l'artificiel, le céleste et le mondain, le symbolique et le matériel, qui ressortit à une vision rationaliste naïve, à un scientisme daté, se retrouve abolie dans une vision transcendantale. Il n'est pas faux d'établir un parallèle entre cette conception du monde et une forme émergente de l'esprit du temps, comme le New Age (chap. V, Il, p. 464 à544). Par contre, il lui paraît trop hardi de voir dans cette vision les promesses d'une refondation épistémologique qui associerait certains développements des sciences de l'homme et de la société et diverses prises de position de scientifiques animés par une quête spirituelle. Il observe que cette perspective demeure, en définitive, contradictoire avec celle des théoriciens de la postmodernité. En effet, pour ces derniers, le conflit des rationalités (politiques, économiques, scientifiques,...) jusqu'alors arbitré par les philosophies de l'Histoire et du Progrès, a abouti à un affaiblissement ontologique dans leur prétention à imposer des modèles d'explication et d'anticipation des rapports de l'homme et de son environnement social, naturel,... (cf. J. F. Lyotard, La condition postmoderne, Paris, Minuit, 1979), et à un déplacement observable des dispositifs institutionnels, où se nouent les relations entre les savoirs rationnels et le " croire collectif ". Une lecture serrée des dix-sept ouvrages (essais, romans,...) de R. Abellio, notamment La structure absolue. Essai de phénoménologie génétique, Paris, Gallimard, 1965, ne permettent pas de conclure à un rapprochement paradigmatique entre les postmodernes, voire avec les perspectives d'Edgar Morin sur la complexité - qui propose un dépassement de la dialectique déterminisme/indétermination. Reste à savoir Si la nébuleuse, qui englobe la sensibilité postmoderne, laisse percer quelques échos avec des réflexions de l'auteur de Vers un nouveau prophétisme, Paris, Gallimard, 1950. La question n'est pas sans intérêt du point de vue de la sociologie des idéologies.

d) Le professeur P. Tacussel signale que l'interdiction de l'astrologie en 1666 (?), par Colbert -cf. Tome 1, p. 186 - mérite une analyse plus documentée sur le plan de la sociologie historique, afin de cerner la situation politique, sociale et culturelle du pays, à travers, par exemple les écrits, pamphlets, mémoires qui mettent en relief des rapports de force et des jeux de pouvoir à la Cour et dans les grands corps de la monarchie (noblesse, Eglise) ainsi que les batailles menées alors par la bourgeoisie cultivée contre l'assujettissement des consciences. Pour le professeur P. Tacussel, le fameux décret de Colbert interdisant l'astrologie, introuvable, n'a peut-être jamais existé comme l'affirmait René-Guy Fabrice Guérin dans la thèse qu'il a soutenue le 22.03.1997 (L'astrologie au XVIIe siècle. Etude sur la pratique des horoscopes, notamment à travers ceux du Roi-Soleil, 512 p., EPHE). Il se demande Si l'astrologie n'a pas été écartée de l'enseignement officiel pour des motifs assez extérieurs aux impératifs intrinsèques qui commandaient l'affirmation d'une épistémé rationaliste, annonçant le proche triomphe des Lumières. Même Si le tableau que peint la candidate des cadres culturels de consolidation philosophique de la Raison (auteurs, universités, acteurs politiques et idéologiques) est éloquent, il convient d'enquêter davantage.

e) Le chapitre V (p.273 à 463) ne manque pas d'intérêt. La partie G (p. 434 à 463), sur les relations discrètes entre le pouvoir politique et l'astrologie montre bien le profit documentaire que l'impétrante, impliquée dans une pratique sociale, peut tirer d'une expérience personnelle unique. Selon P. Tacussel, la candidate aurait pu conduire son analyse autour de la consécration de l'occulte à l'intérieur des formes de la domination légale à direction administrative bureaucratique (cf. Max Weber, Economie et Société, Tome I, trad. Franç. P. 223-231, Paris, Plon, 1971) . Plusieurs interventions ou actes de F. Mitterrand, durant ses deux septennats (la cérémonie au Panthéon, etc.) et d'autres chefs d'État de régime démocratique, participent d'une cohérence symbolique qui n'exclut pas un affichage public avec le surnaturel et ses mystères. La modalité des relations entretenues entre les astrologues et les responsables politiques varie selon la nature, la légitimation et le principe, les règles du pouvoir (dictature, monarchie, république oligarchie totalitaire, etc.): il eût été habile d'étudier ces modalités (comme le suggèrent trop rapidement les pages 195 à 197, sur le cas de K. E. Kraft - auquel A. Hitler réservera un sort aussi funeste qu'à E. J. Hanussen, les élucubrations de Hans Horbiger connues sous le nom de la Wel, et les pages 436 à 452). N'y a-t-il pas dans l'identification d'un grand nombre de dirigeants politiques avec le sacré- dont procède le recours à la lecture astrale du destin - une constante de l'autorité, quelles qu'en soient les figures repérables dans les siècles et sur divers continents ? Sur ce point, la thématique de la postmodernité, c'est-à-dire la mise en abîme de la raison classique, devient judicieuse. La critique des thèses de T. W. Adorno (p. 574 à 587) prend place dans ce contexte, il eût été audacieux de les commenter à partir de l'horizon de la fonction utopique (la planification de l'avenir) avec les réflexions d'un autre penseur marxiste, d'une liberté d'esprit remarquable, Ernst Bloch, publiées à la même époque (Le Principe Espérance, Tome III, trad. F. Wuilmart, p. 402 à 406, Paris, NRF,Gallimard, 1991 ou dans La Philosophie de la Renaissance, trad. Franç., p. 60 et 61, Payot, 1974). Charles Fourier n'a-t-il pas exposé une théorie de l'unité universelle, à l'intérieur de laquelle il fait place à l'astrologie et aux horoscopes; au XIXe siècle, l'influence du romantisme sur la critique du monde industriel naissant véhicule des sédiments de la pensée magique, assise sur le jeu des correspondances, de l'analogie (cf. J. W. Goethe, Poésie et Vérité, 1811-1833). Avant lui, le rôle de Tommaso Campanella auprès de Maffeo Barberini (le Pape Urbain VIII), utopiste, astrologue, et défenseur de Galilée, exilé à Paris... inscrivait la naissance du futur roi de France dans l'allégorie du soleil, en hommage au titre de sa célèbre fiction politique.

f) Dans le chapitre VI (" Les médias, épicentre d'une ambivalence éclatante fascination/rejet "), le tableau statistique du sondage de la SOFRES pour Elle (7-13-VI-1980), p. 548, méritait une analyse approfondie. Comment expliquer la réticence devant les horoscopes de certaines catégories socio-professionnelles (agriculteurs, salariés agricoles) ou tranches d'âge, ainsi que le pourcentage toujours plus élevé de femmes en faveur de leur lecture? Le professeur P. Tacussel remarque que les données quantitatives tendent à confirmer qu'il existe, non point une croyance homogène, dans l'astrologie, mais plusieurs types d'"accrochages " socio-culturels au crédit que lui portent des couches assez bien délimitées de la société. Les liens entre l'astrologie et le folklore pourraient fournir des pièces au dossier, à travers les contes, les proverbes, les légendes qui mettent en scène le rôle des planètes dans les traditions oralement transmises. Cependant, dans la mesure où la croyance en l'astrologie est attestée, en de nombreux points du globe et qu'elle se perd dans la nuit des temps, l'hypothèse du dépassement de l'angoisse existentielle de l'homo sapiens coïncidant avec sa structure psychique, constitue une base de rapprochement intéressant entre l'astrologie et la volonté générale de maîtrise du devenir, de soumission au réel inaccompli à du prévisible assuré par des calculs. La candidate n'a pas tort d'insister sur la notion de confiance (cf. G. Simmel) pour évoquer tous les éléments intersubjectifs qui concourent à fondre les mentalités autour d'une réalité dominée par le déchiffrage des arcanes du destin, face à une rationalité " défectueuse ", impuissante à en rendre compte rapidement. Dans ce domaine, les paragraphes D, E, F, (pp. 386 à 434), donnent une idée de l'ampleur du phénomène, sur les dimensions qu'il implique: une posture plus critique eut été bienvenue. Dans le même ordre d'idée, chap. V, paragraphe 5 et 6, (pp. 294 à 299), il eût été équitable de montrer que le changement d'attitude de certains détracteurs de l'astrologie, en proie au doute quant aux résultats de leur entreprise, avait peut-être sa symétrie chez les adeptes et les pratiquants, devenus méfiants ou hostiles à la suite d'une mise à l'épreuve concrète des prévisions portées par cette croyance.

g) La candidate n'a pas tort d'affirmer qu'il existe plusieurs types d'adhésion à l'astrologie. Il existe néanmoins, sur le plan de l'approche anthropologique, un constat sur sa fonction de base: un pont entre le mythe et l'homme, une porte entre histoire universelle et trajet personnel, (la métaphore simmelienne du pont et de la porte, évoquée par la candidate est heureuse), entre la logique et l'analogie, la raison et le mythe. Le livre de Didier Bétourné et Zoé Fachan, Traité d'astrologie comtemporaine. Langage du Zodiaque fondamental Paris, P.U.F., 1990, 318 p., comme son résumé critique par Bernard Sellato (" L'astrologie: une science humaine ? ") dans la revue d'anthropologie, L'Homme, n° 119, juillet-septembre 1991, XXXI (3), pp. 113 à 118, qui entreprend de l'étudier en tant que système cognitif articulé sur une architecture symbolique sur laquelle se projettent les investissements matériels (argent, travail, etc.) et les inquiétudes intimes (santé, famille, amour, etc.) des mortels, n'auraient pas dû être négligés... ainsi que le passage qu'Ibn Khaldun consacre à l'astrologie dans Al-Muqaddima (trad. Vincent Monteil, pp. 526 à541, p. 580, Paris, Sindbad, 1997) également François Chenet " Karma et Astrologie: un aspect inconnu de l'anthropologie indienne ", Diogène, n~ 129, Paris, Gallimard, 1985, (pp. 103 à 129).

En conclusion, le professeur P. Tacussel, tient à souligner que ces remarques n'entament en rien l'intérêt qu'il a porté à la lecture de cette thèse. La conviction affichée par la candidate à défendre son idée de l'astrologie, les écueils et les emportements éloignés du souci de distanciation sur lequel la sociologie et les sciences humaines fondent leur volonté d'objectivation constituent des défauts que l'on rencontre trop souvent dans les thèses de doctorat pour que l'on s'interdise d'apprécier la valeur des pistes de recherche, la formulation des idées théoriques, et un matériau empirique (témoignages; documents, etc.). La transition de " l'invention de soi " à l'histoire de vie, en tant que pratique herméneutique de compréhension sociologique d'une trajectoire existentielle, sollicite un appareillage dont les difficultés internes ne sont pas toujours surmontées par les chercheurs (cf. Christine Delory-Momberger, Les histoires de vie: de l'invention de soi au projet de formation, Paris, Anthropos, 2000, 289 p.). Ce serait faire preuve d'arrogance intellectuelle et de négligence universitaire que de croire: " qu'il n'y a pas de société assez totalement conquise par les puissances de l'abstraction pour que le mythe et les réalités qui lui donnent naissance perdent en elle tout droit et tout pouvoir " (Roger Caillois, Instincts et Société. Essais de sociologie contemporaine, p. 34 Paris, éd. Gonthier, 1964.). On le constate à travers la pénétration de l'astrologie dans certains comportements de la vie économique (études astrologiques de candidatures dans les cabinets de recrutement, pour la Bourse,...), et quotidienne (agences matrimoniales,...).

Le président du jury, Serge Moscovici, conclut:

Quand on examine, même de la façon la plus large et la plus libre de préjugés cette thèse, il est difficile de mettre en doute une intention d'apologie. De prime abord, cela ne choque pas, car c'est le cas de bien des thèses en sciences humaines, surtout lorsqu'elles sont soutenues par des personnes engagées dans une carrière professionnelle. Et pourtant, Si je compare la partie consacrée à l'astrologie avec les autres parties de ce travail, c'est cela qui m'impressionne le moins. Il est à peine besoin de dire qu'on y trouve des arguments déjà connus, des références à des scientifiques auxquels on n'accorde pas dans leur science le statut qui leur est attribué dans votre thèse, et dont les livres sont connus pour leur étrange complicité avec des courants de pensée non scientifique: Capra, Bohm, et ainsi de suite. Si j'essayais de formuler mon sentiment sur leur pensée, je dirais que ce sont des syncrétiques.

De toute manière, le problème qui se pose aux astrologues aujourd'hui et qui se posait aux astrologues du passé, c'est de se situer dans l'espace de la connaissance. Ils doivent avoir le courage de dire que cet espace n'est pas celui de la science. Pour deux raisons évidentes. D'un côté, les sciences modernes sont un produit historique dont l'autonomie date du milieu du XIXème siècle. Et toute remontée à une tradition plus ancienne relève de l'anachronisme. De l'autre côté, elles ont justement éliminé toutes les traces de magie et leur sens a été, dès le début, selon l'expression de Max Weber, la " démagification " du monde. C'est un fait: nous avons la nausée de notre propre rationalité instrumentale, qui transforme toutes les fins en moyens. Mais ceci ne justifie pas les croyances irrationnelles, ni une science qui le serait. Il faut avoir le courage de reconnaître que l'astrologie est peut-être une forme de magie naturelle telle qu'elle a été définie à la Renaissance, entre autres par Giordano Bruno dont on vient de rééditer le livre sur ce sujet. Reste que ce très grand penseur a écrit un ouvrage contre l'astrologie, tandis que d'autres lui ont manifesté plus de sympathie. Il est possible, sans doute souhaitable, de renoncer à cette entreprise désespérée qui consiste à vouloir inscrire dans l'espace de la science ce qui, par définition, en est exclu. Et considérer qu'il n'y a rien de honteux à dire qu'il s'agit d'être un mage et de pratiquer la magie.
Mais maintenant, il me faut revenir au sujet de votre thèse et à son domaine, la sociologie. L'enquête la plus superficielle sur les faits marquants de notre société soulève une foule de questions. Pourquoi, nous demandons-nous, y a-t-il tant de croyances relatives à l'astrologie, à la chiromancie, aux médecines parallèles, à des objets volants non identifiés, à des thérapies orientales, et à bien d'autres que force nous est de qualifier de magiques ? Pourquoi connaissent-elles une audience extraordinaire à une époque où les sciences et les techniques sont devenues prédominantes dans toutes les sphères de la vie? Et pourquoi l'intérêt ou l'enthousiasme pour leurs explications a-t-il diminué, tandis que l'intérêt et l'enthousiasme pour les croyances " autres " explosaient? Un peu de réflexion nous montre que se posent là des questions largement négligées et qui n'inspirent guère de recherche en psychologie sociale ou en sociologie. Et c'est dommage, car elles seraient bien plus stimulantes, et moins ennuyeuses que nombre de recherches courantes.
C'est pourquoi j 'ai eu de l'intérêt pour votre thèse, car on sait très peu de choses dans ce domaine. Il est vrai que, en un sens, vous vous êtes posé ce genre de questions en abordant le rejet et l'attraction de l'astrologie. Peu importe que vous voyiez une ambiguïté là où je vois un conflit. Il n'est pas difficile d'en trouver la raison. Si donc j'essayais de résumer ce que représente cette thèse à mes yeux, c'est son parcours théorique, la vaste bibliographie qui facilitera le travail d'autres étudiants, la mise à plat d'un domaine peu exploré. C'est là une contribution d'importance. Mais une autre remarque s'impose: la prise de conscience des difficultés et des limites de ce domaine. Plus d'impersonnalité aurait permis de les aborder et de traiter plus à fond les matériaux. Car des relations personnelles et politiques marquent de façon trop évidente l'analyse dans le chapitre consacré aux médias. Et peut-être ailleurs, dans la discussion du livre d'Adorno, la candidate n'était pas obligée de se montrer aussi partiale: il lui était permis de dire ce qui bon lui semblait.
Tout cela, bien entendu, soulève des questions sur les faits qui auraient pu être d'un grand intérêt pour cette thèse et qui sont malheureusement absentes. Par exemple l'alphabétisation astrologique, le fait que, de nos jours, chacun connaît son signe astrologique, se croit défini par lui. C'est quelque chose de neuf et de significatif. Ou encore pour marquer la spécificité de la divination astrologique, il faudrait la comparer avec d'autres méthodes de divination. Faute de quoi nous ne voyons pas très bien l'utilité des résultats que la candidate présente dans ses annexes. C'est une longue, trop longue thèse. Elle demanderait beaucoup de temps pour être décortiquée, débarrassée de sa pelure afin de ne laisser que la pulpe nue. Mes collègues y ont mieux réussi que moi. Juste une remarque: Durkheim a dû se retourner dans sa tombe à cause de certaines exagérations de sa pensée. Les thèses sont donc choses dangereuses, et quel que soit le jugement que l'on porte, celle-ci en fait partie.

À l'issue de chacune de ces interventions la candidate a répondu aux remarques et aux critiques . critiques . Elle a, également, pris notes des erreurs à corriger. Le jury se retire pour délibérer . Il déclare Mme G. Hanselmann digne du titre de docteur en sociologie avec la mention très honorable.

Serge Moscovici

Michel Maffesoli

Françoise Bonardel

Patrick Tacussel

Retour

 

Pour en finir avec " l'affaire Teissier "


Derrière ce qu'après la presse tout le monde appelle " l'affaire Teissier ", il y a, en fait, sinon plusieurs "affaires ", du moins plusieurs questions bien différentes. Trois mois après son déclenchement et les multiples interventions auxquelles elle a donné lieu, ces questions ont trouvé leurs réponses, sauf une. Résumons-les.

Première question : les procédures ont-elles été respectées ? La réponse est oui. Malheureusement oui, diront tous ceux qui, dans la discipline ou l'université, regrettent qu'il n'y ait pas plus de " contrôle " sur le contenu des thèses qui arrivent en soutenance. Mais peut-on éviter que des collègues habilités à diriger des thèses acceptent les sujets les plus " divers " de la part d'étudiants ayant obtenu un Diplôme d'Etudes Approfondies dans la discipline ? Peut-on éviter que se constituent, pour les faire soutenir, des jurys éventuellement composés de collègues habilités, partageant la même conception de leur discipline ? Peut-on invalider des rapports d'autorisation de soutenance qui peuvent apparaître très formels? Peut-on empêcher que ces jurys ne décernent le grade de docteur en sociologie aux candidats ayant rédigé un gros document rempli de références à des auteurs considérés comme relevant de la discipline ? Peut-on imaginer que chaque " cas douteux " fasse l'objet d'uns seconde soutenance de contrôle ? Non, toutes les réponses sont négatives. Ce qui ne signifie pas qu'il n'y ait rien à faire (cf. 4ème question).

Seconde question : le document déposé par Madame Teissier constitue-t-il une thèse de sociologie ? Pour la grande majorité des collègues sociologues qui l'ont lue, la réponse est non. Ce n'est pas un texte qui apporte quelque connaissance que ce soit à l'étude sociologique des conceptions, croyances ou pratiques astrologiques. Même si c'est ce qui est annoncé ou ce que l'on peut espérer en lisant le début de la thèse, ce n'est pas ce qui est fait ou dit, dans le corps du texte. C'est plutôt un ensemble de témoignages, souvenirs, documents sur ce qu'est la pratique et ce que sont les outils, les références et les croyances d'une praticienne. Il est sans doute dommage que des collègues aient pu décerner le grade de docteur en sociologie à quelqu'un n'ayant pas mis en oeuvre, dans sa thèse, les raisonnements, instruments et postures très largement acceptés par la très grande majorité des sociologues en exercice. Mais tout le monde sait que ce n'est pas un cas unique. Chaque année, depuis longtemps, la section " Sociologie et démographie " du Comité National des Universités refuse d'accorder la qualification à des candidats dont la thèse n'apparaît pas (très) sociologique ou (très) " sérieuse ". Il est toujours délicat d'empêcher la soutenance de travaux n'ayant qu'un lointain rapport avec les démarches de la sociologie. En effet, comment annuler des années de " travail " d'un doctorant lorsque son résultat n'est pas conforme aux normes dominantes ?

Troisième question : la soutenance de Madame Hanselmann-Teissier, et son issue, le grade de docteur en sociologie, impliquent-ils une " entrée de l'astrologie à l'université " ? Evidemment non. C'est ici que la médiatisation dont les causes seront peut-être élucidées par ceux qui se pencheront, en historien, sur cette " affaire " a joué à plein. Sans elle, il n'y aurait pas eu d'affaire. Ce que le directeur de thèse, M. Maffesoli, a appelé des " dérapages " et qui consistent, de la part de Madame Teissier, à réhabiliter l'astrologie comme mode de connaissance légitime n'auraient pas suffi à en faire une " affaire ". La presse s' est emparé de ces dérapages pour toute sorte de raisons qu'il ne faut pas réduire trop vite à la volonté de se moquer de l'université et de la sociologie. Une partie des journalistes présents n'avait jamais assisté à une " soutenance de thèse " et a légitimement pensé qu'il s'agissait d'une mascarade. Une autre a été stupéfait d'entendre des bribes de plaidoyer pour l'astrologie. Une dernière s'est justement demandé : que veut dire le fait de décerner un doctorat de sociologie à une candidate développant un tel plaidoyer ? C'est là que gît la dernière question.

Dernière question, donc : que signifie, aujourd'hui, en France, le grade de docteur en sociologie ? C'est à cette question qu'il est difficile de répondre tant que l'existence d'une profession de sociologue n'est pas reconnue. A ce jour, trois voies sont repérables : postuler à des concours de recrutement dans l'enseignement supérieur et les grands organismes publics de recherche (CNRS etc.) ; candidater à l'embauche sur des postes de consultants, conseillers, formateurs, chargés d'études ; justifier la création de cabinets, d'associations, d'entreprises de conseil, formation, études etc. Certes, le titre ne suffit pas. Mais il intervient comme indice de compétence. Qu'est-ce donc que cette compétence du sociologue " formé par la recherche " ? Comment la sanctionner ? Comment la lier à ce grade de docteur en sociologie ? Qu'est-ce qui, aujourd'hui, fait obstacle à ce lien ?

Un des obstacles majeurs est, sans aucun doute, le maintien de pratiques douteuses de direction de thèses, de rapports d'autorisation complaisants, de jurys mondains et de titres décernés sans discernement ou à contre-coeur. Quel universitaire ne connaît pas d'exemple de ce type ? Ce n'est pas la multiplication des contrôles administratifs qui supprimera cet obstacle. C'est la mobilisation collective de tous ceux qui tiennent à ces compétences et qui ont intérêt à ce que le titre de docteur puisse les sanctionner. C'est la constitution et la reconnaissance de la sociologie comme ensemble de compétences forgées dans et par la recherche, une recherche aussi exigeante que toute autre recherche scientifique. C'est le passage, enfin réalisé, d'un exercice solitaire et aveugle, à une préparation au métier de sociologue dans des laboratoires dignes de ce nom, par l'apprentissage de méthodes éprouvées, certes diverses, mais réellement mises en oeuvre.

La sociologie, en France, est à la croisée des chemins. Ou bien, ceux qui se reconnaissent comme sociologues, formés par la recherche (ou mieux se formant continuellement par elle), sauront se doter, grâce à leur action collective dans leurs associations, d'une posture professionnelle et surtout d'un code de déontologie, qui finiront par marginaliser totalement les pratiques qui leur font obstacle. Ou bien, la sociologie restera cet ensemble flou et indéfinissable dans lequel se côtoient le pire et le meilleur. Le moment est peut-être venu d'élaborer collectivement ce code de déontologie qui permettra de mieux cerner ce que les sociologues attendent d'une formation par la recherche, ce qu'ils veulent reconnaître sous le nom de "laboratoire" et quel type de compétences ils souhaitent voir sanctionnées par les thèses de sociologie. Si c'était le cas, " l'affaire Teissier " aurait été très utile.


Claude DUBAR, président de la Société française de sociologie

Daniel FILATRE, président de l'ASES (Association des Sociologues Enseignants du Supérieur)

Jean-Yves TREPOS président de la section Sociologie-Démographie du Comité National des Universités

 

Retour

Mail de Jean-paul KRIVINE, Association Française pour Information Scientifique (25/04/01)

J'ai pris connaissance par l'intermédiaire de Dominique DESJEUX de la pétition de l'ASES. Je suis moi même rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences éditée par l'AFIS (Association Française pour l'Information Scientifique).

(http://www.spsafis.org)

J'ai lu la thèse, et je peux vous confirmer qu'il s'agit d'un plaidoyer pour l'astrologie, pour sa scientificité. C'est à mes yeux un mélange de charabia, d'absurdités et de contrevérité. Je dis cela car on entend bien souvent l'argument "c'est peut-être une thèse de sociologie, Elizabeth Teissier a le droit de soutenir une thèse, même mauvaise". C'est vrai que Elizabeth Teissier a le droit de soutenir une thèse en sociologie. Mais... Ce n'est pas une thèse de socio. Entre le chapitre digne de télé 7 jours sur les bases de l'astrologie, le thème astral de Malraux, l'explication de quelques événements de la vie de Descartes par son thème de naissance, le chapitre sur les "preuves irréfutables en faveur de l'influence des astres", on est horrifié. Il ne s'agit pas à mes yeux, bien que je ne sois pas sociologue moi-même, d'un débat entre sociologue, entre écoles de sociologie. Si Mr Maffesoli ou d'autres membres du jury prétendent le contraire, ils n'ont qu'à donner le texte d'une thèse qui a été soutenue publiquement à consulter à leurs collègues. Ceux qui ont assisté à la soutenance ont pu également juger des "débats". J'y étais. Nous publions dans notre revue compte-rendu détaillé de la soutenance. Ce compte-rendu sera bientôt sur notre site.

Il est vrai que la responsabilité est plus du coté du jury que de l'astrologue.

Nous avons pris la décision de faire examiner par des personnes compétentes le texte de la thèse, sous la responsabilité de Jean Audouze (Directeur du Palais de la découverte), Jean-Claude Pecker (de l'Institut), Jacques Bouveresse, (philosophe et Professeur au Collège de france), Christian Baudelot. D'autres se sont associés. Nous allons procéder à un travail sérieux et rigoureux que nous publierons. Les sociologues ont en premier lieu leur évaluation a porter, mais également, vu le texte, les astronomes, les historiens, et les spécialistes des pseudo-sciences.

Au delà de cette "thèse", il y a bien entendu les prétentions d'Elizabeth Teissier à faire introduire un enseignement d'astrologie à l'université. C'est un autre volet de la protestation. Plusieurs prix Nobel sollicités par Jean-Claude Pecker viennent d'adresser une lettre à Jack Lang. Nous rendrons également compte de ces protestations.

Vous pouvez faire état de ces quelques informations auprès de certains collègues qui pourraient être intéressés. De notre côté, nous comptons évoquer dans notre (modeste) revue le texte de votre pétition.

Bien cordialement

Jean-Paul Krivine

jp.krivine@freessurf.fr

retour

 

Charles Gadéa à Daniel Filatre, Mail du 30/04/01

Je reste, sous réserve d'information supplémentaire, sur ma position de ne pas signer la pétition.

A l'heure actuelle, je ne vois que deux cas de figure :

- il y a ceux qui disent "je ne suis pas sociologue mais j'ai lu la thèse". tel est le cas par exemple de J.P. Krivine ; - et il y a ceux qui disent "je suis sociologue mais je n'ai pas lu la thèse", notamment Bourdin, Baudelot et Establet et beaucoup de collègues.

Je suis prêt à signer des deux mains quand la troisième solution sera possible : celle qui consiste à dire "je suis sociologue et j'ai lu la thèse" (ou des extraits suffisamment probants).

Alors, si je constate effectivement que cette thèse est une tentative d'accréditation universitaire de l'astrologie et non une analyse sociologique des croyances en l'astrologie, il ne fait pas de doute qu'il faut non seulement signer des pétitions mais s'opposer par tous les moyens à l'enregistrement.

Il faut remarquer qu'en sens inverse, tant que ce n'est pas le cas, tant qu'un grand nombre de sociologues n'auront pas la possibilité de montrer, preuves en main, que cette thèse n'aurait jamais dû être soutenue, P. Tacussel (dans Libération) et M. Maffessoli (dans Le Monde) disposent d'un argument puissant pour se poser en victimes.

Il reste qu'à l'heure actuelle, un certain nombre de collègues ont jugé qu'ils disposent d'éléments suffisants pour lancer la pétition ou pour la signer. Peut-être ont-ils eu raison de penser qu'il fallait agir vite. Puisque cela a été fait, quelle que soit par ailleurs ma position personnelle, l'ASES est maintenant engagée, je ne peux que souhaiter que cette initiative réussisse et lui soit profitable et c'est dans cette perspective que je me place.

Nous en sommes à 270 signatures. Il faut compter que certains collègues étaient en vacances, que d'autres n'ont pas de courrier électronique à leur disposition, la diffusion de la pétition sur le site et dans les journaux peut contribuer à augmenter le nombre de signataires, vraisemblablement le cap des 300 sera franchi. Ce chiffre est suffisant pour engager les actions que tu proposes.

Je suggère simplement, à propos du point 6, non pas de préparer un texte avec la SFS, mais d'organiser (peut-être le 12 après-midi?) une rencontre entre les CA de l'ASES, de la SFS et de l'AISLF, les trois associations professionnelles habilitées à parler au nom de la sociologie universitaire.

La discussion pourrait certes déboucher sur un texte commun, mais aussi éventuellement sur d'autres actions (demander un rendez vous au recteur de l'académie de Paris et au ministre de l'éducation nationale) et peut-être, excuse moi de revenir là-dessus, sur la décision de diffuser des extraits de cette thèse qui permettraient à chacun de juger sur pièces et serait de nature, selon toute vraisemblance, à déclencher un raz-de-marée de signatures.

Je fais aussi le voeu qu'au delà du cas particulier de cet incident, une réflexion en profondeur puisse s'instituer, d'une part sur les exigences qu'il faudrait formuler envers les doctorants mais aussi sur leurs droits, leurs conditions de travail, sur la mise en situation d'insertion professionnelle enrichissante et le soutien scientifique qui doivent leur être garantis. Le cas de Teissier/Maffessoli montre combien la complaisance est nuisible, mais il faut aussi qu'on offre aux thésards un encadrement à la hauteur de ce qu'on exige d'eux.

Une réflexion reste également indispensable sur un des points que le thème initialement prévu pour la réunion du 12 devait aborder : le discrédit de la discipline vient aussi, de manière plus insidieuse, sur les notations laxistes qui, dans le contexte de la compensation intermodulaire, font que 90 % ou plus des présents obtiennent leurs examens dès la session de juin, même quand ils ont un très faible niveau dans les enseignements fondamentaux de la discipline.

Voilà où j'en suis.

Amicalement

Charles Gadea

retour

Mail de Anne Marie Jeay, Nancy


Petite parodie
Voyage au pays de l'Utopie Tribale (PUT)
Extrait du Chapitre 5 La misère mondaine
"(Š) Vers 2010, même les intellectuels-citoyens éprouvèrent un malaise croissant, témoin cette lettre parue dans le numéro daté du 1° mai 2010 de l'hebdomadaire Femmes Actuelles
"Ma fille a obtenu sa Maîtrise d'Astrologie et elle va ouvrir son cabinet de consultant. Nous sommes actuellement à la recherche d'un espace commercial pouvant lui convenir.
Mon fils est en stage d'accompagnateur - cosmonaute à Anciennes Frontières. Il a fait un DUT Tourisme après sa Maîtrise d'Astrophysique.
Nous pourrions être une famille unie, heureuse et comblée. J'ai pourtant le sentiment d'avoir raté ma vie quand après avoir épousé un directeur de supermarché je me suis obstinée à devenir Professeur de Sociologie. Depuis quelque mois je me sens incomprise par mon mari et mes deux enfants qui me traitent de "moderne". Je n'ai pas l'impression de mériter une telle ingratitude. Une main secourable viendra t - elle m'extraire de ma déprime post moderne."
Tartinette Bouffée - Gifle sur Yvette
Cette femme est typique de ceux dont les certitudes se sont écroulées et l'emploi envolé au Printemps 2005 quand la Sociologie a perdu son statut de discipline universitaire. Le Ministère de la Recherche Imaginaire statuant sur le sort des sciences décida, alors, que la France se devait de revenir à la Tradition. Bien sûr, des signes avant coureurs permettaient de prévoir cette faillite ainsi Samuel Clash dés 2000 écrivait "Dans le contexte français il est nécessaire de marquer cette différence tant, depuis une vingtaine d'années, les sociologues ont abandonné leur rôle de chercheur (et donc de découvreur - défricheur) au profit du costume de spécialiste dévoué à remplir les contrats que lui sont proposés par toutes les sortes de collectivités publiques aux prises avec différents "problèmes". Le sociologue français générique, de ce fait, ne construit plus de projets de recherche, il se contente de présenter des devis d'intervention." (Money Matters. How State Shapes Sociological Progress. Harvard Cultural review, Sept 2000.)

Chacun aura reconnu ici un hommage à Henri Mendras qui , en 1979, publia aux Editions Actes Sud (Collection Espace-temps) Voyage au Pays de l'Utopie Rustique (PUR) qui se déroule en 2007 et se termine par cette phrase de Montesquieu : "La gravité est le bouclier des sots".

Anne Marie Jeay, Professeur de Sociologie, Responsable de la Maîtrise
Département de Sociologie, Université Nancy 2

retour

 

Le hasard, la publicité et la sociologie ou Pitié pour Husserl !
Pierre Tripier Professeur Emérite

Comme le dit la sagesse populaire le hasard fit bien les choses ce jour là, où prenant mon petit déjeuner de bonne heure, j'écoutais sur France Culture l'Université de tous les savoirs . J'appris ainsi que j'avais assisté au cours de ma vie, sans bien m'en rendre compte, à un changement qualitatif d'importance : le passage de l'esprit moderne à l'esprit post-moderne, lequel se caractérise par l'appartenance de chacun à plusieurs cercles et tribus. Comme cette appartenance multiple est connue depuis avant ma naissance, notamment par les travaux de Wirth et Zorbaugh, et les notations de Simmel et G.H.Mead, je me demandais qui était le collègue ignorant de la littérature ou manquant de sens historique qui découvrait du nouveau là où il y a, au plus, des changements à la marge et, peut-être, de dimension. A 7H. moins trois, Pierre Assouline me donna la réponse : il s'agissait de Michel Maffesoli.
Le hasard voulut que le même jour la livraison du Monde, m'apprit, sous la plume d'Odile Piriou que le même Michel Maffesoli se revendique " d'un contre-courant anti-positiviste plutôt phénoménologique ". Je fais partie de ceux qui considèrent le programme tracé par Husserl pour l'étude des faits de société comme un des plus justes qui soient et je suis d'accord avec M. Nathanson pour considérer la phénoménologie comme une science rigoureuse. Pour moi Husserl a vu son programme appliqué par au moins deux excellents sociologues, Goffman et Garfinkel. Or je n'ai pas vu trace, chez ces auteurs, du moindre discours sur le passage d'un état de la société à l'autre, alors que les positivistes rament encore, eux, pour sortir la sociologie de l'âge métaphysique et sont plutôt enclins à croire en l'existence de mutations historiques brutales.
Est-ce la classification d'Odile Piriou qui est réductrice puisqu' en phénoménologue conséquent Maffesoli devrait s'intéresser aux phénomènes invisibles, car " pris comme naturels ", plutôt qu'à annoncer l'entrée dans un monde nouveau ?
Un autre hasard de l' existence fit que je me trouvais en compagnie de Jose Nun, un des très grands sociologues argentins, directeur de l'Institut d'études avancées de l'Université de Buenos Aires, lors d'une controverse entre partisans d'une nouvelle sociologie du travail, fondée sur l'examen du supposé système productif post-fordiste et ceux qui voulaient maintenir une vision multidisciplinaire et ouverte de l'analyse du travail. Nun se demanda si la sociologie avait intérêt à utiliser les arguments publicitaires.
La publicité dit-il a inventé deux arguments pour faire vendre : c'est bon marché et c'est nouveau. Est-ce que la sociologie, pour conquérir un public doit faire de même ? Doit-on imiter les publicitaires qui expliquent que " les années quatre-vingt c'étaient les années fric, les années quatre-vingt-dix, les années éthiques " comme si l'argent n'avait pas eu d'importance dans les années soixante-dix et la morale dans les années cinquante ?
Evidemment il n'y a pas que le " temps des tribus " qui entre dans cette recherche de collusion entre la sociologie et le message publicitaire. De la fin du travail à la société du risque, que d'essais éphémères pour saisir l'air du temps en se transformant en prophète ! Que d'épiphénomènes convertis, le temps d'une saison, en mutations historiques majeures ! Et -bien sûr- sans consulter d'historien, ce serait une perte de temps.
Mais, à partir du moment où la nouvelle règle du jeu scientifique suppose pour quelques uns cette collusion entre science et publicité, pourquoi ne pas pousser le bouchon plus loin ? J'admire le courage de M. Maffesoli car je suppose qu'il est suffisamment bon tacticien pour savoir que ce qui lui ouvrirait les portes de la renommée médiatique lui sculpterait en même temps l'image sublime du bouc émissaire. Et, s'il est dans la disposition d'esprit que je suppose, c'est au volume de vente de ses livres (c'est pas cher, c'est nouveau, mais c'est abondant) qu'il mesurera les résultats de son action. Et si nous ne nous interrogeons pas sur les relations entre sociologie et prophétisme, des cas Teissier on en verra d'autres.

retour

Eloge de la connaissance sociologique par Florence Weber


Une astrologue, des astronomes, des journalistes, des sociologues. La controverse qui se développe actuellement autour de la thèse d'Elisabeth Teissier révèle à quel point les Lumières s'éloignent, la magie revient, la science s'inquiète. Elle pose surtout, de façon centrale, la question du statut scientifique de la sociologie. Laissons de côté le débat entre astrologie et astronomie : la cause est entendue. De l'aveu même de ses défenseurs, l'astrologie relève de la magie ou de l'irrationnel, de l'analogie et du symbole, en tous cas de croyances concernant les " destinées " humaines. Elle n'a pas de statuts, pas de déontologie professionnelle, mais les astrologues, comme les magiciens analysés par Max Weber, ont des clients qui les paient et vivent, sans doute fort honnêtement, de ce commerce qui n'est pas réprimé par la loi. En face, nul ne conteste le statut scientifique de l'astronomie, attesté par sa technicité, le coût des investissements matériels et le niveau d'études requis, ainsi que par l'idéal de rigueur et d'honnêteté qui unit ses producteurs, amateurs et professionnels, même si la fascination pour les étoiles n'est jamais très éloignée de la cosmologie.

Pourquoi donc une astrologue se fait-elle sociologue, et jusqu'à quel point ? Pourquoi donc les astronomes s'offusqueraient-ils qu'il existe une sociologie de l'astrologie ? Monsieur Maffesoli a parfaitement raison de s'insurger contre le soupçon qui porterait sur un tel " sujet " et de rappeler la vocation de la sociologie : transformer des phénomènes sociaux - la profession d'astrologue, les croyances en l'astrologie - en objets de connaissance. Une sociologie de l'astrologie n'est pas moins légitime, pour un sociologue, qu'une sociologie de l'astronomie.

Le doute commence lorsqu'il s'agit de caractériser la connaissance sociologique : connaissance scientifique ou connaissance ordinaire ? Malgré les propos de Monsieur Maffesoli dans Le Monde, l'institution a tranché à notre place depuis longtemps : lorsqu'il exerce son métier, le sociologue n'est pas un homme ordinaire, mais un savant. Universitaire ou chercheur, il est astreint à des règles institutionnelles et au contrôle de ses pairs. Il a intériorisé une forme particulière d'honnêteté, de prudence et de rigueur qui, même si diffèrent les méthodes, les susceptibilités et les emblèmes, rapproche l'ensemble des savants, toutes disciplines confondues. Rappelons simplement qu'il existe même une " science juridique " et une " science des textes " : parfois les exigences scientifiques sont purement internes - produire un discours cohérent, non contradictoire, comme c'est le cas pour les juristes ; parfois elles vont au-delà, et portent sur une connaissance empirique : rendre compte du " réel ", quelle que soit sa définition (mais nul ne doutera que les croyances des individus ordinaires soient bien réelles). Institutionnellement, les sociologues sont des savants ; quoi qu'on pense du fonctionnement, certes améliorable, des instances d'évaluation professionnelle, elles existent et certifient le respect de certaines exigences, fussent-elles minimales. C'est la définition de ce minimum pour la sociologie qui est ici en jeu. Et c'est aux sociologues qu'il revient de s'en inquiéter, sous le regard vigilant de leurs collègues d'autres disciplines à qui nous avons des comptes à rendre sur notre façon de travailler, de publier, de débattre et de juger.
Ces exigences minimales ne sont pas purement formelles. Le débat concerne l'ensemble des sciences sociales, dans leur dimension descriptive et non normative : la sociologie, mais aussi l'anthropologie, l'histoire, la géographie, l'économie… En quoi ces sciences sont-elles particulières, en quoi diffèrent-elles des sciences de la matière mais aussi des sciences du vivant ? Elles partagent deux difficultés propres. Côté face, nos objets réfléchissent, ils sont des sujets, ils pensent, ils croient, ils connaissent : la sociologie ne peut faire l'économie d'une sociologie de la connaissance ordinaire. Côté pile, la distance entre le scientifique et ses objets doit être sans cesse conquise et reconquise, la sociologie ne peut faire l'économie d'une sociologie de la connaissance scientifique.

Non, Monsieur Maffesoli, la sociologie française n'est pas en retard d'une guerre. Nous ne vous avons pas attendu pour prendre la mesure de ces difficultés propres. Elles rendent plus ardus mais aussi plus nécessaires l'exigence d'objectivité scientifique et les contrôles croisés des spécialistes les uns sur les autres. A l'opposé d'un rationalisme abstrait et dogmatique, cette objectivité se conquiert de haute lutte et ses moyens ne sont pas, ne peuvent pas être routinisés. Rendre compte des croyances, prendre ses distances avec ses propres croyances : c'étaient les objectifs de Durkheim, qu'il se proposait d'atteindre par la rupture avec les pré-notions ; c'étaient les objectifs de Weber, qu'il se proposait d'atteindre par la neutralité axiologique. Aujourd'hui tout ethnographe sait que pour observer les autres ou ses proches il doit se soumettre lui-même à une auto-analyse sociologique, efficace comme outil de rupture et comme moyen de neutralité. Il sait aussi que, sous peine de devenir indigène (ou de le rester), à la nécessaire phase d'empathie doit succéder une distance critique et une vigilance mise en œuvre grâce aux outils d'objectivation classiques de la discipline : statistiques, analyse des discours, observation armée, mise en rapport des pratiques observées avec les discours entendus et avec les positions occupées par les acteurs… Rien de révolutionnaire à tout cela. C'est bien de connaissance rationnelle qu'il s'agit. Mais non de connaissance ordinaire : celle-ci ne s'entoure pas de tant de précautions et se satisfait de raccourcis, d'à-peu-près, d'allusions et d'implicites. Une connaissance rationnelle de l'ordinaire serait-elle donc impossible ?

Non, Monsieur Maffesoli, la sociologie n'est pas ennuyeuse ni abstraite. Elle est exigeante. Elle se doit d'être à la fois cohérente, en prise sur le réel - et vous avez raison, aucun sujet n'est tabou - et distanciée. Votre lyrisme de l'onirique social et de sa richesse risque bien de vous enlever au moins cette troisième qualité, et probablement la première. Mais vous n'avez pas le monopole de la seconde.

Florence Weber, professeur de sociologie et d'anthropologie sociale à l'Ecole normale supérieure, département de Sciences sociales
30 avril 2001


retour

La véritable histoire de l’astrologue qui gravit une colline et en redescendit sociologue

(Considérations inactuelles et pourtant quotidiennes)

Il était une fois une dame ayant souvent tenu la main d’un de ces princes vieillissants qui cherchent leur voie au milieu des astres. Le prince, qui se faisait appeler Dieu, mourut un jour (elle l’avait toujours su, il avait tout de même fini par la croire), mais Nostre Dame ne put se résoudre à la cessation anticipée d’activité : elle avait une Cause à défendre et l’éternité à conquérir. Elle avait pourtant déjà tout, mais, ne fréquentant guère Rimbaud, elle ne savait pas que l’éternité, c’est la mer allée avec le soleil. Elle chercha donc une autre arène pour dérouler son bestiaire. Quoi de mieux que l’Université, se dit-elle. Le désir d’éternité y est présent, sans conteste et nombreux sont ceux qui y tirent des plans sur la comète. Il lui fallut donc se trouver un autre Mentor. Elle le choisit de préférence avec chapeau (c’était là une condition nécessaire pour assurer la jonction avec l’ancien), mais, parmi tous les compossibles, opta sagement pour un modèle sorbonnicole. Elle douta sincèrement tout d’abord que la chose fût à sa portée, mais l’une de ses configurations astrales lui démontra aisément qu’entre mages, on peut toujours s’accommoder des obstacles les plus infranchissables.

Nostre Dame, qui avait bien l’intention de convaincre le maître des vertus de sa science, se demanda un bref instant sous quels auspices elle ferait mieux de se placer. L’illustre sorbonnard avait un jour reçu l’onction sociologique et était habilité à la transmettre. Va donc pour la sociologie, se dit la Dame, qui avait longtemps pensé que cette chose ne se distillait qu’au sein de l’INSEE, jusqu’au jour où elle s’était aperçue que cela se pratiquait presque partout à la télévision (mais pas au Télé-achat constata-t-elle finement ; on lui rétorqua que c’était pour bientôt). Dans la salle d’attente du maître, elle eut l’impression de participer d’un étrange étalage qu’il étiquetait avec un soin jubilatoire et sourcilleux, un rien inquiet tout de même : comme tous les collectionneurs, il connaissait le syndrome de la pièce manquante, mais il balançait très fort entre le lointain écho de la voix de ses maîtres en sociologie (qui lui proposaient de se considérer lui-même " objectivement " comme ladite pièce) et le silence de son psychanalyste, qu’il interprétait comme une invitation à aller vers toujours plus de béance (il faut traiter les choses sociales comme des fèces, disait-il tous les soirs en se mettant au lit).

L’astrologue ne perdit pas la boule et entreprit de noircir des pages et des pages, comme elle savait si bien le faire à Télé-7 jours. Il ne lui fallut pas longtemps pour en voir la fin (à vrai dire, elle l’avait déjà lue dans Descartes, mais elle préféra les arcanes du Grand Michel). Le Grand Maître International lui avait bien précisé qu’il n’était pas nécessaire, pour être sociologue, d’avoir un terrain, des méthodes et autres vieilleries. Quelqu’un lui suggéra tout de même de se recommander aussi, par prudence, d’un noble domaine, aux effectifs douaniers notoirement insuffisants pour veiller aux contrefaçons : l’épistémologie. L’épistémologie, lui dit cette âme charitable, qui connaissait bien le jardinage en terrasses, tout le monde en fait, il suffit juste de changer de niveau et hop, comme disait Cantor, aleph zéro ! Voilà qui est bon, l’épistémologie saurait bien mettre le holà aux prétentions de la sociologie et la rendre comparable à l’astrologie. Nostre Dame, qui riait beaucoup du bon tour qu’elle allait jouer aux sciences sociales, se serait bien contentée de ces cultures en abyme, mais l’avisé sociologue lui conseilla d’ajouter à son marc une once de post-modernité.

Certes, il fallut essuyer quelques tirs de barrage, venus du côté des sciences inhumaines, mais le Mage, qui avait quelque crédit dans la place, obtint facilement les sauf-conduits nécessaires pour forcer le passage. Il trouva opportun (à moins qu’il ne fît de nécessité vertu) de s’adjoindre les services d’un de ses anciens élèves, qui accepta volontiers le rôle de concélébrant. Il faut dire qu’ils étaient déjà depuis fort longtemps frères d’armes et qu’il leur arrivait de se croire compagnons d’infortune. L’histoire ne dit pas comment il parvint à faire embarquer en cette nef un célèbre psychosociologue.

Tout ce beau monde, baignant dans sa société d’admiration mutuelle, examina avec le sérieux qu’il faut l’imposant pavé, auquel il trouva quelque peu à redire, comme il se doit. Un chapitre, dit-on, contiendrait quelques propos indésirables, mais, diantre, pour pas un liard, il faisait entrer le souffle de la passion médiatique dans l’austère enceinte. La une du Monde était assurée et un chapelet de polémique s’ensuivrait. Fluctuat…

On ne vit guère les courageux sociologues s’attarder aux agapes, sauf le vicarial épistémologue, qui, coincé entre l’attirail d’un photographe et le poitrail imposant d’une gendarmesque bourgeoise, ne put trouver à temps la sortie et dut subir les assauts des baveux. Le tout fit bousculade, dont profita honteusement un aigrefin. Ainsi disparut, au fond des chausses d’un manant, l’exemplaire exemplaire de la thèse. Sans attendre, Nostre Dame porta plainte, bien qu’il y eût d’autres versions disponibles dans les caves de l’administration. Nul ne vit plus ce texte (d’ailleurs quelqu’un l’avait-il lu ?), ce qui n’empêcha pas chacun d’en parler doctement et obligea les autres à fourbir, sans délai, leurs armes contre lui. L’indignation gronde : apparemment, la coterie du Maître avait un peu trop vite enterré la sociologie.

C’est ainsi que dans les campagnes se raconte l’histoire de Lizzy l’astrologue, patentée sociologue épistémologue par la grâce de l’illustre Sorbonne. Dieu lui-même n’en est pas revenu.

Sainte Ethique

Pcc Jean-Yves Trépos


retour

L’affaire Teissier, la sociologie et sa " fracture ".
 
Le 5 avril dernier, Madame Elizabeth Teissier, astrologue connue, a soutenu une thèse de sociologie à l’université de Paris V - Sorbonne. Cet événement serait resté anodin sans la dimension médiatique que l’impétrante a souhaité donner à cette soutenance et les propos qu’elle y a tenus. Depuis, les médias et notamment la presse écrite ont consacré commentaires et analyses à cet événement. Plusieurs sociologues ont contribué à alimenter ce débat en leur nom propre, condamnant chacun à leur manière soit la thèse elle-même, soit les propos tenus pendant et après la soutenance, ou bien banalisant l’événement. De leur côté, le directeur de la thèse ainsi qu’un membre du jury, exerçant leur droit de réponse, ont justifié leur démarche et la qualité scientifique de cette thèse.
Dans le même temps, un débat animé s’est instauré au sein de la communauté des sociologues universitaires. Des réactions vives ou indignées, des interrogations, des contestations sont parvenues au secrétariat de l’Association des Sociologues Enseignants du le Supérieur (ASES). Cette association professionnelle qui regroupe près de 40% des sociologues enseignants dans les universités françaises a pris l’initiative de réagir en lançant une pétition dès le 20 avril qui condamne solennellement les propos tenus par Elizabeth Teissier lors de sa soutenance de thèse et demande au Président de l’université de Paris V de surseoir à l’attribution du grade de docteur en sociologie, dans l’attente d’un examen approfondi de la scientificité de ses travaux.
Cette pétition a circulé auprès de l’ensemble de notre communauté universitaire. Beaucoup d’entre nous l’ont signé ; d’autres en accord avec nos prises de positions ont réservé leur engagement tant qu’ils n’avaient pas lu la thèse en question ; d’autres ont craint qu’une telle démarche ne soit interprétée comme une chasse aux sorcières ; certains enfin ont considéré que l’humour ou l’ignorance constituaient une voie plus efficace.
Forts de ce débat que nous avons ouvert et qui se poursuit encore aujourd’hui, nous avons adressé à la presse dès le 30 avril le texte de cette pétition et la liste des 300 sociologues qui l’avaient signée à ce jour. Cette liste impressionnante par le nombre et la qualité de ses signataires confirme le sentiment que nous avions en prenant l’initiative de la lancer. L’affaire " Teissier " en remettant en cause les principes scientifiques,
le sérieux et l'utilité sociale de notre discipline, portent un préjudice grave à l’université, à la sociologie française et à l’ensemble de notre profession.
Dès lors, notre réaction fut vive (c’est peu dire !) à la lecture de l’article sur cette affaire dans Le journal " Le Monde " du 5 mai. En proclamant que la thèse d’Elizabeth Teissier ravive la fracture au sein de la sociologie, l’auteur de l’article Hervé Morin opère une triple erreur : une erreur d’information, une erreur d’interprétation, une erreur d’analyse.
Il nous est apparu choquant de limiter les réactions au seul débat entre quelques sociologues associés aux rationalistes de l’AFIS alors que le journal avait été informé quelques jours auparavant d’une pétition sur cette affaire à l’initiative de l’ASES, association professionnelle de sociologues universitaires et des noms de 300 sociologues signataires.
Mais il nous est apparu également surprenant de voir limiter le débat entre sociologues à deux courants, une forme de sociologie compréhensive comme la pratique de Michel Maffesoli et une sociologie plutôt objectiviste à laquelle Baudelot et Establet se réfèrent dans leur article du Monde. Il serait simpliste et faux de circonscrire ainsi la sociologie. L’extension des recherches en sociologie menées en France comme ailleurs ces 40 dernières années révèle la pluralité de nos approches et de nos conceptions théoriques et méthodologiques. C’est pourquoi il nous paraît souhaitable que la palette des thèses soutenues soit le reflet de cette diversité, mais à une condition : que ces travaux se réfèrent aux principes scientifiques, méthodologiques et épistémologiques communs à notre discipline. Nos critiques ou nos réserves face à la thèse d’Elizabeth Teissier s’opèrent sur ce principe et non sur une querelle d’écoles. En revendiquant lors de sa soutenance ou dans le résumé écrit qu’elle fournit l’accès de l’astrologie au rang de discipline universitaire, elle se situe non dans un courant de la sociologie mais dans le chemin de la contre-vérité scientifique.
Enfin, l’article d’Hervé Morin ne prend pas en compte la réalité des réactions des sociologues face à cette affaire. Une communauté scientifique universitaire n’est jamais vraiment inquiétée par les débats suscités lors d’une soutenance de thèse polémique. Mais l’affaire " Teissier " prend à notre sens une autre dimension. Elle pose publiquement le risque d’utilisation abusive à des fins personnelles et de confusion. Si la sociologie a su occuper dans la société et dans le débat social une place forte et indiscutable, c’est justement parce qu’elle a su s’ériger comme une discipline scientifique reconnue. C’est ce principe que nous revendiquons et que nous transmettons à nos étudiants et à ceux qui font appel à nos connaissances ou à nos expertises. Dans ce sens, la réaction des sociologues est plus que défensive, elle proclame que la sociologie est une affaire sérieuse. Elle réaffirme la triple exigence qui accompagne nos travaux de recherche, discursive, épistémologique et analytique. En ouvrant à ceux qui le désirent la formation à la sociologie, nous nous engageons au maintien de ces principes et à la probité de nos productions scientifiques et de nos analyses. C’est pourquoi l’affaire " Teissier " constitue un préjudice pour l’ensemble de la communauté des sociologues universitaires et de ses étudiants. Mais dans le même temps, par cette prise de conscience, elle nous conduit bien davantage à nous souder qu’à nous diviser !
 
Daniel Filâtre, Professeur de sociologie à l’université de Toulouse 2
Président de l’ASES

Retour

Suite aux différentes interventions des uns et des autres sur la question de l'affaire Tessier, j'ai éprouvé le besoin d'apporter ce que j'espère être une contribution au débat et le sens que peut avoir la signature de la pétition pour quelqu'un qui partage à la fois la volonté des signataires d'aller à l'encontre de l'accréditation de la thèse d'E. Tessier par la communauté et les réserves de ceux qui n'ont pas signé.

Le plus simple d'abord : pourquoi j'ai signé. J'ai signé parce qu'il m'a semblé qu'effectivement la sociologie d'après les éléments apportés par ceux qui sont à l'initiative de la pétition, plus d'autres qui nous ont été transmis, paraissait être utilisée dans ce cas précis pour réhabiliter l'astrologie comme discipline universitaire. Cela m'a paru être une mauvaise idée allant à l'encontre d'un certain nombre de principes méthodologiques fondateurs, rappelés par C. Baudelot dans son article du Monde, que nous essayons tant bien que mal de mettre en œuvre. Reconnaissant personnellement ces principes que j'essaie tant bien que mal de mettre en œuvre, parfois tant bien, parfois tant mal, j'ai signé la pétition. Peut-être qu'une démarche plus scrupuleuse aurait nécessité d'avoir en main la thèse en question, mais je suis dans l'impossibilité de passer du temps à chercher à me procurer cette thèse, donc je me fie à ce qui nous a été transmis.

Mais je ne peux m'empêcher de penser que l'affaire Tessier n'est que la traduction médiatique d'une absence de régulation de la discipline qui, si elle affecte notre "respectabilité" parce que justement elle est médiatique, sévit bien plus quotidiennement sans que nul ne s'en offusque. Plus exactement, cette absence de régulation (ou comme on voudra, la nature des régulations) affecte notre discipline plus que d'autres qui sont également touchés. Et à mon avis, il ne suffit pas d'invoquer le public qui peut venir à nous ou les frasques de tel ou tel individu bien connu et déjà repéré par la communauté sociologique pour l'expliquer. Le "public" (Elisabeth Tessier ou des étudiants de sociologie plus " typiques ") détermine aussi son comportement en fonction du notre. Je vais donc ici prendre quelques points qui me paraissent mériter une réflexion collective sur les usages que l'on peut faire de la sociologie pour la détourner de cette scientificité pluraliste que nous revendiquons et qui de mon point de vue, la discréditent de manière moins médiatique mais tout aussi réelle que l'astrologie :

1) Le rapport que la communauté entretient avec le "public" étudiant : il m'est arrivé très souvent d'entendre des collègues sociologues et enseignants chercheurs comme moi invoquer des motifs tout à fait extra sociologiques et très éloignés de la rupture épistémologique pour valider des prestations d'étudiants qui ne répondaient en rien aux exigences officielles, avec des arguments liés à l'origine sociale. Du style : avec ces étudiants là, on ne peut pas se permettre de, ils viennent d'un milieu populaire, etc… certains allant jusqu'à affirmer (certes jamais publiquement) "surnoter" les étudiants pour les aider à mieux s'en sortir ensuite (du style : " les diplômés sont moins souvent chômeurs que les autres, donc.... "). Ce misérabilisme à l'égard des classes populaires a des effets désastreux à la fois pour la sociologie pour les étudiants : si l'étudiant continue jusqu'en thèse, où parfois il sera accepté parce qu'il faut bien que les DEA "tournent", voilà notre candidat sur "critères sociaux" arrivant sur le marché du recrutement universitaire, en l'état, sans qu'on lui ait donné les chances de s'améliorer en refaisant éventuellement une année. S'il ne va pas jusqu'en thèse, le voilà qui peut se présenter à des concours ou sur le marché du travail sans savoir qu'il a été dupé par les catégories politiques d'un tel évaluateur. Parfois j'ai entendu aussi que tel ou tel type de prestation était bien notée, même insuffisante, parce que l'étudiant "s'était donné tant de mal". La discipline n'est pas mieux servie par de telles pratiques (que par l'astrologie) : après tout, en quoi les critères sociaux ou politiques d'évaluation valent-ils mieux que la mondanité de celle par qui le scandale arrive ? Elles contribuent à en faire une discipline qu'on peut instrumentaliser pour telle ou telle chose. Bien sûr, parfois, ce sont des critères pragmatiques qui pèsent et non pas le populisme que je viens d'évoquer : il faut tant d'étudiants pour que tel diplôme reste ou soit habilité, donc, comme nous le savons tous... Q'importe alors dans certains cas que des étudiants soient très faibles pour entrer en DEA ou en thèse... Qu'importe pour eux, et pour le devenir des étudiants. Sans même parler des renvois d'ascenseur lors des soutenances de thèse... A partir de là... Bien sûr, une plus grande rigueur dans la définition du "droit d'entrée" ne peut tenir uniquement aux pratiques d'évaluation (bien qu'elle passe aussi par là) : elle exige que les pratiques enseignantes soient également auto (mais collectivement) régulées, ce qui passe par une explication des contenus transmis, des exigences attendues à l'égard des étudiants, une analyse même des sujets et des types d'exercices donnés aux étudiants (s'agit-il de leur donner les moyens de maîtriser telle ou telle notion et de choisir des sujets qui les incitent à mobiliser autant qu'à restituer des outils ou les invite-t-on à recracher un cours plus ou moins bien restitué ?). Bref, les exigences qu'on peut avoir à l'égard des étudiants ne se justifient que si de son côté on s'efforce de tout mettre en œuvre pour qu'ils puissent s'approprier les outils et les savoirs. A propos de l'encadrement, j'approuve donc ce que dit Charles Gadea sur certains "devoirs" à l'égard des thésards et autres étudiants.

2) La question des commissions de spécialistes : lors d'un recrutement, j'ai vu et entendu, de la part de personnes qui ont "pignon sur rue" en sociologie et qui n'ont rien d'astrologues, invoquer des arguments de type social pour expliquer ce qu'une partie de la commission dont je faisais partie jugeait comme des bizarreries (de la part du candidat). L'argument selon lequel la personne était née dans les quartiers Nord de Marseille a été émis à cette occasion. Il y avait pourtant dans le dossier de la personne candidate en question de quoi discuter de son recrutement à partir de critères fondateurs de la discipline. Le populisme n'est pas qu'un épiphénomène en sociologie et il ne sévit pas uniquement pour les DEUG. Dans d'autres cas, j'ai vu des gens tout à fait soutenus par la communauté environnante, n'ayant pour leur part jamais fait l'ombre d'une recherche se permettre des comportements vraiment offensants à l'égard de candidats qui dotés eux d'un dossier "normal" (avec une thèse, des recherches, une rupture épistémologique, un terrain empirique, etc.) sans que personne ne s'en émeuve parce qu'il y avait alors en jeu des renvois d'ascenseur (je tolère tes bizarreries sans les approuver, tu m'envoies tes étudiants pour mon DEA qui a besoin d'être habilité, etc.). Il arrive aussi régulièrement que des candidats locaux franchement médiocres soient préférés à des candidats nationaux.

3) La question de l'ajustement entre la recherche et les attentes du champ politique évoquée par Copans dans le Monde : elle est plus vraie dans certains domaines que dans d'autres, mais à mon avis, elle a aussi des effets peut-être pas sur notre respectabilité, mais sur ce que nous produisons. En sociologie de l'éducation, par exemple (mais on pourrait prendre d'autres exemples) cet ajustement délimite étroitement l'espace des questions qu'on se pose de telle sorte qu'un certain nombre d'interrogations sont sous tendues par les contraintes posées par le champ politique : Un peu d'ironie : comment par exemple lutter contre l'échec scolaire (étant entendu que cette lutte pour des raisons économiques, ne doit pas engager de moyens importants parce que nous sommes dans une période de restriction et qu'il vaut mieux chercher des moyens pédagogiques "gratuits") alors que les "experts" affirment que la réduction du nombre d'élève par classe "'n'est pas décisive" sauf à être radicale ? Dans ce sous espace, les questions et réponses institutionnelles ne sont que rarement mises en question sociologiquement (comme le sont les pratiques pédagogiques), surtout si le pouvoir politique est de gauche, il faut bien le dire.

Si on me dit que tout cela ne constitue que des cas particuliers liés à mon expérience singulière, je répondrais que mes échanges avec la communauté des sociologues ne se sont pas limités jusqu'alors à des collègues locaux. Et si personne ne reconnaît rien dans les éléments
développés ci dessus, admettons que je me trompe...

Mobilisons-nous donc contre la réhabilitation de l'astrologie à l'université. Il y a va de la lutte contre l'obscurantisme. Mais n'oublions pas de continuer à nous interroger sur nos propres pratiques, sur nos catégories d'entendement professionnel, aussi bien épistémologiques que pédagogiques.

S. Garcia.

.

Retour

 

Les amalgames teissier

Le langage quotidien a emprunté à l’idiome du XVe siècle des alchimistes le mot amalgame ; et nous d’"amalgamer" tous les jours depuis six cents ans. Un mois que G.Hanselmann, dite E.Teissier, a soutenu sa thèse de sociologie en salle Louis Liard, dans l’enceinte même de la Sorbonne ; un mois que journalistes, intellectuels, et à peu près toute personne qui en aura eu l’occasion, brouillent la pureté du mercure (al-mulgam : mêler au mercure) par des discours à l’intérêt inestimable pour le sociologue en cela qu’ils mélangent brillamment des éléments pourtant bien distincts, créant une matière inédite, tissée d’inattentions et d’occultations. On aurait pu attendre des acteurs d’une querelle de clochers au cœur de la sociologie française qu’ils soient attentifs à ce que les media ne puissent pas reprendre avec toute l’emphase qu’on leur connaît leurs amalgames si faciles à transmettre.

Une première chose : quels ont été les problèmes soulevés depuis l’annonce de la soutenance de la thèse de Sociologie d’E.Teissier, jusqu'au jour d’aujourd’hui ? Avant la lecture du texte, ce ne peut être qu’un soupçon sur l’intégrité morale de l’étudiante et sur la validité du tapuscrit à défendre devant le jury qui a motivé la demande de sursis formulée par Jean Audouze, chercheur au CNRS, au dessein de confronter les 897 pages à l’analyse objective et rationnelle d’un astrophysicien. Or ces suspicions, auxquelles l’image médiatique de l’étudiante n’est pas étranger, ne peuvent qu’être la raison des précautions prises par le corps scientifique pendant le cheminement de la thésarde et dont l’université ne s’est pas privé en consultant notamment Monique Hirshorn et Bernard Valade, directeur de l’école doctorale. Aujourd’hui, ce n’est plus le suspect de l’opération qui exaspère mais la lecture du document (procuré on ne sait comment). Le premier mouvement de contestation se fondait sur la base de suspicions auxquelles on peut aisément accorder crédit et le second se construit en ce moment même sur le texte. Je m’estime en droit de me demander dans quelle mesure le désaccord affectif ou idéologique avec ce que Gérard Miller appelait " les conneries d’Elizabeth Teissier " peut alimenter non pas une chasse aux sorcières comme on a pu l’entendre, mais la tendance à l’amalgame facile que relaient les media et qui fonderait l’émergence d’une batterie de critiques emportées. Ma question : dans quelle mesure la dimension affective qui lie les différents auteurs de pétitions et d’articles à une école sociologique ou à une idée particulière de la scientificité sert-elle de terreau à la " braderie médiatique " que disaient Christian Baudelot et Roger Establet ?1

Le premier amalgame, déjà amplement semé dans les esprits, mélange les discours tenus autour de la thèse à son sujet et aux méthodes d’approche employées. On ne peut que reconnaître la pertinence a priori d’une étude sociologique dont le but serait de comprendre les phénomènes sociaux qui dépendent de l’astrologique (consultation de spécialistes, lecture et publication d’articles dans la presse générale…), au même titre qu’on ne peut qu’encourager les recherches faites sur les mouvements techno, les courants homosexuels, les communautés fétichistes etc. A priori, donc, le sujet de la thèse ("La situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination / rejet dans les sociétés post-modernes") est pertinent. Encore a priori, les méthodes employées ont de grandes chances d’être liées à celles du directeur de thèse et professeur de Sociologie à l’Université Paris V-Sorbonne Michel Maffesoli, méthodes qui ne sont singulières que pour ceux qui diraient singulières l’approche participante d’Howard Becker, la philosophie de la post-modernité de Gianni Vattimo ou l’étude des structures anthropologiques de l’imaginaire de Gilbert Durand. Ces méthodes sociologiques, utilisées internationalement comme en attestent les œuvres de A.Shutz ou T.Luckman, sont taxées aujourd’hui d’interprétation gratuite, en écho, semble-t-il, aux conclusions que l’impétrante pourrait obtenir par cette approche – rappelons-nous que la thèse ne peux pas avoir été attaquée sur son fond puisque seuls quelques personnes l’ont lue. Le premier amalgame, donc, a été d’apparenter le discours de Mme Teissier qui voudrait faire "rentrer" l’astrologie à la Sorbonne, discours repris par son ami astrologue Michaël Delmar lorsqu’il dit que le but de cette thèse est de soulever la question de l’enseignement de l’astrologie en écoles2, au contenu de son travail. La thèse de Mme Teissier est de Sociologie et non d’Astrologie. Le diplôme d’Etat reçu correspond à un travail d’une dizaine d’années dont on craint qu’il soit une " légitimation de l’astrologie par l’université "3. Le sérieux d’un jury de professeurs (Michel Maffesoli, Patrick Tacussel, professeur de Sociologie à Montpellier, Françoise Bonnardel, professeur de Philosophie à Paris I, Gilbert Duran et Serge Moscovici qui le présidait) a été remis en cause non pas au niveau de son aptitude à évaluer la pertinence du texte (personne ne l’ayant alors lu) mais sur sa capacité à endiguer la volonté d’une étudiante d’utiliser sa situation universitaire pour un profit personnel que l’on considère comme douteux. Le corps de la thèse, que l’on commence seulement à découvrir, corps qui constitue le motif de validation du doctorat, n’est pas encore la cible des critiques – mais parions que cela viendra. Ce sont les mots dont l’astrologue l’entoure qui exaspèrent. Et ce sont ces mots que l’on condamne et qui nuisent à l’intégrité d’un jury dont on aurait souhaité qu’il exclue de l’enceinte de l’Université une étudiante au seul motif de présomption de mauvais usage. Maffesoli de rappeler que trier les candidats à l’école doctorale en fonction de critères extérieurs à la discipline est contraire aux libertés publiques : on ne peut condamner un acte qui ne s’est encore produit 4.

Le discours pro-astrologique tenu par l’étudiante est important : c’est lui (des mots de E.Teissier : " Il a fallu attendre 350 ans le retour de l’astrologie à la Sorbonne ") qui biaise les jugements et fait s’emporter les spécialistes de l’Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS) lorsqu’ils rappellent que " l’astrologie n’est plus une discipline universitaire depuis trois siècles ". Mme Teissier souhaiterait qu’on lui ouvre une chaire d’Astrologie à la Sorbonne, soit, mais personne n’a jamais entériné ce souhait ni accepté de le réaliser sous condition que l’astrologue obtienne un titre de docteur. Il est terrible de lire sous la plume de Baudelot et Establet quelle imposture constituerait " la réhabilitation de l’astrologie à l’université ", sociologues pour qui il est évident que Michel Maffesoli tente d’ " accréditer l’équivalence entre l’astrologie et la sociologie ". Je suis forcé de croire que, s’ils ne sont pas dupes de leur propre discours, ils apprécient fortement les méfaits du second amalgame qui court en ce moment, celui qui mélange les buts d’Elisabeth Teissier à ceux de l’Université Paris V. Jamais il n’a été question d’ouvrir de chaire d’Astrologie à la Sorbonne, mais le fait qu’une étudiante soutenue dans ses travaux par une université clame sa volonté d’y faire "rentrer" l’astrologie alimente une psychose qui confond le soutien technique et le soutien idéologique. Le second amalgame a pour effet de dévaloriser dans les discours (de Rive Droite Rive Gauche à On a tout essayé) le travail de l’Université de Sociologie Paris V et tout particulièrement celui de M.Maffesoli. Lorsque la doctorante expose ses vues, il est facile de l’écouter comme si elle était la voie de la Sorbonne, comme si ses projets recevaient le même consentement que celui dont ont été gratifiés ses travaux ; c’est ici que s’opère le mélange entre les positions de Teissier, que l’on entend, et celles de l’Université, par habitude plus silencieuse. Impressionnant mariage ; impressionnant mais pas moins erroné.

Il ne s’agit pas pour moi de montrer que l’affaire serait montée, que des discours seraient tenus pro ou contra telle ou telle école de pensée. Je tente juste d’éveiller l’attention aux mélanges dangereux qui pénalisent la sociologie française aux yeux de tous et à la psychose alimentée par les sociologues même dans la teneur de leurs propos. Un certain nombre d’aberrations ont été prononcées si bien que les étudiants qui disposent de la structure internationale du Centre d’Etude sur l’Actuel et le Quotidien (CEAQ) dirigé par M.Maffesoli ont proposé une pétition 5 destinée à défendre la rigueur d’un enseignement en lequel ils croient contre les foudres faciles à déclencher de ceux qui n’auraient pas tous les éléments en leur possession et qui, se laissant emporter par une dimension affective émoussée, pourraient déprécier leur travail. Laisser se mélanger, dans l’esprit de tous, le contenu de la thèse à ce qui a pu être dit autour, comme laisser se confondre la caution que l’Université accorde à un travail et une caution accordée à une personne, c’était risquer d’assister à la scène dont nous sommes aujourd’hui les témoins : une alchimie d’amateur que la télévision, la presse et l’Internet des non-initiés continuent de ne pas pouvoir digérer.

Notes

1 C.Baudelot et R.Establet, La sociologie sous une mauvaise étoile, article in Le Monde, 17 avril 2001.

2 Cf. On a tout essayé, diffusion du mardi 1er mai 2000, France 2.

3 A.Bourdin, La sociologie, l'antithèse de Teissier, article in Libération, 19 avril 2001.

4 M.Maffesoli, Note à propose de la thèse de madame Hanselmann (dite E.Teissier), note en Sorbonne, 23 avril 2001.

5 Cf. http://www.univ-paris5.fr/ceaq/evenements/these_actu.htm

Michaël Dandrieux,

Etudiant chercheur au CEAQ

02 mai 2001.

retour

Commentaires de J.Copans sur ...J.Copans !

1 Pourquoi cet article dans Le Monde ?
En fait une réaction un peu épidermique à la soi-disant rigueur épistémologique de B.B. et R.E..M'étant occupé d'affaires doctorales pendant des années, ayant eu à m'occuper de près ou de loin de thèses bidons, de complaisance, 'révisionnistes', plagiées (y compris de mes propres travaux dans une thèse sénégalaise dirigée par L.V.Thomas il y a 20 ans), etc, etc je n'arrive pas à croire à la 'pureté objective et scientifique ' de la thèse. D'autant que j'ai dans ma propre expérience de doctorant dénoncé il y a presque 30 ans l'illusion doctorale (cf. les documents joints d'un de mes ouvrages de 1974).
Par ailleurs je m'amuse toujours à présenter la France comme le pays où il y a le plus d'animaux domestiques par habitant, la plus forte consommation de tranquillisants par habitant, le plus grand lectorat de journaux astrologiques et enfin le plus grand nombre d'accidents mortels de la route il me semblait que l'astrologie était plus 'serieuse' qu'il n'y paraissait.
Mais évidemment je n'ai aucun accord de fond ou de forme avec M.Maffesoli et l'astrologie n'est pas une science, cela ne se discute pas. Mais n'ayant pas lu la thèse ni vu l'événement je veux des preuves autres que médiatiques pour me faire une idée. Et malheureusement les 300 signataires de la pétition, même s'ils pétitionnent rationnellement, n'ont pas plus d'informations fiables que moi. Un peu de tenue sociologique chers collègues ! Enfin je ne croyais pas trop à la publication de mon texte puisque le précédent texte envoyé au Monde avait suscité un oui puis un non puis un oui puis un non définitif. Ph.Cibois en est d'ailleurs témoin et il a fait paraître mon texte dans le n° 22 du Bulletin de l'ASES en 1996.

2 Reprise de certains points dans le détail J'ai rédigé une version longue du texte mais je me suis auto-corrigé. On trouvera ici une version très longue, dans le désordre des arguments car je n'ai pas le temps de rédiger un 'beau' texte.
a) Mon opposition 'gauchiste' à la thèse date des années 1970. je renvoie au texte lu en soutenance en 1973 devant Balandier, Thomas et Rodinson. Il n'y a pas eu de pot après la soutenance et c'est Balandier qui s'est cru obligé de me payer un pot à l'Escholier ! J'ai publié ce texte l'année suivante dans un recueil d'articles chez Maspero. Je ne connais pas beaucoup de contestations sociologiques après la fin des années 70.(N'oubliez pas qu'en 1968 on criait 'Crève salope !' à propos de l'agrégation qui se porte toujours comme un charme !). Bien que dirigeant moultes thèses, conseillant des doctorants d'autres collègues (aux abonnés absents), lisant de nombreuses thèses pour d'autres soutenances, pour toutes les commissions possibles de recrutement et environ une centaine par an pour la collection que je dirige aux éditions Karthala (soit depuis que je suis devenu professeur en 1990 au mois 800 thèses lues), je crois avoir toujours une inquiétude quant au sérieux de ce type de production scientifique. Sentiment aggravé par l 'attitude des scientifiques dits 'durs' qui oublient les thèses dès qu'elles sont soutenues parce qu'ils ont d'autres modes de validation de la performance scientifique. Autres formes que nous pourrions adopter aussi (articles, rapports, etc) mais le conservatisme des sciences humaines et sociales (voir le maintien de la thèse d'Etat pendant très longtemps après les scientifiques) est indécrottable.
b) En ce qui concerne mon rôle de formateur au doctorat je suis très prêt de mes étudiants que je relis sans arrêt,auxquels je consacre tout le temps qu'ils demandent. J'en ai publié un certain nombre,toujours avec des exigences de haut niveau d'explicitation méthodologique. J'ai fait pendant 8 ans à Amiens un cours de maîtrise sur les pratiques réelles de méthodologie,cours exporté ensuite en DEA (et fait pendant 2 ans avec Cibois à nouveau qui peut toujours témoigner de cet engagement. J'ai été directeur d'Ecole doctorale et responsabler de DEA et je crois avoir fait le maximum sur ce point. Donc lorsque j'évoque la sociologie de la préparation (et de la soutenance) des thèses je pense savoir de quoi je parle. Je suis très serieux et je pense que la solution a posteriori du CNU n'est pas la bonne solution. Là encore ayant contribué très modestement à l'invention du nouveau systeme en 92-95 (cette fois-ci M.Tripier,F. de Singly ou S.Guth sont mes témoins) je me souviens d'un scandale lancé par Le Monde en août 1992 (a propos des thésards non-qualifiés de M.Mafesoli) avec le soutien de A.Touraine ( !) ou d'autres. F. de Singly se chargea de mettre les pendules à l'heure :tout cela pour me situer par rapport à l'affaire dite Teissier. Là c'est la mémoire des collègues qui flanche. Mais moi je ne mélange pas les deux affaires.
c) On pourrait soulever aussi l'affaire de la prime d'encadrement doctoral (PEDR) et de son attribution même en cas de non-direction ou de non-publication. J'ai vu cela de très près lorsque j'ai exercé les fonctions de 1er Président du Conseil scientifique à Amiens et j'en avais été surpris et secrètement scandalisé. Le scandale de la thèse va donc jusqu'à des primes attribués à des non-directeurs (et parfois refusées à des directeurs). Bref la thèse nous emmène loin du doctorant mais enfin il faut le dire ouvertement.
d) Dans la rubrique des thèses problématiques je puis enrichir ici mon corpus des meilleurs de me souvenirs : une thèse d'ethnophilosophie africaine pour laquelle on me demande un prérapport officieux.La réponse est pas soutenable et pourtant il y eut soutenance avec rapports d'autorisation. Le directeur était un philosophe réputé, doyen pendant longtemps et même ancien président d'université. Une HDR dans notre discipline où le conjoint était dans le jury :était-ce même légal ? Une thèse d'anthropologie qui était une version bas de gamme de la collection Terre Humaine et pourtant son directeur est un homme plus qu'honorable dans sa discipline et sortant de l'Ecole et de l'agrégation et du doctorat d'Etat. Enfin je ne puis oublier la non-soutenance (mais après des péripéties répressives à l'égard du rapporteur honnête) d'une thèse de géographie théorisant de fait la normalité du génocide du Rwanda. Et le directeur en était un vice-président du Conseil scientifique de son établissement.
e) La sociologie des temps actuels. Certes j'ai fait de l'humour et de l'humeur mais il y a de nombreux témoins étudiants à Amiens et à Paris et d'enseignants qui m'ont entendu suggérer depuis des années un sujet de maîtrise sur les interventions sociologiques et ethnologiques (et éventuellement politologiques sur des problèmes sociaux) dans la presse et les médias. J'ai souvent utilisé de tels textes dans mes cours et je connais au moins un sociologue (d'Amiens) qui s'est repenti de s'être laissé aller à ce genre de jeux, décortiquant sa manipulation. La question n'est pas de sujets nobles et moins nobles ni de l'utilité sociale ou de la professionnalisation de la discipline. La question est de remplacer les journalistes dans leur travail ,d'apparaître comme un expert indiscutable alors que nous sommes des experts qu'à travers des confrontations de points de vue différents sur le même objet. En gros notre manière sociologique de faire est édulcorée ou escamotée et c'est cela qui est grave. Personne ne bronche puisque tout le monde veut être dans le journal ou sur le petit écran ! Surtout il n'y a que certains sujets qui passent, ceux qu'on nous demande et pas ceux qu'on propose parce que nous les pensons plus importants. Il en est ainsi pour les thèmes du développement et de la mo,ndialisation :je n'ai pas la place de développer mais il y a ici un véritable problème de fond de mimétisme sociologique par des disciplines qui n'en sont pas et du silence radio totale de notre discipline inversement, en langue française du moins.
f) Dernier point :j'aurai selon Cibois remis en cause la professionalisation très visible de la sociologie par rapport à il y a 20 ans. Sous le terme de professionnalisation il faut entendre trois choses :1 les sociologues dans des emplois de non-sociologues. Cela arrive tous les jours :il n'y a rien là de très nouveau ;2 les sociologues experts ou consultants. Il faut qu'ils aient la qualité et la déontologie des sociologues de recherche fondamentale (nous avons eu ce débat auquel j'ai participé en 1992 à l'Association française des Anthropologues :cf. le Journal des Anthropologues, n°50-51 1992-1993) ; enfin il y a la vulgarisation et la popularisation via les encyclopédies et les médias. Cette dernière demande est très particulière ;on ne peut en faire un métier et ce que je dis des médias je ne le pense pas de la revue Sciences humaines par exemple. La sociologie comme rubrique d'anticipation, de sensibilisation, de consolation intellectuelle (une explication qui satisfasse, paradoxalement, le sens commun) existe bel et bien. Ce n'est pas moi qui l'ai inventé et c'est cette seule forme que je dénonçai humoristiquement.


Voilà quelques explicitations supplémentaires. Encore une fois l'affaire Teissier en soi ne m'intéresse pas et je trouve qu'on en fait un plat, bien tardivement par rapport au directeur de thèse, et sans s'entourer des garanties de la transparence sociologique de pratiques 'entendues' par oui-dire. La situation de la thèse est bien plus grave : pourquoi n'habilite-t-on que moins de la moitié des docteurs (en sociologie du moins) ? Faudra-t-il lire les astres pour avoir la réponse ?


Le 8 mai 2001 Jean Copans

retour

 

 

Astrosociologie ? par Christian De Montlibert (28 mai 2001)


La soutenance de thèse d'E. Tessier sur l'astrologie n'est que la manifestation la plus visible d'un phénomène plus large et plus profond. La cumulativité de la sociologie est niée, ou pire, transformée en répétition stérile. La possibilité d'une objectivité dans la connaissance du monde social est d'autant plus rejetée qu'est affirmé, dans une posture toute "post-moderne", le primat de la conscience du sujet, quand ce n'est de sa subjectivité. Quant aux lois de la sociologie, comment pourraient-elles exister ou avoir une quelconque valeur puisqu'elles ne sont, aux dires des relativistes que la projection d'une volonté de puissance de leur auteur. Il suffit pour clore définitivement cette lapidation des sciences sociales de conclure qu'il ne s'agit que " d'empiris-me plat " incapable de rendre compte de la complexité des idées.
Ce refrain contre les sciences sociales est l'expression la plus achevée d'un anti-rationalisme dont les effets sont loin d'être tous connus. Il implique " un retour du sujet " qui accompagne l'apologie de l'individualisme cher aux néo-libéraux. Il permet une diversification des subjectivités qui n'est pas pour déplaire aux propagandistes de la suprématie des marchés. En quelques mots, il permet de nier toutes déterminations sociales. Si la compréhension du monde social est avant tout subjective, on comprend que les contempteurs de la scientificité de la sociologie ne se privent pas de tourner en dérision ses méthodes et ses résultats (toujours " trop plats " ou " trop lourds "). Mais ce point de vue repose lui-même sur le refus de la réalité ou de l'objectivité du monde et sur la négation de la possibilité d'une connaissance rationnelle. En effet, l'importance accordée au sujet n'est plausible que si le monde social n'a d'autre réalité que d'être une production de l'imaginaire. Pour le dire autrement, si on peut interpréter le monde et que toutes les interprétations peuvent coexister, c'est que le monde social est lui-même le produit des subjectivités. Dans ces conditions, la connaissance dite scientifique du monde social (avec ses lois, sa cumulativité, ses méthodes) n'a pas de privilège sur les autres modalités de connaissance : toutes les modalités sont équivalentes (les sociologues n'ont donc pas de leçons à donner, à moins d'être " mégalomaniaques "). La fameuse distinction que Cassirer s'efforçait d'établir entre la connaissance qu'opère le mythe et la connaissance rationnelle n'a pas lieu d'être (c'est un " archaïsme ") puisque, à la limite, la connaissance rationnelle n'est qu'un élément d'un mythe plus fourni. On comprend dès lors, puisqu'il n'y a pas de normes pour établir la validité de la connaissance, que cette argumentation post-moderne ne puisse que rejeter toute tentative d'explication du monde s'appuyant sur des déterminations sociales et réclamer une considération bien méritée pour l'inventivité d'un sujet interprétant, dont on affirme qu'elle sera moins " ennuyeuse " que les commentaires de résultats ; on comprend aussi que la soutenance d'une thèse d'astrosociologie soit la bienvenue !
Reste que, en affirmant la suprématie du relativisme culturel, les opposants à la sociologie développent une prise de position comparable à celle des apôtres du laisser-faire dans l'univers économique, coïncidence qui peut conduire à défendre d'autant plus l'une et l'autre que l'analyse sociologique (obligatoirement " inquisito-riale " et " totalitaire " à leurs yeux) pourrait mettre en cause la place que ces universitaires occupent aussi dans l'espace médiatique, politique ou économique.

Christian De Montlibert

Retour

Que faire maintenant ? Contribution de Sylvia Faure

J'aurais envie de dire après la lecture de votre très intéressant compte rendu, que l'affaire ne concerne pas uniquement ce qu'on attend d'une thèse (bien que cela soit important), mais elle met en question, plus largement, l'épistémologie de la sociologie. L'affaire E.T. aura au moins eu ce mérite ! En dehors de nos querelles théoriques et de celles liées aux différentes positions des "personnalités" de la sociologie dans le champ, sommes-nous capables de définir des critères "minimum" (j'aurais préférer dire maximum) d'un bon travail sociologique ? D'une posture sociologique ? D'un véritable travail de terrain si souvent délaissé, peut-être parce que la rhétorique théorisante paie davantage ? J'avoue que j'en doute au vu de ce qu'on peut observer ou entendre dans des commissions de spécialistes ou d'autres réunions nationales où des pairs ont a juger du travail d'autres pairs, notamment quand ils rentrent dans la profession... Restons positif : ne serait-il pas envisageable de mettre en place une sorte de comité de travail sur ces points : quels critères épistémologiques pour la sociologie ? Quelles sont les points essentiels et de là les exigences de tout travail scientifique (thèse, rapport de recherche...) ? Qu'est-ce que "construire" un objet de recherche ? etc. De mon point de vue le "raisonnement sociologique" de J.C. Passeron constitue un excellent cadre de réflexion, il y en a d'autres, mais le problème c'est qu'on rentre très rapidement dans le problème des querelles interindividuelles et surtout de "chapelles" qui sont si nombreuses dans notre discipline.
Voici une réponse que je tenais à vous faire, même si elle est un peu désabusée.
Bien cordialement
Sylvia Faure
maître de conférence, faculté d'anthropologie et de sociologie, Université Lumière Lyon2.

Retour