La Lettre de l’ASES

Association des Sociologues Enseignants du Supérieur

25

septembre

1998

 

En première ligne par Philippe Cibois 3

La fondation de la sociologie française

La seconde institution de la sociologie par Francis Farrugia 6

L'organisation sociale de la sociologie depuis 1945 par Alain Chenu 12

"Souvenirs d'un vieux mandarin" par Henri Mendras 22

Recrutements de 1998

Informations sur le CNU par Alain Chenu 23

Tribune libre par Georges Ubbiali 35

Dossier SES

Formation par la recherche par Gérard Boudesseul 37

De la sociologie aux SES par Nicole Pinet 46

Pédagogie

Mais que font-ils donc pendant les cours ? par Yankel Fijalkow
et Charles Soulié 52

Vie de l'ASES

Rencontre DESS et CA du 17 janvier 60

Rencontre ASES Direction des sciences sociales 62

Assemblée Générale annuelle 64

Compte-rendu du CA du 16 mai 68

Rappel : Vendredi 25 septembre 9h45-12h30

Sorbonne Amphi Durkheim

Quelle politique de la recherche
pour l'Université ?

La lettre de l’ASES est le bulletin de liaison de l’ASES

Association des Sociologues Enseignants du Supérieur

Cette association Loi 1901 a été fondée en 1989 pour "défendre, améliorer et promouvoir l’enseignement de la sociologie. Elle vise à rassembler, à des fins d’information, de réflexion, de concertation et de proposition, les enseignants-chercheurs et les enseignants de sociologie en poste dans les universités et les établissements d’enseignement supérieur assimilés"

Le Conseil d’administration en est actuellement le suivant :

Yeza Boulhabel-Villac

François Cardi (membre du bureau, secrétaire général)

Frédéric Charles

Alain Chenu (membre du bureau)

Philippe Cibois (président, chargé du bulletin)

Laurence Costes

Claudine Dardy

Catherine Déchamp-Le Roux

Sylvette Denèfle

Michèle Dion (membre du bureau, trésorière)

Francis Farrugia (membre du bureau)

Daniel Filâtre

Suzie Guth

Monique Hirschhorn

Stéphane Jonas

Monique Legrand

Jean-Luc Primon

François de Singly (membre du bureau, vice-président)

Jean-Yves Trépos (membre du bureau)

Maryse Tripier (membre du bureau)

Marie-Caroline Vanbremeersch

Rédaction de la Lettre de l’ASES : c/o Philippe Cibois

22 bis rue des Essertes, 94140 ALFORTVILLE

tel/fax 01 43 75 26 63 ; cibois@francenet.fr

EN PREMIÈRE LIGNE

Philippe Cibois

Président de l’ASES

Ce n'est pas le hasard qui fait que le secteur Sciences humaines et sociales des universités se trouve en "première ligne" dans le graphique ci-dessous. Il s'agit, pour la population des nouveaux bacheliers, du croisement de la section du bac avec l'orientation à l'université. On voit en effet la position spécifique de notre secteur qui recrute plus que la moyenne dans quatre sections du bac : littéraire (L), économique et social (E&S), technique (Tech) et professionel (Pro). Par contre la section scientifique (S) est sous-représentée, ce qui oppose le secteur SHS à Médecine, Sciences de la nature, Sciences de la matière, secteurs qui se trouvent à l'opposé en bas de graphique.

 

Lettres et langues recrutent spécifiquement en L ; quant à Droit, AES et sciences éco, ils sont intermédiaires, avec un recrutement central en Economique et Social.

Le secteur qui nous intéresse a donc une spécificité "négative" dans son recrutement de nouveaux bacheliers qui ont simplement en commun d'avoir un bac qui n'est pas scienti-fique.

La venue en sociologie (ou en psychologie) est possible pour tout bachelier qui n'a pas pris de filière sélective. On ne peut évidemment en dire plus à partir de ces données sur les motivations d'entrée en sociologie dont on sait par ailleurs qu'elles correspondent à un intérêt possible pour le social (en particulier pour ceux qui ont fait la série ES) mais à partir de l'indicateur de la série du bac on peut faire les commentaires suivants :

1) la sociologie n'est plus dans la situation qui était la sienne à l'époque des "héritiers" mais se trouve en première ligne pour l'accueil de ceux qui n'ont guère trouvé de place plus prestigieuse dans une université de masse. Ce constat est présenté d'une manière plus détaillée par Alain Chenu dans l'écho qu'il a donné ici de sa communication à la rencontre ASES de mars dernier sur la fondation de la sociologie (cf.p.12)

2) un autre écho de cette situation pourra se lire dans un extrait d'un texte émanant de l'université de Rouen et qui est une observation sur ce qui se passe dans un amphi de premier cycle. Le résultat n'est pas triste mais ne surprendra que ceux qui ne se sont jamais affronté à ce type d'enseignement (cf. p.52).

3) face à une telle situation, deux attitudes sont possibles :

- soit se lamenter sur la situation, sur la baisse du niveau, sur le baccalauréat qui ne sert plus à rien ("et si vous connaissiez les consignes du rectorat pour que le plus grand nombre soit reçu !"), sur les lycées, les collèges, les écoles, les maternelles, les crêches ... où l'on n'apprend plus rien, sur la disparition de l'heureux temps où la sociologie était faite par des étudiants politiquement motivés (nous),

- soit assumer la situation de discipline de première ligne face à l'université de masse : beaucoup d'entre nous ont un souci d'action politique et sociale, éventuellement de militantisme. Un débouché en est tout trouvé : il s'agit d'accueillir correctement une population qui, il y a quelques années n'aurait évidemment jamais mis les pieds dans une université. Nous avons à inventer des nouvelles formes de pédagogie, à nous battre pour que les moyens nous en soient donnés, à trouver dans notre public les motivations sur lesquelles appuyer notre enseignement.

La première attitude est intenable : elle conduit à la déprime ou au remords et, socialement parlant, elle est suicidaire car si nous ne prenons pas en charge la population qui vient chez nous, elle se réduira rapidement et les effectifs enseignants s'en ressentiront à long terme. La seconde attitude est la seule raisonnable : se donner un objectif fort est mobilisateur et donne un but à l'action de tous les jours.

***

Les trois premières contributions de ce numéro sont issues de la journée du 14 mars dernier : Francis Farrugia y présente l'évolution de la sociologie de 1945 à 1960. Ensuite Alain Chenu, dans l'article déjà évoqué, reprend la même évolution d'un point de vue différent et la poursuit jusqu'à nos jours. On trouvera en troisième position un écho de ce que nous a dit Henri Mendras sous forme d'un extrait de son livre récent sur les "souvenirs d'un vieux mandarin".

On trouvera également dans ce numéro nos rubriques habituelles touchant au recrutement : compte-rendu du CNU par son président et tribune libre d'un candidat qui nous explique assez bien ce qu'il ne faut pas faire quand on est responsable d'une commission de spécialistes.

En plus du dossier pédagogie déjà évoqué, on trouvera un dossier sur la Section Economique et Sociale des lycées : du fait que les collègues des lycées craignaient une remise en cause de cette section, l'ASES a eu plusieurs contacts avec l'Association des professeurs de sciences économiques et sociales des lycées (APSES). Le dossier ici publié permettra de se faire une idée sur l'état actuel de la question.

Enfin la vie de l'ASES est évoqué par divers comptes-rendus : réunions diverses, contacts avec le Ministère, Assemblée générale et conseils d'administration.

Philippe Cibois

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Appel à communication

En janvier 1999, l'ASES organise un débat sur :

Les sociologues et leurs revues

Les questions suivantes pourront être abordées : types de revues (locales, nationales, internationales) ; critères d'évaluation et problèmes d'accès aux publications ; littérature grise...

Si vous pensez pouvoir faire une intervention, vous pouvez prendre contact avec le président de l'ASES (coordonnées en page 2 de couverture)

LA SECONDE INSTITUTION DE LA SOCIOLOGIE FRANÇAISE :
1945-1960

De la sociologie comme "vocation"
à la sociologie comme "profession

Francis Farrugia
Université de Poitiers

"Certes la muse de l'histoire est Polymnie. L'histoire peut se représenter comme la mémoire universelle du genre humain. Mais il n'y a pas de mémoire universelle. Toute mémoire collective a pour support un groupe limité dans l'espace et dans le temps."

Halbwachs, La mémoire collective.

Il ne s'agit pas ici de restituer intégralement la communication faite lors de la matinée de l'ASES du 14 mars, mais plus simplement, à travers une opposition exemplaire Gurvitch-Stoetzel, de privilégier un axe de lecture du passé éclairant pour notre présent. Les personnes sont ici des masques de théâtre (persona), derrière lesquels se jouèrent des représentations distinctes de la discipline ("vocation" ou "profession"), qui, par leurs interactions, contribuèrent à la produire dans sa réalité historique.

Après la deuxième guerre mondiale les "nouveaux sociologues" cherchent à refondre la sociologie sur d'autres bases que celles du durkheimisme : théorie, projet moral, et étude purement livresque. C'est ce que l'on nommera "le métier de sociologue" qui est en train de naître. La mode intellectuelle, en cette période de l'immédiat après-guerre, est favorable à la philosophie, et plus particulièrement à un existentialisme triomphant dénonçant le réductionnisme de sciences humaines accusées de dénier à l'homme toute liberté. Dans Situations I, Sartre, traduisant l'esprit du temps, écrit "La sociologie de Durkheim est morte : les faits sociaux ne sont pas des choses, ils ont des significations, et, comme tels, ils renvoient à l'être par qui les significations viennent au monde, à l'homme."

La sociologie va pourtant progressivement s'imposer, tant à l'Université qu'au CNRS. Son institutionnalisation se réalisera d'autant plus sûrement qu'elle fera la preuve de sa scientificité (contenue en grande partie dans le recours à l'instrument statistique). Mais ceci passera par un double abandon : celui de sa vocation sociale, et celui de sa dimension purement spéculative, héritée de la philosophie.

Dès 1945, au cours d'un exposé au nom évocateur : L'esprit de la sociologie contemporaine, qu'il fait devant la Société de philosophie de Bordeaux, Stoetzel milite en faveur d'une nouvelle sociologie, qui doit tourner le dos au durkheimisme. En ceci, il rejoint paradoxalement les critiques formulées par Sartre, mais avec des objectifs inverses. Il prophétise : "Le temps viendra sans doute, que j'attends personnellement avec une impatience ironique (...) où l'on verra les meilleurs sociologues écrire d'exécrables ouvrages de philosophie. A ce moment, la sociologie sera une science." Il déclare également : "Plus nos connaissances sociologiques seront quantitatives, plus solide et plus scientifique sera notre connaissance. C'est ce qui explique le rôle grandissant en sociologie de l'analyse statistique."

Ce que l'on peut appeler la nouvelle sociologie doit donc - pour reprendre quelques formules stoetzeliennes - cesser d'être "générale", "abandonner les ambitieuses synthèses", pour rechercher "l'extrême spécialisation". Elle doit se libérer de la philosophie, mais aussi de la morale et de la littérature, pour convoquer "le nombre et la mesure". Il faut donc qu'existe un véritable organisme de recherche scientifique, afin que la sociologie devienne "appliquée". A cet égard, l'acte le plus significatif de la reconstruction de la recherche sociologique française autour de ce nouveau programme empirique, est sans conteste la création, en mai 1946, du Centre d'études sociologiques (CES), qui va entamer un processus de professionnalisation progressive de la discipline. L'essentiel se joue peut-être là, plus qu'à l'Université, qui reste relativement conservatrice. Le CES va jouer un rôle charnière dans l'avènement d'une sociologie nouvelle, centrée sur l'enquête empirique, sur le travail de terrain. Le CES est un organe du CNRS, un centre dont Georges Gurvitch, professeur à la Sorbonne, fut le fondateur et le premier directeur jusqu'en 1949, année où Friedmann, alors professeur au CNAM, lui succède. Puis ce sera un géographe, retraité de la Sorbonne, Maximilien Sorre de 1951 à 1955. Enfin ce sera Stoetzel à partir de 1955, jusqu'en 1968, date qui marquera le fin de son règne.

Jean Stoetzel fut - en ce qui concerne l'orientation exclusivement empirique, et l'usage systématique de la quantification - aux antipodes de Georges Gurvitch, pour lequel il n'avait pas de véritable estime, le considérant comme un philosophe. Stoetzel comme la plupart des sociologues de cette génération : Gurvitch, Friedmann, Aron et Lévi-Strauss, a séjourné aux Etats-Unis (à l'Université de Columbia), où il découvre la sociologie empirique américaine. Le voyage initiatique aux USA se prolongera d'ailleurs pour la génération suivante, mais cessera après 1968. Aux Etats-Unis, Stoetzel rencontre Gallup, et n'aura de cesse de construire la sociologie française sur ce modèle quantitativiste américain, plaidant en faveur des "sondages d'opinions". A l'opposé, Gurvitch, défend une sociologie émancipée de la description pure, et dégagée de toute fonction de service. Ce dernier retient d'ailleurs un tout autre versant de la sociologie américaine : Moreno et l'Ecole de Chicago.

Il faut méditer ces choix distincts qui marqueront la suite. Gurvitch et Stoetzel sont en ce temps-là deux personnages d'importance, qui incarnent tous deux une conception et une pratique différentes de la sociologie. Gurvitch défend une sociologie fortement enracinée dans le théorique, héritière de la philosophie de l'histoire (plus précisément de la philosophie allemande), soucieuse de visées sociales, gardant soigneusement ses distances avec toute instrumentalisation et professionnalisation, revendiquant une prudence critique permanente à l'égard de toute fonction de service entachée de fonctionnalisme, vers laquelle la sociologie était selon lui en train de dériver. De ce point de vue, Aron (référence à Marx mise à part), n'était pas si éloigné de Gurvitch, puisqu'il développait lui aussi une sociologie très proche d'une philosophie de l'histoire.

Stoetzel et Friedmann (mais ce dernier adoptant une position moins belliciste), œuvrent, à l'opposé, pour une sociologie nouvelle spécialisée, professionnalisée, centrée sur des objets limités, orientée vers l'enquête, voire vers l'expertise, fortement ancrée dans la réalité empirique, et mettant en jeu un réel travail d'équipe.

L'on voit déjà se profiler, à travers ce cas simple mais exemplaire, une opposition entre approche quantitative et approche qualitative, entre macrosociologie et microsociologie, mais surtout entre savoir théorique et savoir appliqué. Gurvitch n'est certes pas hostile aux recherches de terrain, mais il incarne une autre génération de sociologues, privilégiant la réflexion par rapport aux applications. Il est méfiant à l'égard de toute professionnalisation de la discipline, et très critique à l'égard de ce que l'on nommait à l'époque la dimension "managériale" de la sociologie. Gurvitch stigmatise donc cette nouvelle sociologie française, et reprend à son compte l'accusation de "quantophrénie" utilisée par Pitrim Sorokin à l'encontre de la sociologie américaine.

Contre cette idée qui gagne du terrain, et selon laquelle la sociologie est une "profession", Gurvitch construit l'idée de la sociologie comme "vocation". Il écrira d'ailleurs un ouvrage portant pour titre La vocation actuelle de la sociologie. Mais le processus de professionnalisation est engagé, et fait des adeptes parmi de nombreux chercheurs.

Chez tous ces membres du CES - en particulier depuis qu'il est dirigé par Stoetzel -domine donc le même souci de réaliser des enquêtes, surtout quantitatives, et portant sur la société actuelle. En peu de temps, la scientificité est devenue une valeur essentielle de la discipline, contrairement à ce qui se pratique encore dans une Université toujours centrée autour de valeurs plus traditionnelles. Parmi les étudiants de cette époque qui partagent le même projet scientifique, on trouve : Crozier, Isambert, Mendras, Touraine, Reynaud.

A l'arrière-plan de ces oppositions méthodologiques, et de ces conceptions différentes de la discipline, se jouent des divergences idéologiques, philosophiques et politiques. Elles s'enracinent dans des formations intellectuelles différentes, dans des appartenances à des écoles de pensée distinctes. L"'histoire de vie" de ces hommes, tantôt les rapproche, tantôt les sépare, chacun ayant connu, non seulement des événements historiques différents (effets générationnels), des milieux sociaux distincts, mais aussi des cultures et des civilisations souvent hétérogènes. N'oublions pas que Gurvitch avait vécu la Révolution russe de 1917.

La sociologie est donc globalement en train de s'orienter vers la recherche empirique. La figure du chercheur-enquêteur prend progressivement la place de celle du savant de cabinet, et c'est déjà la figure du praticien qui se profile à l'horizon de la recherche appliquée.

Toutefois, il est intéressant de noter que la génération montante des normaliens-philosophes marquera ses distances avec cette posture empiriste particulièrement bien incarnée par Friedmann et Stoetzel. Ce n'est qu'une minorité de normaliens qui se dirigera vers le nouveau métier de sociologue. Ils sont en effet réticents, étant donné qu'il n'existe encore en sociologie ni licence ni agrégation, et que la discipline ne s'enseigne pas en lycée. De plus, les chaires sont rares à l'Université, donc aussi les postes d'assistants. Se dirigent en conséquence vers la sociologie, ou bien les aventuriers, ou bien ceux qui ont échoué à l'agrégation. Tréanton fait remarquer que, de 1945 à 1951, donc entre Reynaud et Bourdieu (ce qui correspond à cinq promotions d'Ulm), deux normaliens seulement ont choisi la sociologie Michel Simon et Michel Verret.

La sociologie est encore souvent méprisée. Bourdieu, dans Choses dites, décrit la situation comme suit "Ce mépris pour les sciences sociales s'est perpétué parmi les normaliens philosophes (...) au moins jusqu'aux années 60. A l'époque, il n'existait qu'une sociologie empirique médiocre, sans inspiration théorique ni empirique. Et l'assurance des philosophes normaliens se trouvait renforcée par le fait que les sociologues issus de l'entre-deux guerres, Jean Stoetzel ou même Georges Friedmann, qui avait écrit un livre assez faible sur Leibniz et Spinoza, leur apparaissaient le produit d'une vocation négative. C'est encore plus vrai pour les premier sociologues des années 45 qui, à quelques exceptions près, n'étaient pas passés par la voie royale, Ecole normale et agrégation, et qui, pour certains, avaient même été renvoyés vers la sociologie par leur échec en philosophie."

La sociologie universitaire, spécialement la Sorbonne ne partage donc nullement cet engouement du CES pour le terrain, et refuse de voir dans l'enquête empirique une démarche sérieuse. L'Université se développe selon d'autres valeurs, et demeure assez éloignée de la recherche empirique. Mais l'institutionnalisation de la sociologie progresse.

La licence de sociologie, créée en 1958 pour répondre à un afflux des étudiants, marquera le tournant institutionnalisant de la discipline. Chapoulie, en ce qui concerne les effectifs des candidats à la licence de "Morale et sociologie" (inclus dans la licence de philosophie), et de "Sociologie générale" (qui rentra dans la nouvelle licence de sociologie), précise qu'ils évoluèrent comme suit : "102 et 20 en 1956, 200 et 18 en 1957, 168 et 52 en 1958, 96 et 88 en 1959."

Si l'institutionnalisation de la discipline passe par les créations de postes, donc par l'augmentation du nombre d'enseignants et de chercheurs, ainsi que par celui des étudiants, elle passe aussi par les publications de recherche. Il faut donc créer un système d'édition : manuels, ouvrages et revues, qui deviendront de facto des instruments de diffusion des savoirs, mais aussi des instruments de lutte, pour la préservation ou la conquête de territoires et de positions dominantes dans la discipline. Les enjeux sont certes scientifiques, mais ils sont aussi institutionnels et stratégiques. Chaque patron a intérêt à faire reconnaître sa compétence propre, à promouvoir sa sociologie, à défendre son territoire, et à développer sa clientèle.

En 1946, Gurvitch fonde les Cahiers internationaux de sociologie, pour revendiquer l'autonomie de la sociologie de langue française face aux avancées de la sociologie américaine. En 1949, Gurvitch encore, en compagnie de quelques durkheimiens, relance l'Année sociologique.

En 1950, Gurvitch toujours, conscient des enjeux multiples de l'édition, et en particulier de la position de contrôle et de promotion qu'elle confère, fonde aux PUF, une nouvelle collection la Bibliothèque de sociologie contemporaine, devenue depuis Sociologie d'aujourd'hui.

En 1955, les Editions du CNRS créent aussi une collection pour permettre aux chercheurs du CES de publier leurs travaux.

Apparaissent aussi de nombreuses revues : les Archives de sociologie des religions, en 1959 ; Sociologie du travail, créée par les disciples de Friedmann Touraine, Tréanton, Crozier, Reynaud ; en 1960, la Revue française de sociologie, créée par Stoetzel pour faire concurrence aux Cahiers internationaux de sociologie. Toujours en 1960, les Archives européennes de sociologie, créées par Raymond Aron et Eric de Dampierre ; et Communications en 1961.

L'institutionnalisation de la sociologie entamée par Durkheim en 1902, est enfin réalisée, et nous entrons dans une ère nouvelle.

Francis Farrugia

 

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L’ORGANISATION SOCIALE DE LA SOCIOLOGIE EN FRANCE DEPUIS 1945

Alain Chenu
Université de Versailles - St-Quentin

En 1945, la sociologie française est au plus bas : aucune revue marquante, une poignée de postes universitaires placés dans l’orbite de la philosophie, pratiquement pas de recherche collective organisée - à l’exception principalement d’une équipe néo-leplaysienne constituée autour d’Economie et humanisme. Un demi siècle plus tard, elle est présente dans une vaste palette d’institutions. Son rôle social et ses formes professionnelles d’organisation ont connu d’amples métamorphoses. La création de la licence de sociologie le 2 avril 1958, dont l’ASES commémore le quarantième anniversaire, marque le terme d’une première phase caractérisée principalement par un " décollage " de la recherche empirique, et le début d’une seconde phase d’élargissement de l’assise institutionnelle de la discipline, phase que l’on peut faire durer, inclusivement, jusqu’à la création de l’agrégation de sciences sociales en 1976. Une troisième phase, encore en cours aujourd’hui, peut être décrite comme l’ère des enseignants : embarquée dans " l’université de masse ", avec ses pénuries et ses espoirs, la sociologie fait partie des disciplines plutôt accueillantes pour les étudiants qui n’ont pas trouvé place dans des filières plus sélectives : elle est devenue une " discipline refuge ", même si elle occupe aussi une place non négligeable dans des institutions telles que les ENS, l’IEP de Paris, l’EHESS.

Phase 1, 1945-1958
L’institutionnalisation de la recherche empirique

Un corps de chercheurs professionnels pratiquant à temps plein une sociologie empirique centrée sur l’observation des sociétés contemporaines se met en place dans le cadre du CNRS. Cette génération pionnière, formée sur le tas, découvre le travail de terrain, le magnétophone, les trieuses, les bulletins signalétiques, l’interprétation du c2. Un rôle moteur revient au Centre d’études sociologiques, créé en 1946. H. Mendras a décrit l’impulsion décisive que Georges Friedmann a donnée à ce centre de 1948 à 1951, en allouant de grands domaines d’investigation à quelques jeunes chercheurs entreprenants. Les enquêtes par questionnaire se multiplient dans le cadre de l’INED, de l’INSEE, de l’IFOP. La VIe section de l’EPHE est créée en 1947. En 1950, P.-H. Chombart de Lauwe fonde le Groupe d’ethnologie sociale qui innove par son recours à des financements contractuels de la recherche.

L’effectif des chercheurs du CNRS est d’une vingtaine en 1950, d’une cinquantaine en 1958 (graphique 1). Le dispositif des périodiques se limite aux Cahiers internationaux de sociologie, lancés par G. Gurvitch en 1946, et à l’Année sociologique, dont la troisième série débute en 1949 ; dans ces deux supports, la place faite aux travaux empiriques demeure modeste.

Graphique 1

Les trois phases du développement de la sociologie à l’Université et au CNRS de 1945 à 1998

Dans le même temps, l’enseignement universitaire conserve les caractéristiques dominantes qui étaient les siennes dans l’entre-deux-guerres : il ne s’est guère émancipé de la philosophie, les programmes expriment une conception livresque de la discipline. Il n’y a que quatre chaires de sociologie, deux à la Sorbonne, une à Strasbourg, une à Bordeaux. Depuis 1920, la licence de philosophie comprend un certificat de " Morale et sociologie ".

" Exceptionnellement, la Faculté des lettres de Paris délivrait un certificat de sociologie qui n’était intégré dans aucune licence régulière (...). Mais aussi bien dans le cadre de la licence de philosophie que dans le cadre du certificat de sociologie de la Faculté des lettres de Paris, il n’y avait pas une intention manifeste de former des sociologues ; bien plutôt, s’agissait-il d’informer de la discipline sociologique des étudiants qui trouvaient ailleurs leur discipline fondamentale ".

C’est au cours de la période suivante que l’Université va tirer les conséquences de la redéfinition de la discipline qui a été entreprise par les chercheurs.

 

Phase 2, 1958-1976
L’élargissement de l’assise institutionnelle de la discipline

Nommé professeur à la Sorbonne en 1955, Raymond Aron est à l’origine de la création de la licence de sociologie, centrée sur un certificat de sociologie générale auquel s’ajoutent de l’économie politique et sociale dispensée dans les facultés de droit, de la psychologie sociale, et une autre discipline connexe prise dans une liste d’options qui varie d’un établissement à un autre (ethnologie, histoire moderne et contemporaine, géographie humaine, démographie, linguistique). La sociologie accède ainsi au statut d’une discipline ouvrant sur l’exercice d’une activité professionnelle au-delà du monde universitaire et des organismes de recherche.

En 1967 la réforme Fouchet vient étoffer le dispositif des enseignements avec la création d’un premier cycle de deux ans (le Duel) qui comporte une spécialisation en sociologie alors que cette discipline était absente des propédeutiques, et la mise en place de la maîtrise. Elle affaiblit le lien avec les sciences économiques : le CEPS était une composante obligatoire de la licence de 1958, l’économie devient optionnelle. Les licenciés de sociologie parisiens n’avaient pas eu à attendre la mise en place de la maîtrise pour accéder à une initiation à la recherche, ils pouvaient suivre à l’EPHE, dans les années soixante, les deux années d’enseignements de l’Eprass (Enseignement préparatoire à la recherche en sciences sociales), dispositif précurseur de l’ensemble maîtrise-DEA.

En 1964 un projet de diplôme d’expert-sociologue est présenté par Jean-René Tréanton dans le cadre de la Société française de sociologie. Il avorte. Mais à cette époque les diplômés de sociologie n’ont pas besoin d’un tel label pour trouver à occuper un emploi qui pour la majorité d’entre eux est en rapport direct avec leur formation.

Le nombre des enseignants de sociologie passe d’une vingtaine en 1958 à une centaine en 1968 et à environ 300 dix ans plus tard. Les effectifs du CNRS continuent de progresser, vivement jusqu’en 1964 (date à laquelle le chiffre de cent est atteint), plus lentement ensuite. Les centres de recherche se multiplient (Laboratoire de sociologie industrielle, directeur A. Touraine, 1958 ; Centre de sociologie européenne, dir. R. Aron, 1960 ; Groupe de sociologie des organisations, dir. M. Crozier, 1961...), de même que les revues (Sociologie du travail, créée en 1959 ; Revue française de sociologie, Archives européennes de sociologie, Communications et Etudes rurales en 1960 ; et, quinze ans plus tard, Actes de la recherche en sciences sociales). Le monde de la recherche demeure très parisien : en 1972, sur les 130 chercheurs du CNRS 15 seulement travaillent en province.

La recherche contractuelle connaît un essor difficile à chiffrer mais certainement massif. Elle est surtout financée par des organismes publics, notamment la DGRST et le CORDES. La croissance économique soutenue, la confiance largement répandue en une possible maîtrise du devenir de la société, les interrogations sur le sens et la portée des transformations sociales en cours à l’échelle de la planète (rapports Est-Ouest, décolonisations...) nourrissent une demande multiforme en direction des sciences sociales (développement de l’édition, afflux d’étudiants français et étrangers...).

Mai 68 creuse les différences entre la sociologie et la plupart des autres disciplines des sciences sociales, dont l’engagement militant et critique est moins affirmé. L’image d’une discipline agitée et agitatrice, et la visible absence de consensus entre sociologues quant à la définition des curricula n’excluent pas cependant que la sociologie soit de mieux en mieux reconnue socialement : puisque son objet est d’aborder et de reformuler des questions sur lesquelles le monde social bute sans trouver de solution, et que le monde bute beaucoup, on admet son existence, ses exigences de liberté intellectuelle, la diversité de ses méthodes d’investigation et d’analyse.

En 1970 l’introduction des Sciences économiques et sociales dans l’enseignement secondaire témoigne de l’accès de ces disciplines à une légitimité de même nature que celle, plus ancienne, des sciences et des humanités classiques. L’ouverture de sections de SES et de départements de sciences sociales dans les Ecoles normales supérieures à partir de 1972, la création de l’agrégation de sciences sociales en 1976 viennent couronner ce dispositif. La sociologie occupe dans cet ensemble pluridisciplinaire une place qui n’est ni marginale ni clandestine, mais le terme de " sociologie " n’apparaît ni dans les intitulés officiels des matières de l’enseignement secondaire ni dans ceux du Capes et de l’agrégation.

En une vingtaine d’années s’est donc constitué un vaste ensemble d’institutions au travers desquelles la sociologie a acquis une assise sans précédent.

 

Phase 3, 1976-1998
La sociologie dans l’université de masse

La transition entre la phase 2 et la phase 3 est progressive et l’année 1976 (création de l’agrégation de sciences sociales) n’est qu’un repère possible parmi d’autres.

La première phase, 1945-58, était marquée par le primat du CNRS, au sein duquel la sociologie, cessant d’être confinée dans les bibliothèques et les amphithéâtres, s’ouvrait à l’enquête et au travail empirique. La deuxième voyait se mettre en place, en une vingtaine d’années, un ensemble diversifié d’institutions (filières de l’enseignement supérieur, organismes de pilotage et de financement publics de la recherche contractuelle, apparition de la sociologie parmi les disciplines de l’enseignement secondaire...) qui élargissaient et consolidaient l’assise de la sociologie. La troisième phase donne lieu à un fort engagement de la sociologie dans les enseignements les plus caractéristiques de l’université de masse, et à un découplage entre le suivi de ces enseignements et l’exercice ultérieur du métier de sociologue.

Vers 1975, environ 500 diplômes de premier cycle de sociologie étaient délivrés annuellement, en 1995, 3500. La progression est moins rapide pour les licences, et surtout pour les maîtrises (de 300 vers 1975 à 800 vers 1995 ; cf. les graphiques 2 et 3). Au milieu des années soixante-dix, à trois DEUG décernés correspondaient, deux ans plus tard, deux maîtrises environ. Au milieu des années quatre-vingt-dix, on ne compte plus qu’une maîtrise pour trois DEUG. Les abandons et réorientations sont donc de plus en plus nombreux.

Graphique 2

Graphique 3

Diplômes de 1er et 2e cycles délivrés annuellement en sociologie

1970-1995

Diplômes délivrés annuellement par un enseignant titulaire de sociologie-démographie, 1977-1995

La sociologie figure dans un peloton de disciplines de création récente qui se retrouvent en première ligne pour l’accueil d’étudiants ayant obtenu le baccalauréat dans des conditions moyennes ou difficiles (graphique 4). L’intérêt intrinsèque pour des disciplines centrées sur la compréhension du monde contemporain est loin d’être absent de la demande étudiante qui se tourne vers les filières des sciences de l’homme et de la société (" La fac nous apprend à penser, et je ne vois rien de plus précieux au monde ", déclare un étudiant de l’Université de Nanterre interviewé par France-Inter le 22 mars 1998). Mais bon nombre des nouveaux inscrits ont tenté en vain de s’inscrire dans d’autres filières. Bon nombre des poursuites d’études sont imputables à la menace du chômage ou de la perte d’une couverture sociale. Bien des inscriptions en maîtrise viennent après un échec au concours d’entrée en IUFM en vue du professorat des écoles.

Le peloton de disciplines visible en haut à droite du graphique 4 comprend, outre la sociologie, la psychologie, les sciences de l’éducation, les sciences de l’information et de la communication, l’administration économique et sociale. Il accueille une proportion de bacheliers issus des filières technologiques similaire à celle qu’on observe dans les IUT ; cependant l’âge moyen des entrants est nettement plus bas dans les IUT qui eux opèrent un tri parmi les nouveaux bacheliers. Si les IUT offrent des volumes hebdomadaires d’enseignement et des conditions d’encadrement adaptés à des étudiants dont beaucoup n’ont pas acquis au lycée l’habitude d’organiser efficacement leur travail personnel, il n’en va pas de même dans ces filières universitaires, au sein desquelles les abandons sont fréquents (cf. graphique 2), même si l’intérêt pour le contenu des études est souvent fort. Au total le niveau de sortie tend à être plus élevé à partir des filières technologiques, censées former principalement des techniciens supérieurs, qu’à partir de filières universitaires d’enseignement général.

Graphique 4

Origine scolaire et âge des nouveaux bacheliers, par discipline universitaire à la rentrée 1997

Source : MENRT, DPD-C2

Les enquêtes menées par le CEREQ montrent que les diplômés de sociologie accèdent au marché du travail dans des conditions plutôt défavorables. En mars 1991, trente-trois mois après une sortie de l’Université au niveau licence, maîtrise ou bac + 5, la moitié des diplômés de sociologie ou d’ethnologie qui ont trouvé un emploi gagnent moins de 7323 F nets par mois ; aucune autre discipline n’est plus mal lotie. 21,6 % des anciens étudiants de sociologie interrogés ont connu au moins six mois de chômage depuis la fin de leurs études. L’auteur du rapport de 1994 relève la grande diversité des emplois occupés :

Sociologie : des perspectives médiocres en matière d’insertion
L’entrée dans la vie active après un diplôme en sociologie est marquée par une tendance à la précarité et des salaires peu élevés.

Dans l’enseignement, les débouchés se limitent essentiellement aux emplois d’instituteurs jusqu’au niveau du DEA. Seul le doctorat donne réellement accès à l’enseignement supérieur.

Les diplômés n’occupent pas toujours des emplois qui correspondent à leur niveau : après le DEA, 45 % seulement accèdent à un poste de cadre. Le niveau des salaires s’en ressent : ceux-ci sont nettement inférieurs à ceux des autres diplômés.

La gamme des emplois occupés en dehors de l’enseignement est tellement large qu’il est impossible de discerner des débouchés types. "

Beaucoup d’autres disciplines disposent de " débouchés-types " : en histoire, par exemple, même si une minorité seulement des étudiants accède au niveau du Capes ou de l’agrégation, les attentes des universitaires à l’égard des étudiants sont structurées par le débouché-type que constitue le professorat d’histoire dans l’enseignement secondaire. Cette structuration par l’aval de la formation fait assez largement défaut en sociologie. Le souci de répondre positivement à la demande de poursuite d’études émanant de garçons et filles qui cherchent à s’ouvrir une fenêtre sur le monde contemporain et à améliorer leur culture générale, ou qui trouvent dans la condition étudiante des avantages intrinsèques immédiats, l’emporte donc sur la définition extrinsèque d’un niveau d’exigence qui serait en rapport avec des perspectives de professionnalisation ou de maîtrise intellectuelle clairement définies.

Par ailleurs les caractéristiques peu prestigieuses du recrutement et des débouchés de la filière sociologique freinent les possibilités de développement de la sociologie en tant que composante minoritaire dans des filières plus valorisées (médecine, sciences économiques, histoire...).

L’écart se creuse entre les étudiants de sociologie issus de l’université de masse et ceux qui, en petit nombre, se tournent vers cette discipline après avoir franchi les barrières qui se dressent à l’entrée des Ecoles normales supérieures, de l’Institut d’études politiques de Paris ou de quelques écoles d’ingénieurs, ou qui sont seulement issus des classes préparatoires littéraires S, voie créée en 1984. Entre ces deux pôles, les titulaires de DESS à composante sociologique font l’expérience d’une professionnalisation plus ou moins poussée, dont le bilan, inégal et probablement prometteur, reste largement à tracer. Les diplômés de sociologie qui cherchent du travail dans le secteur marchand ne trouvent généralement guère d’intérêt à déployer la bannière de leur discipline, non pas tant, probablement, en raison des connotations soixante-huitardes qui peuvent encore s’y attacher qu’à cause du faible niveau de performance académique généralement associé à ces diplômes. " On ne se réclame pas de la sociologie : on s’en sert ", déclarait un sociologue travaillant dans une agence de publicité lors d’une table ronde sur les usages de la sociologie dans les entreprises.

Dans son segment universitaire, le plus institué et le plus visible, la sociologie apparaît comme marquée par des contrastes intergénérationnels d’une ampleur sans précédent. Quelques centaines d’enseignants majoritairement titulaires ont reçu pour mission de former à la sociologie des étudiants qui pour la plupart ne deviendront pas sociologues et dont beaucoup seront exposés à une grande précarité. La formation assez générale que ceux-ci auront acquise les aidera certainement à penser le monde du XXIe siècle, mais beaucoup d’entre eux, mal dotés en capital scolaire initial et largement laissés à eux-mêmes eu égard aux conditions d’encadrement prévalant dans les premiers cycles de lettres et sciences humaines, ne parviendront pas à acquérir les méthodes de travail qui leur font défaut.

L’évolution vers une telle formule d’organisation de l’enseignement peut être considérée comme une sorte de vaste effet Condorcet : personne ne l’a planifiée ni souhaitée. Le chemin qu’a suivi la sociologie universitaire est pour l’essentiel le produit d’un ensemble de règles et de décisions à la définition desquelles les sociologues n’ont que très partiellement contribué.

Des étudiants n’ont pas trouvé de place dans la filière sélective de leur choix. Des responsables de différentes instances ont accepté de constituer des groupes de TD de 1er cycle pléthoriques et de réduire la part des TD à la portion congrue. Des directions d’administrations centrales ont mis au point des normes (Sanremo) proportionnant les créations d’emplois d’enseignants du supérieur au nombre d’étudiants - la légitimité de telles normes est problématique : elles ne prennent en compte ni l’efficacité diplômante des filières ni les débouchés des étudiants, mais elles entérinent d’énormes inégalités d’encadrement entre grands groupes de disciplines et réservent aux sciences de la nature la reconnaissance de coefficients d’expérimentalité permettant de dispenser aux étudiants une formation pratique. Des IUT, directeurs et étudiants confondus, se sont mobilisés pour éviter d’avoir à accueillir davantage de bacheliers technologiques et ont obtenu satisfaction.

Les filières de sociologie ont connu dans ces circonstances une popularité quelque peu ambiguë, qui serait certainement de meilleur aloi si le suivi des étudiants pouvait être plus rapproché et si la place faite à l’enseignement pratique de l’observation et de la théorisation sociologiques articulées était plus importante.

Alain Chenu

 

 

 

***

Henri Mendras

extrait de

Comment devenir sociologue
Souvenirs d'un vieux mandarin

Chombart et Maucorps puis l'Amérique, nous avaient convaincus que la recherche devait se faire en équipe. Les premiers avaient la conviction que, dorénavant, la recherche en sciences sociales serait une oeuvre collective. Je ne sais pas où Maucorps avait acquis cette conviction. Chombart avait été inspiré par Uriage - cette école de cadres où le sens de l'équipe était une valeur hautement prônée - et par son idéologie communautaire de chrétien de gauche. Pour eux, la recherche solitaire ne valait que pour les disciplines littéraires ; elle n'était pas adaptée aux sciences sociales. Il s'en fallait de peu que l'équipe de Chombart ne devînt une communauté de vie, ou une secte autour du maître : le tutoiement s'imposait d'emblée pour tous, ce qui était étrange a l'époque, et un scrupuleux égalitarisme régnait entre tous, même avec "Paul-Henry" à l'égard de qui on redoublait évidemment de respect, pour ne pas dire de dévotion, pour ce maître plus âgé qui avait eu une expérience de vie que chacun admirait. L'équipe était installée dans un recoin du musée de l'Homme, une sorte de bastingage qu'elle partageait avec Jean Rouch qui inventait le cinéma ethnographique. Au retour des Etats-Unis, Dampierre et moi, nous fûmes agrégés quelque temps à l'équipe avant de prendre notre autonomie. Chez Maucorps l'atmosphère était plutôt celle d'un commando de marine où le chef était entouré de ses "sbires", comme ils s'appelaient eux-mêmes.

Le CES se constituait donc en équipes. Friedmann distribuait les champs de la sociologie par pans entiers : à Touraine les ouvriers, à Crozier l'administration, à Dofny les bidonvilles, à Tréanton la ville, à Reynaud les syndicats, à Viviane Isambert l'école, à Madeleine Guilbert les femmes, à Roland Barthes la littérature, à Edgar Morin le cinéma, à Mendras les paysans, etc. C'est ainsi que se construisait a l'époque ce qui deviendra la politique scientifique, objet de colloques et de doctrine. Friedmann agissait en grand féodal, qui distribue des apanages à ses vassaux. J'ai toujours eu le sentiment que je tenais de lui mon "fief paysan". En fait, le rapport était plus subtil : nous apportions notre domaine, nous lui en faisions hommage et il nous le rendait en toute légitimité, comme un grand suzerain auquel des vassaux viennent demander protection et jurent fidélité. Ayant son champ bien délimité, Le Bras voyait se rassembler autour de lui Henri Desroche, Emile Poulat, Jacques Maître, François Isambert. Georges Balandier et Paul Mercier fondaient la sociologie africaine. Gurvitch développait la sociologie de la connaissance avec Albert Memmi, Jean Duvignaud et Jean Cazeneuve. Robert Pagès inventait la psycho-sociologie expérimentale. D'une autre génération, Naville hésitait entre la psychologie et la sociologie du travail. Les individus les plus divers aux passés les plus variés découpaient de grands morceaux de société dont chacun s'emparait pour en faire son domaine : domaines de la réalité tels que la société elle-même les définissait et nous les offrait. (p.56-57)

INFORMATIONS SUR LE CNU,
19e SECTION
Sociologie, démographie

 

Alain Chenu

Président de la 19e section du CNU
(Sociologie, démographie)

I

Bilan des qualifications aux fonctions de maître de conférences et de professeur, 1998

L’année 1998 a été marquée par le retour à la procédure de qualification en vigueur de 1992 à 1995, le CNU intervenant en première ligne dans l’examen des dossiers alors qu’en 1996 et 1997 les commissions de spécialistes effectuaient d’abord une sélection à l’échelon local. La 19e section du CNU s’est donc trouvée à même, comme en 1992, d’avoir une vue d’ensemble au plan national des nouvelles candidatures à un emploi d’enseignant-chercheur en sociologie-démographie.

Les qualifiés de 1994 et 1995, qui pensaient pouvoir faire acte de candidature de 1994 à 1998 et de 1995 à 1999 respectivement, étaient rétablis dans les droits qui leur avaient été enlevés en 1996 ; ceux de 1996 et 1997, initialement qualifiés pour un an, voyaient ces droits étendus de 1998 à 2000 et de 1998 à 2001. Les candidats déjà qualifiés - peu d’entre eux le savaient - avaient la faculté de prolonger leur période de qualification en représentant leur candidature. Inversement certains qualifiés de 1996 ou 1997, qui dans un premier temps ignoraient que leur qualification avait été inopinément prolongée, ont retiré leur dossier en cours de procédure.

 

Les conditions de travail de la section

La 19e section du CNU a siégé pendant une journée pour la qualification des professeurs (en traitant environ six dossiers à l’heure), et pendant quatre jours pour celle des maîtres de conférences (en traitant à peu près dix dossiers à l’heure). Chaque rapporteur avait eu à examiner environ 25 dossiers. Fidèle à sa tradition minimaliste, le Ministère n’avait offert aux membres de la section, en dépit de l’afflux prévisible des dossiers et de la longueur des sessions, ni le moindre café ou verre d’eau, ni les moyens en secrétariat qui permettraient d’alléger quelque peu le travail du bureau. L’hospitalité des Universités de Paris VII et Paris V a permis à la section de travailler dans des locaux fonctionnels et bien situés. Au terme de la session, il revenait encore aux rapporteurs d’assurer la réexpédition des dossiers aux candidats ; M. le chef du bureau de l’organisation du recrutement des personnels de l’enseignement supérieur (DPE-E4) avait rappelé dans une note du 23 mars 1998 à l’attention des présidents des sections du CNU : " Après la réunion de la section, les rapporteurs, par l’intermédiaire de leur établissement d’exercice, feront retour aux candidats de leurs dossiers de travaux ". Ainsi l’appartenance au CNU offre l’occasion de faire alterner agréablement travail intellectuel et confection de colis, puis de tester la résistance de vaguemestres appliquant avec plus ou moins de fermeté les consignes de limitation des dépenses d’affranchissement qu’ils ont généralement reçues de leur président d’université.

Lors de la qualification des professeurs, tous les membres de la section ont été présents de bout en bout. Lors des quatre jours des m.c., quelques collègues ont dû s’absenter brièvement, mais toutes les décisions ont été prises en présence des deux rapporteurs, et toujours dans des conditions de quasi plenum. Lorsque les avis des deux rapporteurs étaient favorables et qu’aucun membre de la section n’avait de réserve à exprimer, les rapporteurs présentaient généralement une version condensée de leur analyse du dossier ; de la sorte les autres cas pouvaient être examinés de manière un peu moins succincte. Il avait été convenu en début de session que les décisions acquises à une courte majorité seraient réexaminées en fin de session au vu de l’ensemble des cas traités, ce qui a été fait pour une dizaine de dossiers de maîtres de conférences et a abouti à quelques renversements au bénéfice de candidats qui avaient d’abord été écartés.

Une fois de plus, la session a mis en relief l’hétérogénéité des pratiques des jurys de thèse ou d’habilitation, hétérogénéité qui est une des justifications principales de l’existence du CNU.

Pour les habilitations, telle université exige que le candidat ait publié au moins un ouvrage, tel autre qu’il soit passé sous les fourches caudines de revues scientifiques à comité de lecture, tel autre encore que le mémoire de synthèse dépasse un certain nombre de pages. Pour les thèses, la dérive vers la plus haute mention étant assez générale, certains rapports de soutenance relèvent que telle ou telle mention a été attribuée à l’unanimité, ou au contraire à la majorité simple, d’autres rapports sont muets sur les conditions dans lesquelles la décision a été acquise ; certains établissements réservent les félicitations aux cas où le jury est unanime à les proposer. Cette diversité s’élève à la puissance deux lorsqu’on prend en compte les disciplines connexes de la sociologie et de la démographie, l’hétérogénéité la plus flagrante - mais elle est bien connue - concernant le niveau de l’habilitation qui diffère très peu de la thèse dans les disciplines à agrégation du supérieur. Au total, les membres du CNU devraient, pour être en mesure de porter des avis pleinement qualifiés, détenir une vaste connaissance de ces pratiques locales et disciplinaires, là où en principe une grille unique prévaut pour des diplômes réputés nationaux ; en fait cette connaissance, inégalement répartie, s’accumule progressivement au fil des sessions et se perd partiellement d’une génération de rapporteurs à la suivante.

On constate par ailleurs que quelques jurys de thèse ou d’habilitation font assez mal leur travail. Les uns, schizoïdes, attribuent à l’unanimité la meilleure mention possible et signent un rapport de soutenance qui laisse entrevoir des faiblesses abyssales dans le dossier du candidat. Les autres, heureusement très peu nombreux, étalent leur insuffisance sans retenue. Tel rapport tient sur une demi page. Tel autre est qualifié de torchon par un rapporteur. Quelques uns, de nombreux mois ou même plusieurs années après la soutenance, sont totalement absents ; à défaut de copie du rapport l’administration de l’université en question a délivré un certificat de carence. Dans tous ces cas, la responsabilité des membres du CNU s’alourdit : les plus raides donneront d’emblée un avis négatif, d’autres, soucieux de ne pas faire subir au candidat le poids des inconséquences de son jury, effectueront des relances, puis se livreront à une lecture approfondie des travaux figurant au dossier (parfois la thèse manque aussi, en ce cas la décision est presque automatiquement défavorable). Certains membres du 2e collège - et même du premier - ne s’engagent qu’avec réticence dans de telles évaluations ou réévaluations qui peu ou prou mettent en cause la compétence de collègues en place.

Souvent le travail des rapporteurs est rendu plus difficile par la présentation inadéquate des C.V. et listes de travaux. Deux faiblesses sont fréquemment relevées.

Certains candidats ignorent, ou feignent d’ignorer, ce qu’est une publication. Une publication est un texte effectivement paru dans un ouvrage ou une revue portant un numéro ISBN ou ISSN. Les autres textes (à l’exception des thèses et mémoires de synthèse d’habilitation) présentent généralement moins d’intérêt pour les rapporteurs, puisque leur diffusion est restreinte ou nulle. Il peut être utile de mentionner des textes à paraître, mais il est indispensable d’établir de nettes différences entre ce qui est sous presse, ce qui a fait l’objet d’une décision favorable de l’éditeur (avec ou sans modifications demandées ; conseil aux candidats : joindre une copie des contrats ou courriers d’acceptation), ce qui a été proposé à la publication, ce qui est écrit mais non proposé, ce qui est en préparation mais non encore écrit. Une des corvées les plus fastidieuses (et les plus récurrentes) d’un rapporteur auprès du CNU ou d’une commission de spécialistes est d’éplucher une bibliographie interminable pour s’assurer que de véritables publications ne sont pas noyées dans une masse de mémoires ou rapports plus ou moins confidentiels, de manuscrits, de communications à des colloques peu sélectifs, de notules, de projets non aboutis. Un conseil donc aux candidats : hiérarchiser l’information, donner des références précises (avec toutes les indications habituelles, pagination et lieu d’édition notamment), distinguer les recensions des articles, caractériser les revues ou les éditeurs s’ils sont peu connus, donner un résumé des publications importantes.

Certains candidats ignorent, ou feignent d’ignorer, que la définition de leur appartenance disciplinaire va être cruciale dans l’évaluation de leur dossier. Un bon C.V. doit donc indiquer clairement de quelles disciplines relèvent les diplômes de second et troisième cycle, les membres du jury de thèse, les matières enseignées, les institutions de recherche et d’enseignement auxquelles appartient ou a appartenu le candidat.

Qualification aux fonctions de maître de conférences

Sur 359 candidats, 343 ont finalement présenté un dossier complet. 185 (54 %) ont été qualifiés En 1992, sur 330 candidats, 43 % avaient obtenu leur qualification. Les informations pour 1992 sont issues de l’article de Pierre Tripier, "Campagne de qualifications 1992. Dossier statistique", La Lettre de l'ASES, n° 12, 1992.

Les candidates ont eu de meilleures chances que les candidats. Les taux de qualification sont de 60 % et 49 % respectivement ; en 1992 ils étaient identiques pour les deux sexes. 37 % des candidats et 48 % des qualifiés sont des femmes.

On observe un abaissement sensible de l’âge moyen des qualifiés, qui est en 1998 de 35,8 ans, contre 39,3 en 1992. En 1998, 47 % d’entre eux ont moins de 35 ans, en 1992 22 % seulement étaient dans ce cas.

Répartition par âge des qualifiés (%)

Taux de qualification selon l’âge (%)

Le taux de qualification décroît avec l’âge. L’avantage des plus jeunes est plus marqué en 1998 qu’en 1992, mais le taux de qualification globalement plus élevé en 1998 est largement fonction de la plus grande jeunesse des candidats de 1998.

Les deux tiers des candidats ayant soutenu leur thèse en 1997 ou 1998 obtiennent leur qualification. Le taux passe à la moitié pour ceux qui ont soutenu en 1995 ou 1996, et à 35 % pour les autres. Des écarts similaires s’observaient en 1992.

Le niveau d’exigence du CNU en matière de publication est fonction de l’âge. Un candidat de trente ans présentant un bon rapport de soutenance et ayant un peu d’expérience d’enseignement de la sociologie peut présenter un dossier de publication à peu près vide en ayant de grandes chances d’être qualifié. Le même dossier émanant d’un candidat sensiblement plus âgé sera probablement refusé.

La qualification est bien sûr plus difficile pour les candidats dont le directeur de thèse ne relève pas de la 19e section du CNU. On note que le taux de succès des candidats ayant un directeur politiste est presque aussi élevé que pour les directeurs sociologues ou démographes, alors qu’il est seulement de trois sur dix pour l’ethnologie, discipline traditionnellement très proche de la sociologie. La composition du CNU, avec la part d’aléa qu’elle présente, permet probablement à certaines sensibilités interdisciplinaires de s’exprimer mieux que d’autres. Ces chiffres doivent toutefois être interprétés avec prudence, eu égard à la faiblesse des effectifs observés et aux incertitudes sur le classement de certains directeurs.

Discipline CNU du

Qualification

Taux de qual.

directeur de thèse

Oui

Non

Total

(%)

Sociologie, démographie

127

63

190

67

Ethnologie, préhistoire

8

20

28

29

Science politique

15

9

24

63

Science économique

7

10

17

41

Psychologie

2

10

12

17

Histoire

3

9

12

25

Sciences de l'éducation

2

5

7

29

Autres, indéterminés

21

32

53

40

Total

185

158

343

54

Le rapport des chances d’être qualifié plutôt que de ne pas l’être, selon que l’on est en thèse avec un directeur sociologue ou non, était de 2 en 1992, il passe à 3 environ en 1998 : dans le cadre d’une augmentation globale du taux de qualification, la 19e section est un peu plus exigeante quant à l’appartenance disciplinaire en 1998 qu’en 1992.

Campagne 1998

Campagne 1992

Disc. CNU du dir. de thèse

Oui

Non

Total

Taux de qualif.

Oui

Non

Total

Taux de qualif.

Sociologie, démographie

127

63

190

67

90

87

177

50

Autres, indéterminés

58

95

153

38

48

95

143

33

Total

185

158

343

54

138

182

320

43

 

Qualification des maîtres de conférences en sociologie-démographie

selon l’établissement de soutenance de la thèse

Qualifications 1998

Qualifications 1992

Etablissement

Oui

Non

Total

% qual.

Oui

Non

Total

% qual.

EHESS Paris

26

21

47

55

29

21

50

58

Paris 5

15

15

30

50

6

24

30

20

Paris 10

15

12

27

56

12

14

26

46

Paris 7

10

12

22

45

15

19

34

44

Paris 1

11

6

17

65

1

10

11

9

Paris 8

9

7

16

56

6

7

13

46

Paris IEP

13

2

15

87

4

0

4

100

Toulouse 2

6

9

15

40

5

9

14

36

Strasbourg

7

3

10

70

4

5

9

44

Aix-Marseille 1

3

5

8

38

5

10

15

33

Lille 1

4

4

8

50

2

1

3

67

Nantes

7

1

8

88

1

1

2

50

Bordeaux 2

4

3

7

57

2

4

6

33

Lyon 2

5

2

7

71

15

2

17

88

Grenoble IEP

3

3

6

50

Paris 3

2

4

6

33

0

3

3

0

Paris 4

1

4

5

20

3

3

6

50

Grenoble 2

1

3

4

25

1

5

6

17

Picardie

2

2

4

50

0

1

1

0

Rouen

1

3

4

25

1

1

2

50

Tours

2

2

4

50

Bretagne occidentale

2

1

3

67

EHESS Marseille

3

0

3

100

Franche-Comté

3

0

3

100

Perpignan

2

1

3

67

Strasbourg 1

1

2

3

33

4

5

9

44

Aix-Marseille 2

1

1

2

50

Aix-Marseille 3

2

0

2

100

Bordeaux 3

2

0

2

100

Lyon 1

0

2

2

0

Nice

1

1

2

50

Paris 2

0

2

2

0

Paris 9

2

0

2

100

0

2

2

0

Rennes 2

1

1

2

50

1

0

1

100

Toulouse 1

2

0

2

100

Caen

0

1

1

0

2

1

3

67

Autres établ. (France)

7

10

17

41

2

3

5

33

Etranger

5

9

14

36

//

//

//

//

Inconnu

4

7

11

36

8

27

35

23

Total

185

158

343

54

129

178

307

42

Les établissements gros fournisseurs sont à peu près les mêmes en 1998 et six ans auparavant : l’EHESS vient en tête avec une cinquantaine de candidats, Paris V, Paris X et Paris VII suivent avec une trentaine chacun. Les taux de succès de Paris I et Paris V se sont améliorés et rapprochés de la moyenne.

La liste nominative des qualifiés est la suivante.

Qualification aux fonctions de maître de conférences, 19e section du CNU, 1998

ADAM

philippe

FLAHAULT

erika

MOUMEN-MARCOUX

radhia

ALBERT

irene

FLEURDORGE

denis

MULLER

laurent

ALLAM

malik

FLEURIEL

sebastien

NEZOSI

gilles

AMIRAUX

valerie

FORTINO-VASQUEZ-CRUZ

sabine

NICOLAS-LE-STRAT

pascal

ARGOUD

dominique (h)

FOUR

pierre-alain

NICOURD

sandrine

ATTABOU

el-rhazi

GARNIER-MULLER

annie

NIZARD-BENCHIMOL

sophie

AUTISSIER

anne marie

GELIN-MOUJEARD

muriel

NOUMEN

robert

AZAM

martine

GERARD

benedicte

OBADIA

lionel

BACHELET

remi

GHEORGHIU

mihai-dinu

OBLET

thierry

BARGES

anne

GIBOUT

christophe

OCTOBRE-LEOTY

sylvie

BARNIER

frederique

GILBERT

yves

OSSMAN

susan

BAZENGUISSA-GANGA

remy

GOUIRIR

malika

PASCAIL

laurent

BEN AMOR

leila

GOUSSEF-KLEIN

catherine

PELAGE

agnes

BERA

matthieu

GOYAUX-AUGEREAU

nathalie

PENNEC-CLOAREC

simone

BERGERON

henri

GROSSEIN

jean-pierre

PERIER

pierre

BERNARDOT

marc

GUIRAUDON

virginie

PERILLEUX

thomas

BERREBI-HOFFMANN

isabelle

GUYENNOT

claudel

PIRIOU

odile

BERTHET

jean-marc

GUYOT

david

PREVOST

gerard

BESSON-DEROUET

marie-claude

HARRIBEY

jean marie

PREVOST

cecile

BLIN

thierry

HASSOUN

judith

PRYEN

stephanie

BLOY

geraldine

HEAS

stephane

RAGOUET

pascal

BONFILS

beatrice

JANVIER

valerie

RANDAXHE

fabienne

BONNET

bernard

KAISER

judith

RAULT

francoise

BOUIX

michele

KAJAJ

khalid

REBUGHINI

paola

BOUKOBZA

eric

KAMRANE

ramine

REGINENSI

odile

BRUGEILLES

carole

KERROUCHE

eric

RICHARD

jean-luc

BUCAILLE

laetitia

LABIT

anne

RINAUDO

christian

CAILLAT PINA

christine

LAFABREGUE

claude (h)

RIO-LARQUETOUX

fabienne

CAILLE

frederic

LAIGLE

lydie

ROBERT

sylvain

CAMUS

agnes

LAZAR-BENKO

judith

ROGGERO

pascal

CARDON

patrick

LAZUECH

gilles

ROLAND

pascal

CHABANET

didier

LE-COADIC

ronan

ROUDET

bernard

CHANTREL

valerie

LE-DANTEC

eliane

ROUX

nicole andree

CHAPUT

pascale

LE-GUENNEC

nicole

SA-DE-CASTRO-THOMASSET

elisabeth

CHARIER

alain

LE-GUYADER

alain

SADAUNE-DE-OLIVEIRA

delphine

CHATEL-DE-BRANCION

elisabeth

LE-QUENTREC

yannick

SAGLIO

marie-caroline

CHAUDOIR

philippe

LE-SAOUT

remy

SANCHEZ-NEYRAT

yvonne

CHAUMIER

serge

LE-SAOUT

didier

SANTELLI

emmanuelle

CHAUVEL

louis

LECLERCQ

etienne

SAVARESE

eric

COHEN-GREENFIELD

danielle

LECLERCQ

emmanuelle

SCHAFFHAUSER

philippe

COLIN

patrick

LEGENDRE

florence

SCHEHR

sebastien

COLLARD

luc

LEMIEUX

cyril

SCHUERKENS

ulrike

COLLET-SALL

beate

LEROUX

nathalie

SECK

ibrahima

CRENN

chantal

LEVILAIN

herve

SERVEL

laurence

DARDOUR

mohamed

LEVY

clara

SIMOULIN

vincent

DAUM

christophe

LIOT

françoise

TEISSIER

claude

DE-LOENZIEN

myriam

MAHJOUB-GUELAMINE

faiza

THEVENIN

olivier

DERFOULI

noua

MAIGRET

eric

THIAUDIERE

claude

DEVINEAU-BERTRAND

sophie

MALLET

jean olivier

THOEMMES

jens

DHINA-BETTAHAR

yamina

MARCEL

jean-christophe

TORRES

sandy

DIANTEILL

erwan

MARCHANDET

eric

TORRES

anita

DIASIO

nicoletta

MARCHETTI

dominique (h)

TOUTAIN

stephanie

DIRKX

paul

MARTUCCELLI

danilo

TRABAL

patrick

DRESSEN

marnix

MARTIGNONI

jean-pierre

TRIVIERE

françois xavier

DUBOIS

michel

MASSERAN

anne

UBBIALI

georges

DUBOIS

jerome

MATHIEU

lilian

VAKALOULIS

michel

DUROUSSET

eric

MAUNAYE

emmanuelle

VASSY-ROBERT

carine

ELBAZ

gilbert

MAZEREAU

philippe

VERBA

daniel

ETHIS

emmanuel

MEHEUST

bertrand

VILLECHAISE

agnès

EYRAUD

corinne

MESATFA

nassera

VINEL

virginie

FALQUET

france

MILLIOT

virginie

ZALIO

pierre-paul

FARJOT-DUPRE

michele

MORICOT

caroline

 

 

Qualification aux fonctions de professeur

Sur 57 candidats, 53 ont finalement présenté un dossier complet. 34 (64 %) ont été qualifiés. En 1992, les candidatures étaient plus abondantes (78 dossiers complets), mais le taux de qualification beaucoup plus faible (35 %, 27 qualifiés). En 1998, 9 des 14 candidates ont été qualifiées (9 sur 25 en 1992). Les taux de qualification sont à peu les mêmes pour chacun des deux sexes, en 1998 comme en 1992, mais la part des femmes a légèrement diminué. L’âge moyen des qualifiés atteint 48,4 ans, ce qui est beaucoup (en 1992 il était de 47,6). Le taux de qualification est à peu près indépendant de l’âge des candidats (en 1992 beaucoup des plus jeunes avaient échoué).

Parmi les 36 candidats actuellement maîtres de conférences, 24 ont été qualifiés. Parmi les 17 autres, 10 l’ont été - soit un taux un peu plus faible, mais l’écart n’est pas significatif.

 

 

Qualification aux fonctions de professeur, 19e section du CNU, 1998

Liste nominative

ADDI

Lahouari

FLICHY

Patrice

ROBERT

Andre

BLAYO

Chantal

GARRIGUES

Emmanuel

SAVOYE

Antoine

BLOSS

Thierry

GAUTHIER

Alain

SCHULTHEIS

Franz

BOUVIER

Alban

JEUDY

Henri-Pierre

SCHWARTZ

Olivier

BRUNET

Guy

JUAN

Salvador

STEINER

Philippe

CASTELAN-MEUNIER

Christine

LACROIX-VALLS

Marie-Noëlle

SYLVESTRE

Jean-Pierre

DARDY

Claudine

LAMY

Yvon

TEISSERENC

Pierre

DE-QUEIROZ

Jean-Manuel

LAZAR-BENKO

Judith

TEIXEIRA-PERALVA

Angelina

DENÈFLE

Sylvette

LEROY

Marc

VANBREMEERSCH

Marie-Caroline

FARRO

Antimo

MERLE

Pierre

VINCK

Dominique (h)

FELOUZIS

Georges

PADIOLEAU

Jean-Gustave

FILATRE

Daniel

PICQ

Francoise

 

 

Deux souhaits en vue d’un meilleur fonctionnement ultérieur

Les membres de la section ont entendu environ 800 rapports, ils ont rédigé en séance près de 200 motivations de refus. Pour qu’à l’avenir ils puissent effectuer dans des conditions un peu plus satisfaisantes et plus équitables un travail qui est manifestement soumis à des cadences de type industriel, il paraît souhaitable de mieux informer les candidats quant aux attentes du CNU, et d’améliorer la lisibilité des diplômes et des mentions.

Le Ministère pourrait faire figurer sur son site Internet (ou diffuser par d’autres moyens) une page ou deux de recommandations aux candidats à une qualification en 19e section. Ces recommandations seraient définies conjointement par le CNU et le Ministère. Elles définiraient notamment les renseignements devant figurer sur les CV adressés au président de section avant la désignation des rapporteurs par le bureau. Cette année, par exemple, la moitié environ de ces CV n’indiquaient pas la composition du jury de thèse. Le bureau s’efforce de limiter la redondance dans les évaluations et évite donc de désigner comme rapporteur un collègue qui a déjà été membre du jury du candidat, mais une fois sur deux il n’a pas été en mesure d’appliquer ce principe. Il serait aussi conseillé aux candidats de hiérarchiser la liste de leur travaux, de spécifier la discipline ou les disciplines dont relèvent leurs diplômes et leurs enseignements. Si les candidats se conformaient presque tous à ces consignes et libellaient leur CV selon un questionnaire assez standardisé, le travail ultérieur du bureau et de la commission serait simplifié. Si en outre des documents de travail récapitulatifs pouvaient être préparés par du personnel administratif mis pour quelque jours à la disposition de la section, les conditions de travail de la 19e section mériteraient peut-être d’être qualifiées de bonnes.

La diversité des usages en matière d’attribution des mentions de thèses et d’examen préalable des dossiers d’habilitation est préoccupante. Il est certainement très difficile de la réduire. Ou bien le Ministère, entendant préserver le caractère national des diplômes, opère un travail d’harmonisation et met un terme à la prolifération des règlements adoptés par les conseils scientifiques des universités ; ou bien, à l’inverse, il laisse plus d’autonomie aux établissements - dans ce cas le plus sage serait probablement de renoncer à toute idée de grille unique de mentions. La question, complexe, dépasse le cadre d’une discipline.

7 mai 1998

II
Gestion des carrières 1998

La 19e section s’est réunie le 15 juin pour décider des promotions au titre de la voie 1, pour préparer les décisions au titre des voies 2 et 3, pour allouer deux congés sabbatiques et pour examiner une demande de reconstitution de carrière. Le groupe IV (sections 16 à 24) s’est réuni le 23 juin pour décider des promotions au titre de la voie 3.

Promotions

 

Etablissements, voie 1

Contingent national

M.C. 1ère classe

Promouvables :

voie 1 : 86

voie 2 : 1

voie 3 : 1

AIT-ABDELMALEK Ali

ASPE Chantal

BAUMANN Michèle

BOULAHBEL-VILLAC Yeza

CHEIBAN Ali

DRAPERI Jean-François

DURAN Patrice

ERTUL Servet

GANDOULOU Justin

MAILLARD Alain

MARX-HERBERICH Geneviève

MEYER Jean-Louis

ORFALI-CAMEZ Birgitta

RAYNAUD Dominique (h)

SALLES Denis

SIMMAT-DURAND Laurence

TAROT Camille (h)

Voie 1

CADE-BERCOT Régine (au 1/1/98)

CINGOLANI Patrick

DEMEULENAERE Pierre

GAUDEZ Florent

HERREROS Gilles

KLINGER Myriam

KOKOREFF Michel

LAFAYE Claudette

LEGOUX Luc

LONGUET-MARX-DELAUBIER Frédérique

MOZERE Liane

PAYET Jean-Paul

PORCHER-STOUVENEL Pascale

M.C. hors classe

Promouvables :

voie 1 : 85

voie 2 : 4

voie 3 : 4

DEFERT Daniel

LAGOUTTE Jean

MARHUENDA Jean-Pierre

MIMIAGUE Michel

MORIN Jean-Michel

Voie 1

BLEITRACH Danièle

CHAUDRON Martine

LIEGEOIS Jean-Pierre

SIMONNET-PERVANCHON Maryse

Voie 3

CUIN Charles-Henri

Pr. 1ère classe

Promouvables :

voie 1 : 85

voie 2 : 2

voie 3 : 2

ELIARD Michel

HUET Armel

LE BRETON David

MAROUF Nadir

ROSE José

STEUDLER François

TRIPIER Maryse

Voie 1

COSIO Maria

GUTH Suzie

HIRSCHHORN Monique

MOREAU DE BELLAING Louis (1/1/98)

TERRAIL Jean-Pierre

Pr. cl. exceptionnelle

Promouvables :

voie 1, 51 ; voie 2, 2 ; voie 3 : 1

DE MONTLIBERT Christian

Voie 1

BERNAND Carmen

Pr. cl. exc. 2e échel.

Promouvables :

voie 1, 2 ; voie 2, 2

Néant

Néant

 

Congés pour recherche et conversion thématique

BOURGET Jacqueline et GUIENNE Véronique : un semestre chacune. Les deux autres demandes (Retière J.-N. et Ponton R., dans cet ordre) sont considérées favorablement et transmises au ministère pour le cas où un reliquat serait disponible.

Reconstitution de carrière

DELCROIX Catherine, 3 ans et 7 mois de services effectués dans des organismes de recherche privés (validés à raison du tiers).

Alain Chenu

 

 

 

 

 

 

***

 

 

TRIBUNE LIBRE

Suite à la campagne de recrutement...

Georges Ubbiali
Université de Dijon

Suite a la campagne de recrutement des MCF 98, permettez-moi de vous adresser quelques remarques d'un candidat sur les conditions de recrutement et plus particulièrement sur la diffusion des informations.

La tension engendrée par la forte concurrence produit en effet son lot de rumeurs, tandis que les bruits de couloirs et les informations contradictoires se multiplient. Une meilleure publicité permettrait d'améliorer la lisibilité du processus de recrutement.

La composition de la commission de spécialistes constitue un des paramètres décisifs de l'audition. On construit d'autant mieux une argumentation qu'elle s'adresse à un public ciblé. J'ai donc écrit aux présidents de chacune des universités (une trentaine) où j'ai posé ma candidature. Naïvement, j'en attendais des réponses rapides et circonstanciées. Grosso modo, je n'ai reçu une réponse qu'à un tiers de mes courriers, certaines après les auditions. Quelques universités prennent la peine de répondre qu'elles refusent de communiquer les noms des membres (sans justifier), la plupart évitent, dans un légitime souci d'usage circonstancié des deniers publics, de gaspiller le coût d'un timbre. On peut comprendre que les universités ne soient pas en mesure d'envoyer à temps la composition des commissions de spécialistes. Si les membres de quelques commissions organisent un tour de présentation avant l'audition, ne serait-il pas plus simple d'afficher systématiquement la composition de la commission sur la porte d'entrée?

Le fameux effet local, prime au recrutement, fonctionne sur la base d'une complicité avec les enseignants, une connaissance approfondie des programmes et des enseignements dispensés dans le département où le recrutement s'effectue. Là aussi la dissymétrie en matière d'informations entre les candidats joue à plein. Ne serait il pas envisageable de joindre un dossier de présentation du département (genre livret de l'étudiant) à toutes les convocations pour auditions?

Enfin, aussi bien les candidats que les membres de la commission de spécialistes ont intérêt à simplifier l'audition en augmentant la qualité des prestations. Mais dans bon nombre d'endroits, la tendance est à jouer de la surabondance de candidats. Comment prendre au sérieux les conditions de recrutement quand dans telle université on annonce que vous avez 8 minutes pour présenter votre candidature. Et qu'est immédiatement ajouté que si vous pouviez vous présenter en 6 minutes ça serait encore mieux, 18 autre candidats attendant également leur tour. Ne serait il pas sage de ne retenir qu'un nombre de candidats réduits (entre 5 et 10), permettant des auditions de bonne tenue?

Deux autres aspects, relativement indépendants, méritent également d'être soulevés

- Accueil des candidats. Quelle différence entre les universités qui ont réservé une salle, avec boisson à disposition, et celles où l'on poireaute dans le couloir avec 3 chaises pour 15 candidat(e)s, en face des toilettes (situation réelle)! Ailleurs, au contraire, un comité d'accueil réceptionne les candidat(e)s à la gare. Sans prétendre homogénéiser dans les moindres détails les conditions de recrutement, un minimum de considération à l'égard de futur(s) collègue(s) est toujours bienvenu.

- Candidats algériens. La profession s'honorerait en déclarant haut et fort faciliter le recrutement de candidats réfugiés. Une déclaration claire et nette en la matière (précisant le nombre de postes retenus, les compétences scientifiques requises...) au delà de sa dimension symbolique et d'affirmation de solidarité politique permettrait de mettre fin aux discours à connotation raciste/frontiste émis par des candidats ici ou là.

Georges Ubbiali

 

 

***

 

DOSSIER SES

"Sauvons les sciences économiques et sociales", tel est le titre d'une pétition qui a circulé au printemps et que nous avons certainement été nombreux à signer. En effet, la filière a perçu des menaces émanant du ministère qui ne voyait pas la cohérence entre les deux disciplines.

Si aujourd'hui, à la rentrée de septembre, ces menaces semblent s'éloigner, elles ont été l'occasion d'un dialogue avec les enseignants de cette filière ES au lycée à travers leur association l'APSES, sous la forme de participation à des réunions de travail mais aussi par des communications, en particulier les deux suivantes, qui résument bien la situation et qui ont eu lieu lors de la journée d'études de la Société Française de Sociologie, " L’enseignement de la sociologie ", (E.N.S. Paris, 3 juin 1998). Nous remercions la SFS de nous avoir permis de publier ces deux interventions.

UNE EXPÉRIENCE DE FORMATION PAR LA RECHERCHE EN SOCIOLOGIE

Gérard Boudesseul
Chargé d’enseignement de sociologie à l’Université de Caen

L’expérience relatée s’est déroulée pour l’essentiel de 1983 à 1993 auprès d’un public de non spécialistes âgé de 16-18 ans d’une part et de 25 à 50 ans d’autre part. Il est très tentant de la rationaliser à distance, et de lui donner une signification qu’elle n’avait pas à mes yeux, à l’époque : le titre de cet exposé n’y échappe pas. Il est devenu, au fil des ans, une conviction : celle selon laquelle une des meilleures voies d’accès à la sociologie passe par la production de connaissances de première main. C’est le seul sens, semble-t-il, auquel on puisse réserver le qualificatif devenu célèbre dans les SES, celui de démarche inductive. J’ai découvert tardivement que cette expérience brouillonne et tâtonnante, si peu légitime que je ne m’en vantait guère, avait quelques affinités avec les recommandations formulées par Everett Hughes en 1970 (Teaching as field work, trad. Chapoulie, 1996). J’ai été enthousiasmé d’entendre Jean-Pierre Briand, Jean-Michel Chapoulie et Claude Dubar rapporter des expériences bien plus importantes de 1967 à aujourd’hui aux universités de Paris VIII et de Lille revendiquant cet héritage, dans lesquelles je me reconnais volontiers (Colloque L’Ecole de Chicago hier et aujourd’hui, Saint-Quentin-en-Yvelines, avril 1998).

Pour être le plus honnête possible, je me contenterai d’exposer les étapes factuelles d’enquêtes qui ont été réalisées en classe de lycée de 1ère Economique et Sociale (ES anciennement B). Quelques enseignements suivront, qui sont apparus progressivement, donnant lieu à autant d’ajustements successifs, en répétant le même dispositif d’année en année. Enfin ils donneront lieu à comparaison avec le même type d’expérience mené au CNAM, en sociologie du travail, auprès d’adultes en formation continue.

Trois dossiers en classe de 1ère ES, un par trimestre.

La classe de 1ère, moins contrainte du point de vue horaire, et ouvrant véritablement à la spécialisation, se prête bien à un travail autonome. Par formation et par goût, j’ai toujours commencé le programme par la partie sociologique. Mes premières années d’enseignement, je le faisais d’ailleurs, avec un brin de démagogie, sur un ton très informel (" La famille, ça va chez vous ? Vous avez des problèmes ? ") Le jour où une élève me réclama une conclusion à la fin de l’heure, je commençai à formaliser un peu plus les choses, avec des phases dites de " reprise ", ayant conscience de céder à la représentation courante du prof qui sait les choses.

Le travail d’enquête permet, de ce point de vue, à la fois de favoriser l’expression autonome tout en donnant des cadres de travail et de pensée.

Premier dossier.

A la suite d’une longue série d’exemples illustrant le vocabulaire fondamental (comportement, valeur, norme...), examinés pendant deux semaines, et empruntés à la culture commune des élèves, à leur environnement, éventuellement alimentés par des documents, la question était toujours la même : " En vous appuyant sur les notions vues en cours vous mettrez en évidence l’existence d’une culture, d’une sous-culture, ou d’une contre-culture. "

Trois exigences accompagnent l’énoncé : le mémoire doit être collectif, fondé sur une observation de terrain, précis et concret.

Collectif, pour aller à contrecourant de l’individualisme dominant dans le système scolaire et contraindre les élèves, par groupe de 3 ou 4, à confronter leur point de vue, écouter l’autre, tenter de le convaincre, et le cas échéant de se laisser convaincre.

Une observation de terrain pour qu’ils prennent en charge eux-mêmes le sujet, qu’ils s’organisent, entament les démarches, et aillent voir de leur propres yeux une vie sociale hors de leur famille et du système scolaire.

Précis et concret, afin qu’ils rapportent des observations simples mais directes, non médiatisées par des discours entendus, des idées préconçues ou des interprétations livrées dans un ouvrage ou un manuel.

En contrepartie de ces exigences, ils ont toute liberté pour choisir le sujet, les personnes à aller voir et interroger, et les moyens mis en oeuvre pour saisir l’information (l’établissement fournit éventuellement le matériel audio ou audiovisuel). Les groupes sont constitués par affinité après une semaine de négociation " off ", ou en salle, après un peu de remue-ménage où les tables sont déplacées pour former les groupes.

Le choix du sujet est un peu plus long. L’enseignant va de groupe en groupe pour aiguiller les élèves, à partir de leurs idées de départ. En général, cet ajustement discret consiste à resserrer le champ d’observation souvent trop large (les jeunes, la violence...), ou à les détourner d’une population qui risque de fournir peu de données à la fois accessibles aux élèves et exploitables (les employés, la profession des parents...).

Les objectifs fondamentaux :

- qu’ils appliquent, par transfert, des notions vues ensemble en cours, à leur univers sensible, afin de rompre la césure entre savoir scolaire et expérience individuelle, univers légitime et univers illégitime.

- mais qu’ils saisissent l’existence d’une discontinuité entre l’intention ou le discours d’un acteur, et la signification que l’on peut leur attribuer (sans que cette discontinuité soit un gouffre, dans une lecture rigide de Durkheim).

- que ces notions, unités élémentaires de la connaissance, fassent l’objet d’une modeste mise en cohérence, et, le cas échéant qu’elles les rapprochent, sans nécessairement le nommer, de ce qu’est un groupe social.

Au terme d’un mois, ponctué de demandes d’aides de leur part, en particulier dans la formulation des questions, le mémoire est rendu, avec des fortunes diverses. Le plus souvent la population observée est riche d’observations : communautés ethniques, pas très souvent maghrébines (trop proche des familles), ukrainiennes, polonaises dans les villages miniers, espagnoles, gens du voyage, mais aussi, skin-heads, hard-rochers, homosexuels, jeunes de 13-15 ans, martins-pêcheurs et autres professions, prêtres-ouvriers, avec quelques must : clochards, SDF fréquentant l’asile de nuit, nouveaux pauvres, styles musicaux... Le temps passé est souvent très important, bien au delà d’un habituel " travail à la maison ", ce qui rend l’évaluation délicate (peu de notes inférieures à 8-9 sauf mauvaise volonté évidente). Une manière de valoriser cet investissement souvent enthousiaste est de proposer à ceux qui le souhaitent d’exposer leurs péripéties et leur résultat à la classe. Le pari est gagné dès lors qu’une seule des notions à fait l’objet d’une réappropriation complète.

Les défauts courants sont la dérive touristique (les pauvres gitans, les skin c’est chouette, ils ont des Doc Marten’s...), le compte rendu descriptif (le poulet est cuit dans l’huile, les jeunes aiment ce qui bouge...), la prise au pied de la lettre de ce qui est dit par l’interviewer ("on est pacifique mais faut pas nous emmerder " devient " ils sont pacifiques mais il ne faut pas les emmerder ").

Une vigilance particulière de l’enseignant s’impose quant aux risques encourus sur le terrain choisi, même si, formellement, les enquêtes avait lieu en dehors du temps scolaire.

Deuxième dossier.

Au second trimestre, en parallèle avec le cours d’économie, la dynamique se poursuit sur un sujet devenu en partie obsolète en 1ère, la mobilité sociale. La question était : " En dressant un arbre généalogique et en vous appuyant sur les notions vues en cours, vous expliquerez les facteurs de mobilité et/ou d’immobilité sociale dans vos familles ".

Les exigences sont du même ordre, à ceci près que le champ étant plus proche, les risques de récit anecdotiques sont plus grands. D’où un plan imposé : I - Facteurs communs de mobilité, puis facteurs spécifiques à chaque famille. II - Facteurs communs, puis spécifiques d’immobilité. Il est convenu de remonter au minimum aux grands parents. Les élèves mis en difficulté par une situation personnelle difficile ne sont pas tenus de présenter un arbre.

Les qualités et les défauts sont du même ordre que pour le précédent dossier, mais ici la proximité avec le terrain est plus forte, ce qui rend la prise de distance plus difficile. On peut penser que l’expérience du 1er dossier fournit une aide pour le second. L’autonomie est moindre et les exigences de contenu peuvent être plus élevées. On a constaté un maintien de l’investissement collectif des groupes, demeuré les mêmes le plus souvent. Les jeunes d’origine étrangère se sentent souvent valorisés d’exposer des trajectoires mouvementées et parfois hors du commun.

Aujourd’hui, il n’est pas certain que ce type de travail pourrait être mené en terminale. Un ajustement de l’énoncé est possible en 1ère dans le sens d’une comparaison des divers exemples de structures familiales connus par les élèves soit chez eux, soit dans leur entourage. La démarche d’objectivation par relativisation serait alors plus synchronique que diachronique. En revanche, l’idée de relativiser son univers familial et familier reste essentielle.

Troisième dossier.

On tente d’utiliser la dynamique des dossiers précédents pour aborder un chapitre réputé peu accessible, la monnaie. La marge d’autonomie est considérablement réduite, le support est un texte, et le travail de groupe se limite au défrichage de la lecture, de la compréhension du vocabulaire et des mécanismes. Les séquences de travail en groupes sont suivies de mise en commun en séance pleinière.

Le texte choisi est une version raccourcie à 6 pages en format réduit d’un ouvrage de Bourdieu, Algérie 60, analysant les effets de l’introduction de l’économie monétarisée dans la société traditionnelle kabyle. J’ai opéré des coupes nombreuses à l’intérieur de chaque chapitre en faisant disparaître la plupart des néologismes, tout en tachant de préserver le sens de l’argumentation.

Un questionnaire de deux questions par chapitre est distribué après défrichage. Il est rempli individuellement.

Les objectifs sont :

- d’abaisser le seuil de résistance à l’écriture, en prenant délibérément, mais sur le mode contractuel des dossiers précédents, un texte dont l’abord paraît difficile.

- de montrer que la sociologie se nourrit aussi de textes et d’interprétations théoriques.

- de montrer que la monnaie a une forte dimension sociologique (confiance, rapport au temps)..

Les élèves souffrent mais acceptent volontiers l’exercice. L’évaluation reste liée à la participation active des élèves au défrichage : plus leurs questions auront été précises et circonstanciées, moins ils auront de difficultés à remplir le questionnaire.

Quelques enseignements.

L’ébauche d’une démarche de recherche et la production de quelques connaissances s’avèrent un levier de formation stimulant et efficace, tant pour l’attrait de l’élève, pour sa mise en position active relativement irréversible pour l’année, une fois le processus engagé, que pour une véritable appropriation des connaissances de base. Ces trois apports sont tout à fait conformes au projet des SES, respectivement, d’ouverture critique à la société environnante, de pédagogie active et d’autonomie de l’élève.

La question, traditionnelle en SES, du travail sur documents, trouverait ici des potentialités nouvelles, puisqu’en produisant le document, l’élève est amené à avoir sur lui un regard réflexif, en le soumettant à la critique de la classe et de l’enseignant. Si ce dispositif devait être étendu (le peut-il?), on trouverait peut-être un moyen de redonner un nouveau souffle au travail sur documents qui semble, ces dernières années perdre de son contenu sinon être sur le point de tomber en désuétude. Une recherche en cours à l’IUFM de Caen montre que si l’on prend pour indicateur (lointain ?) des pratiques, le contenu des manuels, une tendance se répand : celle qui, tout en maintenant formellement la présentation d’extraits de presse ou d’auteurs, aligne des documents qui n’en sont pas, que nous avons appelé documents d’autocitation. Ces extraits sont en fait écrit par les auteurs du manuels eux-mêmes, éventuellement dans une édition antérieure, ou empruntés à des auteurs de manuels d’autres éditions, ou dans des publications périphériques proches. Leur proportion varie de 25 à 36 % des documents cités en seconde ( 16 à 24 % en terminale), à deux exceptions près.

L’objectif en terme de contenus serait alors plus modeste quant au nombre de concepts retenus, mais plus ambitieux quant au statut épistémologique d’un concept et à la capacité à l’opérationnaliser.

Du point de vue de la situation de classe et de l’établissement d’une progression sur l’année, il semble que ce dispositif présente plusieurs avantages. Tout d’abord, en commençant l’année ainsi, on tend à légitimer un compromis valable pour l’année, en particulier lors des toutes premières séances, pour ne pas dire la première, qui joue un rôle de socialisation au groupe classe. Ces premières séances sont aussi celles où l’on observe des silences d’une rare qualité : il ne s’agit pas d’un silence disciplinaire mais d’un silence " actif ", ou chacun suit avec une extrême acuité les réactions des uns et des autres, pour se situer. Au risque de paraître rétrograde on pourrait dire que ces silences là demandent à être cultivés, ils sont le début de l’écoute de l’autre, de l’engagement par la prise de parole et du respect du discours différent du sien. La sociologie se nourrit aussi de cela : toi, moi, les autres... La gêne, voire la peur du silence, y compris de la part de l’enseignant, disparaît plus facilement dès lors que chacun sait qu’il a en lui-même ou dans son environnement le matériau sur lequel on peut travailler. Pour des raisons de tensions nerveuses, d’effectifs et d’horaires, ce type d’échange privilégié alterne volontiers avec de joyeux brouhaha lors de mises en commun de travail à l’intérieur de chaque groupe.

En terme de programme, on constate que l’engagement contractuel dans ce type de relation pédagogique rend plus facile la prise en charge de points de programme plus abstraits ou plus difficiles, peu propice à l’innovation (politique monétaire...). C’est en quelque sorte aussi une manière de faire passer " le reste " en revenant au standard de notre culture commune d’enseignement.

Enfin, quant à l’évaluation, on peut se demander si, à côté des savoirs et des savoir-faire, une troisième colonne ne mériterait pas d’être introduite, les savoir-être, qui imprègnent en fait déjà ce qui est pris pour savoir-faire (attitude active face à la classe et au document). Dans le dispositif d’enquêtes évoqué, ces savoir-être s’articulent en trois temps essentiels : la recherche extérieure de terrain implique un rapport objectivé à autrui, la recherche dans le champ familial implique la construction d’un rapport raisonné à soi-même sur le modèle du rapport à autrui, tandis que la note de lecture suggère un rapport au texte, l’auteur étant perçu comme un prédécesseur (Schütz) dans le même type d’enquêtes. Ces trois temps peuvent être interprétés comme autant de contributions de la sociologie à l’éducation du citoyen. Ce type de rubrique est toutefois à manier avec précaution. Des collègues géographes après avoir introduit cette dimension, l’ont finalement supprimée pour des raisons déontologiques parce qu’elle pouvait risquer d’être étendue à la personnalité de l’élève.

Comparaison de formation par la recherche chez des adultes et des lycéens.

Les travaux pratiques d’initiation à la sociologie délivrés au CNAM auprès d’un public d’adultes fonctionnent depuis près d’une trentaine d’années. Un bilan exhaustif resterait à tirer auprès de ses promoteurs principaux, en tout premier lieu de Jean-Daniel Reynaud titulaire de la chaire de sociologie du travail jusqu’à son départ en retraite en 1994, de Lucien Lavorel qui a coordonné les travaux pratiques pendant plus de 25 ans, mais aussi des nombreux enseignants qui y ont contribué longuement. Pour ma part, je n’ai été qu’un petit rouage dans cet important dispositif en assurant des travaux pratiques de 1983 à 1988. J’en ai retenu quelques enseignements. Les travaux pratiques s'adressaient à un public âgé de 25 à 50 ans et d'origine sociale très diverse, souvent techniciens ou employés, toutefois. En l'espace de 12 séances de 2 heures par groupe, (j'ai eu en charge un ou deux groupes par semestre, selon les années) l'objectif était de les amener à réaliser un mémoire collectif, par groupe de 3 à 6 personnes. Les cours alternaient séquences de travail sur documents théoriques, souvent empruntés à la sociologie américaine ou anglo-saxonne (Goffman, Landecker, Homans, Fox...), et suivi individualisé du mémoire, dès la deuxième séance. Cette formation par la recherche a donné, le plus souvent, des résultats d'une richesse inattendue, les connaissances des uns complétant l'expérience sociale des autres. Le canevas de la formation était grandement favorisé par un véritable manuel élaboré après 12 ans d’expérimentation par Lucien Lavorel, malheureusement non publié, sauf quelques extraits dans DEES (Documents pour l’enseignement économique et social) de juin 1985.

Intérêt :

- répondre à une demande d’objectivation de l’environnement quotidien, en rompant avec les idées reçues. Un caractère répandu du public est que, de 25 à 50 ans, nombre de prénotions sont profondément ancrées lorsqu’elles ont été validées, à ses yeux, par l’expérience.

- rompre avec la représentation courante de la sociologie, le plus souvent déformée ou péjorative, notamment celle qui est véhiculée par les média. Les adultes ont été amené par le passé à assigner une place à la sociologie, dans le champ social et le champ intellectuel.

- s’intégrer à un projet de mobilité sociale qui passe, le cas échéant par une promotion sociale dans l’entreprise, sans pour autant se soumettre au prisme culturel normatif de cette entreprise.

Difficultés :

- la contrainte de temps est pesante. Il s’agit le plus souvent de cours du soir, hors du temps de travail, sauf convention avec l’entreprise. Le déroulement des séquences de travaux pratiques supposent une lecture des textes et la collecte des données sur le temps de loisir, mais toute la mise en forme se fait en séance. Le rapport au temps est rationalisé, il peut être source de souffrance.

- il faut revenir sur des problèmes ou du vocabulaire que l’on croyait résolu ou admis définitivement à un certain usage, pour leur donner un nouveau contenu qui doit se substituer à l’ancien. Cet effort est freiné par ce que Festinger a appelé la réduction de la dissonance cognitive.

- des échanges sont nécessaires, entre étudiants, entre étudiants et enseignant, et avec cet interlocuteur différé qui est l’auteur du texte.

Le rapprochement avec un public lycéen suggère quelques points communs et quelques écarts :

Points communs :

- la démarche d’objectivation trouve généralement un accueil favorable, moins par demande personnelle que par la légitimité dont bénéficie, quoiqu’on en dise, l’institution scolaire auprès des jeunes.

- la présence d’idées reçues est aussi courante, mais les lycéens, qui en ont hérité plus récemment tolèrent plus la dissonance cognitive.

- la nécessité d’échanges et d’interactions est bien reçue, elle est de plus cumulative lorsque le processus de recherche est engagé.

Différences :

- Les rationalisations a posteriori par l’expérience sont moins puissantes chez les lycéens, mais les nouvelles ne se substituent pas nécessairement aux anciennes, alors que les adultes procèdent plus à des mises en cohérence globale.

- l’adaptation à la logique interne d’un raisonnement est plus rapide chez les lycéens, sous condition d’un certain balisage des étapes du raisonnement.

- le rapport au temps n’est pas ou peu rationalisé chez les lycéens, l’institution scolaire le fait pour eux. Ainsi s’explique le déséquilibre entre absence d’investissement personnel dans une tache et investissement disproportionné.

- le projet personnel dans lequel se situe l’enseignant est beaucoup plus vague tout en étant instrumentalisé sur un critère d’utilité estimé sur le marché du travail. Cette ambivalence explique sans doute en partie qu’un ressort de motivation doit être trouvé dans chaque activité vécue au présent.

Cette ébauche de comparaison indique la nécessité de gérer les écarts constatés, mais ne semble pas présenter d’obstacles rédhibitoires à la formation par la recherche quelque soit la classe d’âge. Peut-on supposer que les contraintes de ce type d’enseignement en premier cycle universitaire se situe à mi-chemin des deux cas de figure évoqués ? Le public étudiant devrait alors être situé plus précisément au regard des différents critères de bilan ici retenus, permettant de préciser les potentialités d’une voie parmi d’autres d’initiation à la discipline, face à un certain désarroi des étudiants mais aussi des enseignants, évoqué par Charles Soulié au cours du colloque.

Gérard Boudesseul

DE LA SOCIOLOGIE AUX SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES

Nicole Pinet
Université Lille III

La table ronde de cet après-midi a pour intitulé " L’enseignement de la sociologie au lycée ". Cet intitulé est-il pertinent, sachant qu’il s’agit en fait de débattre de ce qui se pratique au lycée dans le cadre de l’enseignement des SES ? N’étant pas, contrairement à nos élèves ou étudiants, soumise à l’obligation de traiter le sujet tel qu’il m’est proposé, je voudrais déplacer le questionnement et le reformuler. Je me demanderai donc : " Comment la discipline savante qu’est la sociologie est-elle mobilisée dans l’enseignement de ce qui est une discipline scolaire à caractère pluridisciplinaire, à savoir les SES ? "

Ce qui se pratique effectivement en lycée depuis maintenant plus de 30 ans, c’est autre chose que l’enseignement de la sociologie (ou de l’économie ou de la science politique). Je vais essayer de préciser ce qu’est cette " autre chose " en m’appuyant sur deux exemples choisis comme analyseurs des pratiques d’enseignement en SES.

1) L’exemple de la mobilité sociale

La mobilité sociale a longtemps constitué un thème central dans les programmes de SES et elle demeure aujourd'hui encore un point important du programme de terminale, même si son poids relatif a diminué en raison de la montée en puissance de nouveaux thèmes.

Cette place importante de la mobilité sociale dans les programmes constitue par elle-même un premier sujet de réflexion, car elle ne va pas de soi. Je me souviens encore de la critique faite par un collègue universitaire qui jugeait cette place franchement disproportionnée en regard de l’importance scientifique de la question. Il s’insurgeait contre ce qu’il considérait être un fâcheux manque de discernement. Il est vrai qu’aucune supériorité scientifique ne justifie que la mobilité sociale soit inscrite au programme, alors que le fait urbain ou religieux, par exemple, pourtant étudié par des sociologies spécialisées scientifiquement fécondes, en est totalement absent.

Cette critique est donc parfaitement recevable sur le fond. Mais je pense qu’elle traduit une incompréhension de ce qu’est un enseignement de culture générale en lycée (ce qui est le cas des SES). Car elle postule implicitement que le choix des savoirs à enseigner ne devrait dépendre que de considérations scientifiques. Or, ce que j’appelle la logique savante ne peut pas s’imposer sans partage ; elle doit composer avec d’autres logiques. Quelles sont-elles ?

L’une d’elles, particulièrement manifeste dans le cas des SES, est la logique que je qualifierais de normative. Les contenus d’enseignement ne sont pas déterminés en fonction de leur seul intérêt scientifique, mais aussi en référence à des valeurs, à des idéaux éducatifs, il ne faudrait pas l’oublier. En ce qui concerne les SES, dès leur introduction dans l’enseignement secondaire, elles ont clairement affiché leur ambition de contribuer à la formation du citoyen. L’idéal d’une citoyenneté active a orienté la définition des programmes, amenant à privilégier les questions qui permettent tout particulièrement aux élèves de comprendre la société dans laquelle ils vivent, de participer en connaissance de cause à son fonctionnement et à ses évolutions. De ce point de vue, le thème de la mobilité sociale présente un intérêt évident : l’idéal égalitaire qui est au cœur des sociétés démocratiques est ici confronté aux inégalités sociales réellement existantes. On touche à un enjeu social de première importance. Et les élèves le perçoivent fort bien, se montrant vivement sensibilisés à cette question.

À cet âge, en effet, s’interroger pour savoir dans quelle mesure l’influence parentale pèse sur la destinée des enfants est un questionnement riche de sens. Le thème de la mobilité sociale est donc susceptible " d'accrocher " les élèves et l’enseignant peut alors s’appuyer sur cette curiosité réelle pour enclencher un travail pédagogique. Il n’est guère besoin d’insister sur le fait que sans motivation à apprendre, les apprentissages n’ont guère de chances de s’effectuer avec réussite. Privilégier les questionnements qui font sens pour les élèves et qui peuvent les stimuler à apprendre relève par conséquent d’une saine logique pédagogique. Ceci ne doit évidemment pas être entendu comme l’éloge d’un renoncement démagogique aux apprentissages exigeants.

Dans le cadre d’une logique pédagogique, la mobilité sociale présente encore d’autres vertus. En effet, elle repose sur une tradition d’études désormais bien établie et s’est forgé des instruments techniques solides. Les tables de mobilité, notamment, établies à partir d’enquêtes quantitatives régulièrement effectuées se sont imposées dans l’étude du phénomène. Or elles ont une indéniable valeur formative, lorsqu’on les étudie en classe. Certes, elles sont rien moins qu’aisées à déchiffrer, mais faire comprendre aux élèves comment elles sont construites, leur apprendre à les lire et à les interpréter, leur en montrer aussi les limites de validité, tout cela est l’occasion d’apprentissages féconds. Par les connaissances factuelles qu’elles fournissent sur le fonctionnement de la société aussi bien que par les raisonnements et les savoir-faire qu’elles permettent d’acquérir, elles valent qu’on y consacre du temps. Le travail sur documents statistiques, qui est une composante importante de l’enseignement des SES et qui apporte une contribution précieuse à la formation civique dans une société où l’usage du chiffre envahit le débat social, trouve ici un terrain d’application particulièrement favorable.

Ce travail sur documents, il faut y insister, car il constitue un élément important de la pédagogie des SES. Même s’il a été parfois mythifié et s’il lui arrive d’être réduit à la portion congrue sous la pression de programmes trop lourds, il joue un rôle stratégique dans le dispositif pédagogique revendiqué par les SES. Selon la formule consacrée, si l’on veut faire participer l’élève à l’élaboration de son savoir, il convient de proposer un travail qui le lui permette. C’est-à-dire un travail aussi actif et autonome que possible, qui le mettra en situation de chercher et de découvrir par lui-même, tout au moins partiellement, des réponses à des questions problématisées. C’est le cas lorsque le thème étudié permet de s’appuyer sur des documents et que ceux-ci peuvent être interrogés au moyen d’exercices variés (calculs, rédaction de commentaires chiffrés, mise en œuvre d’un vocabulaire spécialisé, confrontation de données et de points de vue, confection de schémas, élaboration de synthèses, etc.). L’histoire des disciplines montre qu’aucune d’elles n’a pu exister et se maintenir, si elle n’est pas parvenue à se constituer son répertoire d’exercices " canoniques " ... et aussi d’épreuves d’évaluation. Car il faut également contrôler et évaluer l’acquisition des connaissances, ce qui pèse, et parfois ô combien fortement, sur les situations d’enseignement. Un thème comme la mobilité sociale satisfait bien à ces exigences de didactisation et d’évaluation, et ce n’est pas rien.

Enfin, le thème de la mobilité sociale fait l’objet de lectures théoriques divergentes, dont la confrontation simplifiée peut être présentée aux élèves d’une manière assez suggestive. La tentative de " hisser " les élèves au niveau de la conceptualisation est évidemment difficile ici comme ailleurs, mais elle bénéficie d’un thème particulièrement porteur et la pluralité théorique y est peut-être mieux à même de supporter les stylisations didactiques. L’important est ici de signaler que ces analyses théoriques ne constituent pas le point d’entrée dans l’étude du thème, mais son point d’aboutissement, une fois opéré le travail de sensibilisation et d’ancrage factuel.

En bref, si l’on résume, on peut dire en s’appuyant sur l’exemple de la mobilité que :

- la sociologie n’est pas enseignée pour elle-même et pour sa seule pertinence scientifique, mais est mobilisée pour éclairer un problème qui est jugé crucial pour la formation du citoyen et qui fait sens pour les élèves,

- elle a une valeur formative à travers les questions qu’elle pose, les données qu’elle produit, les techniques d’analyse qu’elle met en œuvre, le travail de conceptualisation qu’elle opère,

- elle est sélectionnée en fonction de son aptitude à se prêter aux exigences de didactisation et d’évaluation qui ont cours en SES, comme dans toute discipline scolaire.

2) L’exemple de la famille

Mon deuxième exemple porte sur la famille, thème envers lequel les enseignants de SES ont montré leur attachement lors de réformes qui menaçaient la composante sociologique des programmes. À mon sens, cet attachement repose sur des facteurs déjà largement évoqués à propos de la mobilité sociale. Je les mentionnerai donc beaucoup plus rapidement, mais je m’arrêterai en revanche sur deux facteurs supplémentaires.

Outre son intérêt scientifique, la famille présente à la fois la caractéristique de constituer une question de société sensible (la formule rituelle selon laquelle elle forme la cellule de base de la société est révélatrice de la perception de son importance pour la vie sociale) et une réalité vécue qui fait sens pour les élèves. Elle relève d’une sociologie spécialisée qui a désormais accumulé un riche matériau empirique et théorique et mis au point des techniques d’analyse bien rodées. Elle offre des supports variés pour un travail sur documents.

Je n’y insiste pas et je passe immédiatement aux deux points que je voudrais spécifiquement développer à propos de la famille.

• Premier point : à la différence de la mobilité, qui, si je puis dire, est très largement monopolisée par la sociologie en tant qu’objet d’étude, la famille est étudiée par toutes les sciences sociales. Anthropologie, histoire, démographie, psychologie, économie, apportent toutes des éclairages spécifiques à l’étude de la famille. La sociologie n’est qu’une discipline parmi d’autres à aborder ce champ du réel. Or, comme l’indique leur intitulé, les SES sont une discipline scolaire à caractère pluridisciplinaire et elles associent des disciplines scientifiques que la spécialisation des savoirs a progressivement séparées dans la recherche et dans l’enseignement supérieur. L’économie d’abord, la sociologie ensuite, sont certes les deux composantes essentielles de cet assemblage pluridisciplinaire, mais elles n’en sont pas le tout.

De ce point de vue, la famille est un exemple intéressant, car elle fait voir que la sociologie n’est pas la seule à être mobilisée dans le travail d’analyse avec les élèves. Certes, lorsque l’on examine les chapitres relatifs à la famille dans les manuels scolaires, on constate que c’est elle qui se taille la part du lion, mais elle est associée à la démographie, à l’anthropologie et à l’histoire. Ceci montre à nouveau que la sociologie n’est pas enseignée pour elle-même, mais mise au service de l’étude d’un thème et éventuellement combinée à d’autres approches disciplinaires, si cela est jugé fécond pour les apprentissages des élèves. C’est précisément le cas à propos de la famille. Pourquoi ?

• Parce que, et c’est le deuxième point que je veux souligner, ce qui est attendu de la sociologie, c’est d’abord qu’elle développe chez les élèves certaines attitudes mentales. Capacité de questionnement par la mise en cause des fausses évidences et des pseudo-fatalités, attention critique à la construction des données et rigueur dans leur interprétation, conscience de la complexité du social et de la pluralité théorique, etc., telles sont les principales contributions demandées à la sociologie. Et si, sur un thème donné, ces contributions sont également fournies par la démographie ou l’anthropologie, alors ces disciplines seront également sollicitées. Ainsi, dans le cas de la famille, la dénaturalisation de cette institution sociale n’est pas seulement permise par la sociologie, elle l’est aussi, et de manière très suggestive, par les travaux ethnologiques ou historiques, lesquels gagnent donc à être mobilisés. Quant à la démographie, elle a mis au point des indicateurs dont l’intérêt pour l’étude de la famille et la valeur formative pour les élèves sont évidents, sans compter qu’ils se prêtent particulièrement bien au travail sur documents.

Au total, ces deux exemples révèlent que la sociologie est en quelque sorte instrumentalisée pour faire acquérir aux élèves certaines dispositions intellectuelles et qu’elle ne constitue pas une fin en soi. À mon sens, il n’y a rien là de dévalorisant pour elle. C’est au contraire la reconnaissance de sa valeur pour la formation à l’esprit scientifique, aussi bien que pour la formation du citoyen. Et, bien entendu, si une réforme (une de plus !) devait mettre en péril cette contribution apportée à l’éducation des lycéens, il faudrait s’y opposer avec toute la détermination requise. Mais je voudrais dire aussi combien il est nécessaire de cerner correctement la nature de cette contribution, de manière à ne pas prendre pour une consolidation ce qui peut être une dénaturation. Si l’on s’accorde sur le fait que la sociologie est surtout précieuse pour les questionnements qu’elle suscite, pour les manières de raisonner qu’elle développe, pour les activités autonomes et formatives qu’elle autorise, alors toute dérive vers l’enseignement académique d’écrits canoniques doit être évitée.

Nicole Pinet

 

 

 

 

 

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PÉDAGOGIE

Le présent texte est un extrait d'une brochure éditée par le département de sociologie de l'université de Rouen intitulée "Les étudiants en sociologie de l'université de Rouen. Premier aperçu. 1990-1998", dont le but est de mieux connaitre le public étudiant et ses caractéristiques sociales et scolaires, ainsi que de fournir des éléments de réflexion sur la pratique pédagogique quotidienne à un moment où la finalité intellectuelle et professionnelle des études de sociologie est une question pressante.

Les auteurs avaient le sentiment que leur réflexion avait une portée générale et ils ont envoyé leur brochure à l'ensemble des responsables de départements de sociologie. Ils ont accepté d'en faire paraitre un extrait dans la Lettre de l'ASES et nous les en remercions.

MAIS QUE FONT-ILS DONC PENDANT LES COURS ?

Yankel Fijalkow et Charles Soulié
Université de Rouen

L'observation des coulisses

L'enquête précédente relative aux étudiants du DEUG 1 de sociologie de Rouen a fait l'objet d'une restitution d'environ une heure auprès du public concerné dans le cadre d'un cours donné en amphithéâtre. Les questions de départ étaient les suivantes: quelles sont les conditions sociologiques d'une réception "favorable" au discours (et aux faits) sociologiques? Peut-on observer une "résistance" lors de la restitution de tels faits à une population directement concernée? Comment cette résistance se manifeste-t-elle?

Pour y répondre, la restitution s'est fondée sur une méthodologie d'observation mettant en jeu l'enseignant stimulant les réactions du public par l'exposé des résultats de l'enquête et une dizaine d'étudiants de Licence observant les réactions de leurs camarades de DEUG 1. La procédure suivie par l'enseignant consistait à exposer les résultats de l'enquête aux étudiants avec des transparents représentant des tableaux simples (tris croisés deux à deux) et à la fin, une analyse factorielle. Il leur a signalé au préalable qu'ils pouvaient être interrogés, non sur les chiffres, mais sur la méthode ou les tendances dégagées. On relèvera le caractère vague de cette consigne susceptible de troubler certains étudiants habitués à un enseignement plus scolaire, ou plus académique.

Le ton était celui d'un cours, avec le rythme permettant aux étudiants de noter, entrecoupé de pauses prévues pour les questions, d'environ cinq minutes, permettant des discussions entre étudiants et entre les étudiants et l'enseignant. L'objectif était de donner de la matière aux observateurs, alors même que pour des raisons qui restent à élucider, les questions des étudiants à l'enseignant étaient rares. Ainsi, le "bourdonnement perpétuel" remarqué par une observatrice, constituait pour certains l'occasion de commenter, entre pairs, le regard de sociologue porté sur eux, en même temps que la découverte d'une discipline en acte à laquelle ces étudiants sont supposés adhérer.

C'est alors que, munis d'une grille d'observation standardisée, une dizaine d'étudiants d'un Atelier Licence répartis dans l'ensemble de l'amphithéâtre sont allés observer, incognito, le comportement de leurs camarades de DEUG 1. L'effectif global s'élevait à environ 200 personnes, chaque observateur devant être attentif au comportement de 7 étudiants. Cette expérience, quoique rapide, nous a semblé intéressante, tant pédagogiquement que scientifiquement, et nous rapporterons ici quelques-unes des observations étudiantes.

Tout d'abord, ayant demandé aux observateurs de faire part de leur éprouvé subjectif lors de ce travail, deux ont exprimé clairement le malaise qu'ils ressentaient à se retrouver dans cette position. Voici ce qu'écrit l'un d'eux : "Mais je me suis sentie très mal à l'aise, car pour ne pas être "découverte" j'écrivais extrêmement petit sur ma feuille et j'essayais de cacher mes notes. Bref je devais avoir l'air de quelqu'un de très personnel. De plus, ce n'est pas facile de regarder les gens en détail pendant une heure sans être remarquée par les étudiants situés derrière nous et enfin quelque part on a l'impression de les trahir." Un autre précise : "A ce moment, je me suis senti un peu malhonnête, un peu voleur et menteur."

En faisant observer les étudiants par d'autres étudiants et en leur demandant de décrire leur comportement, nous les placions dans une position délicate, ou pour le moins inconfortable. En effet, nous leurs demandions de rompre la solidarité de statut les liant à leurs camarades et en un sens de " les trahir", en "rapportant " leur comportement à un enseignant. A cette occasion, les étudiants découvrirent aussi que tout observateur est observé, et que tout enquêteur est donc susceptible d'être enquêté par le milieu qu'il étudie, ce qui influe bien entendu sur la "qualité" des données recueillies. Décrivant le comportement de leurs camarades, les enquêteurs nous ont permis d'accéder aux "coulisses", mais côté étudiant, d'un cours d'amphithéâtre. En effet, les enseignants n'ont le plus souvent qu'une vague idée de ce que font les étudiants lors de leurs cours. Notent-ils vraiment le cours? Sur la base de quels critères ? Que font-ils exactement?

L'enquête, par trop rapide et improvisée et liée à une situation exceptionnelle, ne permet guère, hélas, de répondre à toutes ces questions, dont l'intérêt pédagogique est pourtant évident. De surcroît, le caractère exceptionnel de cet exposé où l'enseignant, rompant avec le fil habituel de son cours d'initiation à la sociologie, rendait compte d'une enquête ponctuelle concernant les étudiants a pu en dérouter quelques-uns, qui se sont peut-être dits que ce cours ne compterait pas pour l'examen final et qu'il n'était donc guère utile de s'y intéresser. En effet, il semble que pour certains étudiants, et selon les propos d'une observatrice, l'exposé de l'enseignant ait été vécu comme "un temps de pause prolongé ".Cette observatrice dit aussi avoir été frappée par "1'absence de prise de notes des étudiants. A propos de l'un d'eux, elle va jusqu'à émettre l'hypothèse qu'il fait sans doute partie "de ceux qui sont là pour "valider "un DEUG, afin de passer les concours Bac plus deux.

Lors de cette enquête, nous avions demandé aux étudiants de décrire les personnes observées. Les descriptions sont souvent assez plates ("Blonde, jeune, chemisier classique ", "Etudiant moins classique. Blouson en cuir par terre. Pas de trousse, seulement deux stylos et des feuilles volantes ", "Etudiant baba-cool, cheveux longs ", etc.) et les observateurs, pourtant étudiants en Licence de sociologie, n'ont qu'exceptionnellement mobilisé des concepts sociologiques pour décrire leurs camarades, faire des typologies, etc. Les théories, les concepts sociologiques et la vie de tous les jours, bref le monde de l'expérience vécue comme aiment à l'appeler certains, constituent manifestement deux domaines biens séparés. Malgré sa proximité apparente au monde vécu, la sociologie reste manifestement une discipline aussi scolastique, c'est-à-dire détachée de la vie de tous les jours, que les autres disciplines académiques. Ce phénomène est d'ailleurs aussi perçu par les étudiants, qui jugent souvent l'enseignement de la sociologie par" trop théorique", comme ils disent.

Un seul étudiant ébauchera donc une tentative de classification de ses camarades, pour dire que le type de vêtement, ou de matériel scolaire possédé par l'étudiant, est somme toute peu classant, mais que "ce qui trahit le plus, ce sont les attitudes et les façons de parler". Néanmoins, un point a attiré l'attention de certains étudiants, et plus particulièrement celle des garçons, en l'occurrence la trousse. L'un d'entre eux remarque que les étudiants "sont tous équipés très convenablement en matériel de cours (cahiers, stylos multiples, classeurs, règles..) et parfois plus que de raison. "Tandis qu'un autre explique que: "Rien de ce que portaient les étudiants ne semblait trahir 1'appartenance à une classe sociale spécifique. Par contre, en ce qui concerne leur équipement, chacune disposait, mis à part les individus I et Z de tout le matériel nécessaire à "de bonnes prises de notes ". Je parle ici d'un équipement complet. Toutes possédaient une grosse trousse remplie de stylos, crayons, gommes... Par hypothèse, peut-être peut-on penser qu'il s'agissait d'étudiantes si ce n'est studieuses, au moins bien organisées." Il semble donc que la trousse, et plus généralement le type de matériel mobilisé par les étudiants (un observateur évoquera ainsi le "petit cartable" d'un étudiant), puisse, aussi anecdotique que cela puisse paraître, fournir des indications précieuses quant au rapport que ceux-ci entretiennent avec les études, la nature de leur investissement, bref leur socialisation scolaire antérieure, comme leurs projets académiques et professionnels. La présence ou non d'une trousse varie aussi manifestement en fonction du sexe, les filles possédant plus souvent une trousse que les garçons.

Mais l'essentiel de la consigne donnée aux observateurs était d'étudier les réactions manifestes à la restitution des différents "milieux" de l'amphithéâtre. Nous rapportons ici quelques traits en commençant par les activités non académiques.

Activités solitaires en retrait de la collectivité:

"Il dessinait sur des feuilles de cours (personnages de bandes dessinées et des femmes)." "Quand vous avez dit qu'ils pouvaient poser des questions, il a sorti un catalogue pour le choix d'appartements pour les sports d'hiver et, jusqu'à la fin du cours, il a lu ce prospectus et a coché les appartements intéressants.

"Aucun regard sur les tableaux présentés, sauf au dernier. Mais il a relevé la tête à cause du bruit d'étonnement de tout le monde.

Activités collectives non liées au cours

"Fait de l'humour pour épater les copines et les fait rire." "Puis finit l'heure à parler maquillage et à rire avec sa voisine de gauche." "Fait des percussions sur son cahier tout en discutant. "De façon plus précise, quand on leur demande de réagir après la première pause: 1 écoute, regarde sa montre et se ronge les ongles; 2 et 3 discutent ensemble, 5 et 6 sont partis."

Lisant ces descriptions, nous avons été frappés par le fait que certains étudiants, pendant les cours, recopient d'autres cours. En effet, et aussi surprenant que cela paraisse, il semble bien que des étudiants se livrent aussi à ce genre d'activité. Mais il ne faudrait pas généraliser ces observations à l'ensemble des étudiants, ces derniers pouvant être plus ou moins attentifs, en fonction notamment de leur localisation dans l'amphithéâtre. Il semblerait que le public assis devant l'enseignant, et en bas de l'amphithéâtre, fait généralement preuve d'une meilleure volonté scolaire, tandis que les étudiants situés en haut à gauche, ou à droite, de l'amphithéâtre sont souvent plus dissipés. En fait, il apparaît que cette variété, tant dans la localisation spatiale que dans les comportement observés, peut être rapportée à des différences d'âge, comme de trajectoire scolaire et sociale. Des comportements plus académiques ont pu donc être observés.

Essaie de se situer ou de situer son voisin

"A chaque représentation il a essayé de se situer et a essayé d'entraîner son voisin en lui demandant: "A quel âge tu as eu ton bac toi ?". Moi je suis là et là. "Elle envoya un rire complice en direction de l'individu numéro 4, laissant penser que la catégorie la concernait. Bien sûr, ceci est une interprétation. "La numéro 2 dit à quelqu'un devant elle: "T'endors pas! " Au moment du dernier polycopié, la numéro 4 fait: hum, hum, puis fait des gestes avec la numéro 2 et elles rigolent: "C'est n'importe quoi !"

Commente les résultats

"Quand le prof a parle d'analyse factorielle: "Ah la, la, je n'aime pas ce mot là! "Et au niveau des projets d'études: "C'est quoi ce truc ? J'y comprend rien !" "Les garçons sont plus vieux que les filles ! Et elle s'est mise à rire." "Le chômage, c'est où ?"

Enfin, un observateur décrit un étudiant "d'origine maghrébine d'environ 20 ans

manifestant une bonne volonté scolaire affirmée: "Dans le premier point, il paraît très attentif ; de plus, il effectue un calcul (sur sa calculatrice) lorsqu'apparaît le tableau de répartition par catégories sociales. Il passe toute la partie sur sa calculatrice. Il parle avec sa voisine (individu numéro 4) quand le professeur aborde les règles statistiques et semble très étonné par le tableau figurant les projets professionnels selon la CSP De plus, il a une réaction vive et une prise de notes attentive lors du tableau d'analyse factorielle. Il semble bien que la troisième partie lui ait procuré un plaisir nettement plus intense. " Le même observateur décrit ensuite son voisin, un autre "maghrébin d'une vingtaine d'années

"C'est un individu très réactif Le second point fait l'objet d'une écoute simple, sans réactions notoires. Au point numéro 3, il se retourne vivement vers le fond de l'amphi, regardant un groupe plutôt bruyant. L'analyse factorielle le fait vivement réagir et devient l'objet d'un échange verbal avec son voisin (l'individu à la calculette). Cet individu semble très intéressé par ce cours, et notamment la fin."

L'intérêt porté par d'apprentis sociologues aux résultats d'une enquête les concernant est donc très variable. Mais ce résultat somme toute banal, même s'il vient au travers des détails rapportés écorner quelque peu l'image que les enseignants se font d'eux mêmes et de leur mission, n'est pas le seul auquel nous sommes parvenus. En effet, et au travers des observations étudiantes, nous avons pu remarquer par exemple à quel point la question de la prise de notes posait problèmes à bon nombre d'étudiants de DEUG. Manifestement, beaucoup ont du mal à distinguer ce qu'il faut noter dans le cours de chaque enseignant. Les observateurs ont pu ainsi relever les échanges et réactions suivants

"Au début, la numéro 2 s'est étonnée que sa voisine prenne des notes. " Tu écris ça ?" Question à laquelle la numéro 3 a répondu seulement "oui ", et s'est aussitôt remise à écrire. "Est-ce qu'il faut prendre tout ce qu'il dit ?" "Il va trop vite !"

La présence d'observateurs prenant des notes de terrain sera d'ailleurs à l'origine d'un quiproquo amusant. Une observatrice raconte ainsi qu'un jeune homme de 19 ans, brun et de taille moyenne : "commence par me poser des questions, se met à côté de moi. Comme il voit que je prend des notes, il en prend aussi. Il critique le cours puis me demande: ça veut dire quoi NR (non réponse) ? Une autre observatrice parlera d'une " absence de recul dans la prise de notes. Ils écrivaient tout ce qui était dit. " Ramasser les notes des étudiants à la fin d'un cours serait une expérience très intéressante, même si elle risque de s'avérer déprimante. Mais toute vérité a un coût...

En conclusion, il nous semble que ce type d'enquête, ou d'observation in situ, mériterait d'être reproduite et surtout développée. Bien évidemment, un tel travail ne peut se faire qu'avec l'accord de l'enseignant et dans le respect des étudiants. En effet, et en dehors de son intérêt proprement scientifique, il est manifeste que ce genre d'investigation peut nous fournir des renseignements précieux sur la manière dont se déroule le rapport pédagogique et de communication, qui est au coeur de la pratique quotidienne des enseignants.

Il faut ajouter aussi qu'en tendant un miroir aux étudiants, nous les placions dans une situation inhabituelle et donc inconfortable. On peut se demander si le fondement de ce malaise ne vient pas du décalage entre une sociologie qui parle d'eux-mêmes et du monde social qui les entoure, et la sociologie plus académique que certains d'entre eux ont commencé à connaître dans le secondaire et que l'Université de masse reproduit quotidiennement sous la forme de cours magistraux. Si l'on peut se féliciter de l'ouverture récente du Lycée à la sociologie, on peut néanmoins se demander si un des enjeux fondamentaux de l'enseignement de la sociologie à l'Université pour les prochaines années ne consistera pas à savoir comment passer d'une "sociologie des auteurs" ou des "notions", généralement très scolastique et qui culmine dans l'exercice de la dissertation pour les examens ou les concours (aptitude rhétorique certes nécessaire mais non suffisante), à une pratique empirique de la discipline qui soit théoriquement fondée.

Ecologie d'une réception

Les huit étudiants de Licence venus observer les réactions de leurs camarades de DEUG première année avaient pour mission de remplir une grille d'observation portant sur six à sept étudiants. Cette grille devait s'attacher à décrire les occupations de chacun des étudiants à trois moments précis correspondant à celui où l'enseignant demandait à la salle s'il y avait des questions et le cas échéant y répondait. Ces trois moments suivaient l'exposé de la méthode et des tris à plat, des tris croisés, et l'analyse factorielle. Les occupations à relever étaient précodées mais l'étudiant pouvait largement adapter la grille; on a distingué la prise de note, l'écoute, le dialogue avec les voisins notamment.

Les étudiants devaient, en outre, se disperser dans la salle selon un plan pré-établi en fonction de la connaissance pratique qu'en avait l'enseignant : étudiants ayant du mal à prendre des notes (au fond à droite), étudiants très assidus (rangées de devant), etc. Ainsi, les résultats de chacune des rangées observées pourraient être mis en relation à un "milieu" particulier.

Au total, 54 étudiants ont été observés soit 54 actions différentes, répétées 3 fois environ (deux enquêteurs ayant abandonné à la troisième étape). Cette mesure doit néanmoins être relativisée par le fait que certains étudiants pouvaient faire plusieurs choses à la fois : écouter et discuter, prendre des notes et discuter, etc... Dans ce cas nous avons pris en compte l'action la plus dirigée vers l'activité collective, en l'occurrence l'exposé des résultats de l'enquête. Les résultats quantitatifs donnent d'abord une idée globale de l'évolution des taux d'écoute, de note et de discussion avec les voisins. Ensuite, nous proposerons une géographie des pratiques étudiantes dans l'amphithéâtre. Par "écoute" nous écoutons alors écoute stricte sans prise de notes.

Sur le plan quantitatif, le taux d'écoute simple (nombre d'étudiants qui écoutent sur le total observé) sans prise de note se situe aux alentours de 35% avec des fluctuations relativement faibles : 39% après la première partie, 41% après la seconde, 34% à la fin. Le taux de prise de notes est en revanche assez fluctuant, ce qui est certainement significatif de la difficulté des étudiants à prendre des notes lorsque le cours n'est pas dicté 30% après la première partie, 15% après la seconde, 20% à la fin. Si l'on observe les conversations avec les voisins le taux est de 20%, sauf pour la fin de la seconde partie où il atteint 35%, peut être en raison du besoin de commenter (en privé) certains tris croisés qui les concerneraient plus directement.

Sur un plan plus écologique, la localisation stratégique des observateurs nous a permis de discerner la géographie des pratiques étudiantes de l'amphithéâtre, et de tenir compte des mutations d'une phase à l'autre. Dans un premier temps, trois zones peuvent être distinguées. Les rangs situés en face et devant sont des lieux de forte écoute (plus de 50%), en opposition aux lieux où se concentrent plutôt ceux qui notent (plus de 40%). Existe enfin un troisième secteur où l'on dialogue plutôt avec son voisin. Un second temps voit l'émiettement en deux de la zone de note par l'émergence d'une zone de discussion. La zone où l'écoute était dominante se maintient. Le troisième temps semble moins significatif sur le plan écologique en raison du départ de certains observateurs.

Cette mesure expérimentale de la réception d'un cours montre qu'il existe des pratiques localisées et différenciées du cours d'amphi, et que des dynamiques collectives se déploient dans le temps (dans la première phase, les secteurs où l'on écoute le plus sont aussi ceux où l'on note le moins). Sans doute serait-il intéressant, lors d'une prochaine enquête, de croiser cette écologie de l'amphithéâtre avec les milieux d'appartenance des étudiants (types de Baccalauréat, sexe, origine sociale...). De même faudrait-il réitérer ce type d'observation lors de cours plus classiques, en amphi ou non, selon les "pratiques pédagogiques des enseignants" (cours dictés ou non, vitesse d'élocution) etc... En tous les cas, cette première observation des conditions de réception d'un cours nous a permis de repérer la diversité des usages sociaux d'un compte rendu d'enquête supposé restituer à tous un même contenu, et de dévoiler, Si besoin était, l'illusion selon laquelle la réception des résultats d'une enquête sociologique ne souffrirait pas des différences d'accès à la discipline sociologique.

Yankel Fijalkow et Charles Soulié

VIE DE l'ASES
Rencontre du 17 janvier 1998

LES DESS DE SOCIOLOGIE

Compte-rendu du débat de la matinée.
Résumé par François Cardi

Le débat qui a suivi les trois contributions de la matinée a fait apparaître plusieurs interrogations sur la nature et l'avenir des DESS.

Si tout le monde reconnait l'importance du développement quantitatif des DESS, et la diversité des enseignements et des activités que suppose ce développement, les avis sont assez partagés quant à la manière de poser le problème de la professionnalisation et de la professionnalité de la formation et du diplôme. Plusieurs points sont en discussion :

- Faut-il que la sociologie apparaisse en tant que telle dans les intitulés officiels des DESS?

- Le DESS pose la question de la compétence davantage que celle des débouchés : la formation de compétences dans la situation expérimentale qui est celle des DESS implique un effort de construction d'autres modèles professionnels (que ceux du chercheur et de l'enseignant), qui incluraient la notion forte de responsabilité du travail sur le social.

- Cette compétence devrait être double: à la fois dans le diagnostic et l'intervention et dans la capacité théorique et la recherche appliquée.

- Chercheur, universitaire, sociologue, sociologue praticien, socionome ? Le DESS provoque à la fois un débat et une crainte sur l'identité. sur le statut de la théorie et de la recherche, sur le maintien de la posture spécifique du sociologue.

- Le DESS correspond sans doute à une demande sociale. Mais c'est aux sociologues à la construire et à lui donner forme, en faisant face à des situations toujours nouvelles, où il faut montrer technicité et ténacité.

- Avec les DESS, le métier de sociologue est, à l'évidence, susceptible de changer et il serait bon que l'ASES et d'autres associations scientifiques et professionnelles organisent des confrontations et dégagent des axes pour une "opération fondatrice".

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Compte-rendu du Conseil d'administration

Présents : F.Cardi, Ph.Cibois, C.Dardy, C.Déchamp - Le Roux, F.Farrugia, M.Dion, S.Jonas, M.Legrand, M.Tripier, D.Filâtre, L.Costes, F.Charles, A.Chenu, S.Guth.

Excusés : Y. Boulabel-Vilac, M.Calvez, M.Hirschhorn, A.Huet, C.Leneveu, F. de Singly, JY. Trépos.

I - Pour poursuivre le débat de la matinée, il serait necessaire de disposer d'un état des lieux plus précis et plus étendu et de le replacer dans le cadre plus large de la politique des 3e cycles. Une Université pourrait accueillir une initiative de l'ASES et un numéro spécial de la Lettre lui être consacré. Un groupe de travail est mis sur pied : P.Tripier, M.Legrand, M.Hirschhorn, S.Jonas et D. Filâtre.

2 - Dans la perspective d'une rencontre avec F.Dubet, le CA affirme que la place, le financement et les normes d'encadrement de la sociologie doivent être rediscutées et redéfinies pour rattraper le retard de la discipline par rapport à d'autres disciplines reconnues comme "disciplines de terrain".

3 - Préparation de l'AG du 14 mars : sept membres du CA élus en 95 doivent être renouvelés. La liste des candidatures est donc ouverte, tout comme la Lettre aux contributions et tribunes libres.

4 -La journée du 14 mars célèbrera les 40 ans de la licence de sociologie par des interventions de membres du CA de l'ASES (A.Chenu et F.Farrugia) et d'autres personnalités.

5 - Pour les prochaines réunions de l'ASES, plusieurs propositions:

- Formation et professionalisation des sociologues en Europe (Universités trans-frontières).

- La sociologie dans les IUFM et ses rapports avec les sciences de l'éducation.

- Les publications des sociologues dans les revues.

Compte-rendu de François Cardi

 

 

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RENCONTRE ASES - DIRECTION DES SCIENCES SOCIALES

Compte-rendu de la rencontre du 5 février 1998 de l'ASES avec François Dubet, Directeur de la recherche (DRA7 : département des sciences de la société) au Ministère de l'Education nationale, de la recherche et de la technologie.

L'Ases est représentée par des membres de son bureau : Philippe Cibois (président), François Cardi (secrétaire général) et Maryse Tripier.

François Dubet expose le rôle de la DRA 7 qui regroupe sociologie, économie, sciences de l'éducation. Pour la sociologie, les experts sont été renouvelés en partie (Bernand, Berthelot, Cibois, Chapoulie, Chazel, Filâtre, Frisch, Hervieu-Léger, Rabier, Rollet, Segrestin, Trépos). Catherine Rollet garde la responsabilité qui était la sienne de coordination pour la sociologie. Le rôle de la DRA 7 est simplifié sur certains points (par rapport à la précédente DSPT 6) : en particulier les expertises des équipes mixtes, déjà faites par le CNRS ne seront pas dupliquées. Pour les primes d'encadrement doctoral, le principe de la double expertise convergente est conservé : ces primes ne doivent pas être considérées comme étant automatiquement reconduites ni liées à l'ancienneté, elles sont le soutien qu'apporte le Ministère à quelqu'un qui fait beaucoup pour les thésards là où il est. Les autres missions sont la politique des DEA et l'examen de leur cohérence afin de lutter contre les DEA sans existence de recherche réelle.

A la question de savoir si la répartition des primes de recherche ne devraient pas être confiée au CNU, François Dubet répond qu'une telle solution empêcherait le ministère de promouvoir une politique, ce que tous les ministères ont voulu faire jusqu'à présent et qui continuera.

En ce qui concerne les allocations de recherche, elles seront réparties avec un souci de mobilité. Il faut insister pour que la thèse soit réellement faite en trois ans, ce qui est possible si le directeur de recherche y veille. Quand aux postes d'ATER, ils doivent être plutôt envisagés après la thèse et non pendant.

Pour que les candidats aient réellement des chances, il faut que les normes de fait d'un recrutement éventuel soient connues de tous, elles pourraient être mieux explicitées si un groupe de responsables les mettaient au point (hiérarchie des revues, des éditeurs). De même en ce qui concerne les HDR, il faudrait préciser ce qui est attendu d'un chercheur et ce n'est certainement pas qu'il fasse l'histoire de sa vie. Chacun sait que le choix des membres d'un jury est déterminant (Thèse ou HDR), il semble qu'un certain nombre d'enseignants feigne de l'ignorer de même qu'il engagent des thésards dans l'impasse de travaux sans matériel empirique.

Sur la professionnalisation au niveau du DESS, cela n'est pas du ressort de la DRA 7, même si les DESS de bon niveau doivent être encouragés. Il en est de même pour le dossier technique concernant la reconnaissance de la sociologie comme discipline de terrain.

Pour faciliter la circulation de l'information à l'intérieur de la discipline, deux questions sont abordées : l'annuaire et un site internet. Pour l'annuaire, le devis proposé sera examiné ; pour un site internet, il faut bien voir que son actualisation permanente nécessite beaucoup de travail, ce qui pose évidemment problème.

Pour terminer, François Dubet souligne que l'implantation d'une structure de recherche valable est le fruit d'un long investissement qui suppose une implantation sur place et une exigence de travail dont les nouveaux docteurs sont bien conscients mais non tous les sociologues plus anciens.

 

 

 

 

 

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ASES ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ANNUELLE
du 14 mars 1998

Rapport moral par Philippe Cibois
Président de l'ASES

Situation de l'ASES

Evolution des adhérents :

1995 : 126

1996 : 151

1997 : 186

1998 : 190 environ sur 500 enseignants statutaires de sociologie de la 19e section en 96 (437 en 94)

Qui sommes-nous : 63% masc ; 37% féminin (pas d'évolution), 9/10 sont statutaires, la répartition Pr /Mcf est au plan national 35% / 65% (1994) et à l'ASES 31% / 69%.

Région: 1998 1997 Taux de turbosité

Région parisienne 34 35 4%

Grand Est 18 16 10%

Nord et normandie 15 16 64%

Grand Ouest 11 14 30%

Sud-est 10 4 0%

Sud-ouest 6 11 0%

Centre 6 4 21%

Total 100 100

En conclusion on note la présence de 200 adhérents ou sympathisants dont 190 statutaires sur 500 soit 38%. Chiffre significatif qui assure notre représentativité avec une bonne répartition selon les catégories, mais un déficit du Sud de la France.

Activités récentes

La réforme du Deug : elle s'est mise en place, occasion de mettre à plat les maquettes, ce qui est toujours positif. Comme nous l'avions prévu, les réorientation ont été faites avant la mi-année.

Les statuts précaires : la réunion de rentrée "quelle politique pour les statuts précaires" a été tendue mais il en ressort un code de bonne conduite. Son idée de fond est qu'il faut avoir un souci de gestion à long terme des doctorants. Donner la possibilité de charge de cours en vue d'une formation donc de durée limitée (un tiers ou un demi-service), sans suppléance des tâches administratives. L'aide à la thèse doit passer par l'allocation et l'ATER est le relais de fin de thèse. Il faut définir une politique de gestion au niveau national et ne pas avoir une unique visée professionnelle pour nos étudiants.

Les DESS de sociologie : au cours de cette rencontre a été faite la prise de conscience que le DESS a un rôle fondamental à jouer dans les années à venir car c'est le débouché professionnel de nos étudiants de maitrise. Trente DESS en France sont concernés par la sociologie.

Pour structurer le milieu afin qu'il prenne en charge cette évolution il faut envisager de :

1) fédérer les associations d'anciens étudiants,

2) si c'est possible, faire revivre l'APS Association professionnelle des sociologues.

3) faire se recontrer et se confronter les responsables de DESS. Monique Legrand a lancé un questionnaire en vue d'une réunion. Les réactions sont très positives. Les ¾ ont répidement répondu et sont très enthousiame devant la proposition faite. Nous projetons de les réunir en novembre prochain.

Rencontre avec l'APSES : Association des professeurs de sciences économiques et sociales des lycées. Il en ressort que :

La perception de la filière SES par les universitaires est bonne chez les sociologues (mais mauvaise chez les économistes) car la présentation inductive de la discipline qui est faite au lycée est tout à fait cohérente avec l'étude de "questions de société" du nouveau deug. De même la présentation SES de l'économie est cohérente avec notre projet. Il serait très bien que des professeurs SES de lycée puissent avoir (comme PRAG par exemple) une partie de leur service en université.

La filière SES se sent menacée, nous essayons d'apporter notre soutien aux enseignants de lycée regroupés dans leur association l'APSES (Nicole Pinet nous représente souvent dans leurs réunions)

Rencontre avec La direction de la recherche au Ministère. Cette rencontre avec François Dubet a été très fructueuse. Il nous a expliqué comment il voyait son rôle qui est d'aider, par le biais des primes d'encadrement doctoral, par l'habilitation des DEA, à promouvoir une vraie recherche collective dans les universités.

Le futur de l'ASES

L'implantation régionale de l'ASES doit être développée en proposant des rencontres régionales afin de ne pas monopoliser l'activité de l'ASES en région parisienne.

La professionnalisation des débouchés doit être amplifiée par le biais de DESS : le rôle de l'ASES sera de proposer une coordination aux responsables de DESS

Un nouvel annuaire est en cours de réalisation, sous la responsabilité de Suzie Guth et avec la participation financière de la Direction de la recherche du Ministère. En temps voulu, nous lancerons un appel pour que ce nouvel annuaire soit le plus exhaustif possible.

Prochaines rencontres envisagées :

Politique de la recherche : DEA, rapports avec le CNRS

Les publications des sociologues dans les revues scientifiques

Formation et professionnalisation des sociologues en Europe

La sociologie dans les IUFM et ses rapports avec les sciences de l'Education

 

 

 

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RAPPORT FINANCIER

par Michèle Dion, trésorière de l'ASES

Bilan comptable pour l’année 1997

 

Recettes

178 cotisations à 150F 26 700,00

Recettes Sicav 883,20

Vente annuaire 8 875,00

----------------------------------------------------

Total recettes 36 458,20

Dépenses

Frais de déplacement 16 119,00

Frais d’envois 6 540,50

Lettres de l’ASES 3 900,00

----------------------------------------------------

Total dépenses 26 559,50

Recettes - dépenses 9 898,70

(solde créditeur)

Bilan de trésorerie

Situation au 31 décembre 1996

Sicav 35 208,00

CCP 16 084,21

---------------------------------------------------

Total au 31/12/96 51 292,21

Situation au 31 décembre 1997

Sicav 36 091,20

CCP 25 099,71

---------------------------------------------------

Total au 31/12/97 61 190,91

Total 1997 - total 1996 9 898,70

(solde créditeur)

Rappel de l'année 1996

 

Recettes

142 cotisations à 150F 21 300,00

Recettes Sicav 1 077,60

----------------------------------------------------

Total recettes 22 377,60

Dépenses

Frais de déplacement 6 388,00

Frais d’envois 7 222,65

Lettres de l’ASES 4 000,00

----------------------------------------------------

Total dépenses 17 610,65

Recettes - dépenses 4 766,95

(solde créditeur)

Bilan de trésorerie

Situation au 31 décembre 1995

Sicav 34 130,40

CCP 12 394,86

---------------------------------------------------

Total au 31/12/95 46 525,26

Situation au 31 décembre 1996

Sicav 35 208,00

CCP 16 084,21

---------------------------------------------------

Total au 31/12/96 51 292,21

Total 1996 - total 1995 4 766,95

(solde créditeur)

apres discussion, le rapport moral et le rapport financier ont été approuvés à l'unanimité. Il a ensuite été procédé au renouvellement du Conseil d'administration. Ont été élus ou réélus : Philippe Cibois (PR, Amiens), Sylvette Denèfle (MCF, Nantes), Michèle Dion (MCF, Dijon), Suzie Guth (PR, Metz), Jean-Luc Primon (MCF, Nice), Jean-Yves Trépos (PR, Metz), Marie-Caroline Vanbremeersch (MCF, Amiens)

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CONSEIL D'ADMINISTRATION
du 16 mai 1998

Compte rendu de François Cardi

Présents : F.Cardi, F.Charles, A.Chenu, Ph.Cibois, L.Costes, C.Dardy, C.Déchamp-Le Roux, S.Denèfle, M.Dion, F.Farrugia, D.Filâtre, S.Guth, M.Hirschhorn, M.Legrand, JL.Primon, JY. Trépos, MC.Vanbremeersch.

1) Annuaire de l'ASES : son actualisation, envisagée depuis longtemps s'impose avec certains aménagements du point de vue des publications, des mots-clé et des coordonnées (tel, fax, e-mail)

2) le bureau est reconduit à l'unanimité

3)Préparation des prochaines réunions de l'ASES : la discussion a porté sur la dimension européenne des enseignements, essentiellement autour des 3e cycles (thèses, écoles doctorales) et des liens avec le CNRS.

Plusieurs dates ont été fixées pour les réunions à venir : fin septembre, Table ronde avec F.Dubet et B.Péquignot, introduction de Suzie Guth sur l'état des lieux en ce qui concerne les rapports de soutenances et les mentions, présentation du rapport Attali par M.Hirschhorn. Préparation de quelques questions sur les écoles doctorales, les études post-doctorales, sur l'articulation entre recherche et enseignement au niveau européen. Invitation auprès des responsables de DEA, labo, écoles doctorales.

En octobre si possible, trois réunions régionales à Aix, Toulouse et Dijon sur des thèmes généraux (ex. : les publications, l'enseignement aux nouveaux bacheliers, la cohérence des cycles). Ces rencontres doivent être prises en charge par tout le CA et donner lieu à des comptes-rendus dans la Lettre de l'ASES ("L'ASES en région").

En janvier 99, rencontre sur les publications des sociologues dans les revues. Sur ce thème, un appel à communication sera lancé dans la lettre. Questions à aborder : revues locales, nationales, internationales. Critères d'évaluation et accès aux publications, littérature grise. Relations avec les professionnels. Transparence dans les appels à thème. Jean-Yves Trépos propose qu'Utinam, revue régionale, puisse devenir une revue de Labos.

La rencontre des responsables de DESS devrait avoir lieu en octobre ou novembre.

4) Sur la réforme des sections E&S des lycées : l'accent est mis sur les savoirs sur la société (connaissance des institutions, des données statistiques principales)

5) Pour les sociologues recrutés dans des UFR de sciences de l'éducations ou de STAPS, se pose la question de leur appartenance à la 19e section pour qu'elle ne soit pas purement formelle.

François Cardi

Secrétaire général

 

 

 

 

 

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RÉCAPITULATIF DES RENCONTRES PUBLIQUES DE L'ASES

 

Mars 98 Quarante ans d'enseignements de la sociologie, bilans et perspectives

Janvier 98 Les DESS de sociologie

Sept. 97 Chargés de cours, Ater, moniteurs, doctorants,... Quelle politique pour les statuts précaires ?

Mars 97 Actualité de la réforme du Deug (Bayrou)

Théorie sociologique et sociologie générale

Janvier 97 Enseigner les méthodes : observation, questionnaire, entretien

Sept. 96 Réforme du Deug ? Comment la prendre en charge.

Mars 96 Les débouchés des DEA et des docteurs (selon des sociologues non-universitaires)

Janvier 96 Campagne de recrutement 96 : nouvelles règles du jeu, nouveaux enjeux.

Sept. 95 Le bilan de la campagne d'habilitation des DEA : critères d'évaluation et processus de décision. Débouchés des DEA, avenir des docteurs en sociologie.

? Sociologie hors les murs (Lettre de nov 95)

mars 94 L'afflux, l'accueil et le devenir des étudiants de premier cycle en sociologie

octobre 93 L'habilitation à diriger des recherches : quelles exigences ?

fevrier 92 la préparation à la recherche en sociologie et démographie (discussion du rapport Chapoulie/Dubar)

octobre 90 enseignement-recherche

mai 90 DESS

déc. 89 Journée sur les DEA

LETTRE DE L’ASES :

au sommaire des précédents numéros

Lettre n°24 : janvier 1998

Quelle politique pour les statuts précaires. Pour un code de bonne conduite. Comptes-rendus de la rencontre du 27 septembre 1997.

Recrutements de 1997. Les nominations d'enseignats-chercheurs en sociologie-démographie 1997 par Alain Chenu.

Vie de l'ASES. Informations

Lettre n°23 : mai 1997

A propos de la réforme du Deug. L'usine à gaz de M. Bayrou par Philippe Cibois, Analyse des nouveaux arrêtes, rencontre avec le directeur scientifique SHS, table ronde de l'ASES.

Travaux de l'ASES sur l'enseignement : des méthodes (l'observation et ses protocoles d'analyse, le questionnaire et son traitement, l'entretien et l'analyse de son contenu) ; de la théorie.

Tribunes libres : de Frédérik Mispelblom et Serge Dufoulon.

Lettre n°22 : décembre 1996

Recrutement : bilan et questions. Position de l'ASES, les nouveaux recrutés

L'évaluation du secteur Sciences humaines et sociales par Catherine Rollet

Tribune libre : Bruno Péquignot, collectif (recrutement), Nicole Pinet, Jean Copans.

Lettre n°21 : septembre 1996

Réforme du Deug ? Comment la prendre en charge ?

Frederik Mispelblom : Enseigner dans le DEUG : le savant est aussi un politique.

Philippe Cibois : Pour un Deug généraliste

Daniel Filâtre : Après trois ans d’expérience du Deug rénové, faut-il une autre réforme ?

Lettre n°20 : juillet 1996

Alain Chenu : CNU 1996, un bilan

Philip Milburn : chronique d’une grève annoncée

Philippe Cibois : morale provisoire pour l’Université

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Michèle DION (ASES)

46 bd Richard-Lenoir

75011 PARIS

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Association des Sociologues Enseignants du Supérieur

 

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