La Lettre de l’ASES

Association des Sociologues Enseignants du Supérieur

23

mai

1997

A propos de la réforme du Deug

L'usine à gaz de M. Bayrou par Philippe Cibois 3

Analyse des nouveaux arrêtés 7

Rencontre avec le directeur scientifique "Sciences humaines et sociales" 13

Table ronde de l'ASES

compte rendu de Catherine Peyrard 14

Travaux de l'ASES

L'observation et ses protocoles d'analyse

compte-rendu de Anne-Marie Arborio et Alain Quemin 17

Le questionnaire et son traitement

compte-rendu de Vincenzo Cicchelli 21

L'entretien et l'analyse de son contenu

compte-rendu de France Auber et Maryse Tripier 23

Enseigner la théorie et la sociologie générale

compte-rendu de Régine Bercot 26

Tribune libre

A propos de "bricolage" par Frederik Mispelblom 28

Portrait d'un sociologue en RMIste sauvage par Serge Dufoulon 32

Assemblée générale 1997 de l’ASES

Rapport moral 37

Rapport financier 39

Discussion : compte-rendu de François Cardi 41

Elections au Conseil d'Administration 42

Ce numéro contient dans ses pages centrales les arrêtés du 9 et du 30 avril 1997 relatifs au Deug à la licence et à la maitrise

La lettre de l’ASES est le bulletin de liaison de l’ASES

Association des Sociologues Enseignants du Supérieur

Cette association Loi 1901 a été fondée en 1989 pour "défendre, améliorer et promouvoir l’enseignement de la sociologie. Elle vise à rassembler, à des fins d’information, de réflexion, de concertation et de proposition, les enseignants-chercheurs et les enseignants de sociologie en poste dans les universités et les établissements d’enseignement supérieur assimilés"

Le Conseil d’administration en est actuellement le suivant :

Yeza Boulhabel-Villac

Marcel Calvez

François Cardi (membre du bureau, secrétaire général)

Frédéric Charles

Alain Chenu (membre du bureau, affaires corporatives)

Philippe Cibois (président, chargé du bulletin)

Laurence Costes

Claudine Dardy

Catherine Déchamp-Le Roux

Michèle Dion (membre du bureau, trésorière)

Francis Farrugia

Daniel Filâtre

Suzie Guth

Monique Hirschhorn

Armel Huet

Stéphane Jonas

Monique Legrand

Claude Leneveu

Bruno Péquignot (membre du bureau, relations publiques)

François de Singly (vice-président)

Jean-Yves Trépos (membre du bureau, pédagogie)

Maryse Tripier (membre du bureau, recherche)

Rédaction de la Lettre de l’ASES : c/o Philippe Cibois

22 bis rue des Essertes, 94140 ALFORTVILLE

tel/fax 01 43 75 26 63, cibois@francenet.fr

L'usine à gaz de M. Bayrou

Philippe Cibois

Président de l’ASES

 

Usine à gaz, [y z i n a g a z] : terme du jargon des sciences des organisations servant à désigner un projet industriel à la fois gigantesque et dépassé techniquement. En est venu à désigner tout projet important mais mal conçu. S'applique parfaitement à la réforme du Deug que le ministre voudrait voir appliquer à la rentrée prochaine et dont les arrêtés doivent sortir prochainement.

Une réforme du Deug concerne la vie d'environ 800.000 étudiants et de 40.000 enseignants auxquels il faut ajouter les chargés de cours. Il s'agit donc d'une réforme qui va avoir un impact sur une population importante puisqu'elle va toucher l'organisation du premier semestre du Deug en créant un semestre d'orientation qui doit permettre à l'étudiant de se rendre compte soit qu'il s'est fait une idée fausse de la discipline qu'il a choisie, soit que c'est le type d'étude qui ne lui convient pas. Un étudiant ayant commencé ses études en droit pourrait dès le deuxième semestre continuer en histoire, voire envisager des études courtes en Sections de technicien supérieur des lycées.

Le projet concerne un nombre important de personnes mais il est conçu sans tenir compte des règles élémentaires de gestion : il ne tient pas compte des expérimentations déjà faites et il veut s'imposer sans s'assurer des motivations de ceux qui auront à l'appliquer.

Du passé faisons table rase dit le ministre : pourtant la dernière réforme du Deug n'est pas si ancienne, elle date de mai 92. Elle prévoyait déjà l'existence d'une période préalable "afin de permettre aux étudiants de s'orienter en fin de première période" (arrêté du 26 mai 1992) et il s'agissait là de la reprise de la réforme de 1984-85 où il était déjà prévu qu'en parallèle à une discipline de base (la majeure), on en enseignerait une autre (la mineure) afin de permettre les réorientations. Or il n'est pas possible de faire comme si les dix dernières années n'avaient pas apporté de leçons dans ce domaine. Si les enseignants qui avaient tenté loyalement de mettre en place le Deug rénové de la réforme Savary ont petit à petit renoncé dans les faits à ce système, c'est qu'il y a des raisons que le ministre veut ignorer puisqu'une nouvelle fois (la troisième) il annonce le retour au semestre d'orientation.

La raison profonde qui a fait que progressivement des enseignants de Deug ont souvent abandonné le système de la période d'orientation est que le système à mettre en place est disproportionné avec l'objectif à atteindre. En effet l'expérience montre que, dans notre discipline, la sociologie, les réorientations en cours d'année concernent un effectif d'étudiants compris entre 5 et 10% : ce n'est pas négligeable mais c'est insuffisant pour mettre en place un système dur à gérer du fait de l'hétérogénéité des effectifs dans les diverses disciplines. Prenons par exemple le cas fréquent d'une première année de 1000 étudiants dont 800 en histoire ou en psychologie et 200 en sociologie. Pour le département de sociologie dont le personnel est adapté à l'enseignement de 200 étudiants, soit 5 groupes de Travaux Dirigés (TD), il va falloir organiser pendant un semestre 20 autres TD pour les étudiants de l'autre discipline. Cela devient les travaux d'Hercule étant donnée la taille de nos départements. Evidemment les 800 étudiants en question sont peu motivés, leurs propres enseignants ne les encouragent pas à suivre cet enseignement dont ils ne voient pas la nécessité et qu'ils assimilent à du temps perdu alors que leur discipline aurait tellement de choses à leur apporter. Le tout pour 5 à 10% de réorientations et donc un travail gigantesque, inutile dans la majorité des cas.

L'expérience montre que l'enseignement simultané de plusieurs disciplines ne fonctionne bien que là où les enseignants lui donnent un tout autre rôle, celui de formation à une culture scientifique complète. Par exemple dans les sciences humaines on peut penser qu'il est indispensable à tout étudiant d'avoir entendu un sociologue lui parler de Durkheim et un psychologue de Freud. Par ailleurs, tout étudiant doit pouvoir bénéficier, en période initiale, d'une initiation qui lui permette en un temps court de se faire une idée complète de la discipline qu'il va affronter pour qu'il en déconstruise les fausses images et qu'il découvre quelle est la posture authentique de sa discipline. Pour arriver à ce résultat, il faut des enseignants de disciplines différentes qui travaillent ensemble : ce n'est jamais obtenu par décret et cela n'a que peu à voir avec une éventuelle réorientation.

Pourquoi donc le ministre insiste-t-il une nouvelle fois sur cette réorientation qui ne concerne que si peu de gens sinon parce que le sujet de l'échec en Deug est un sujet sensible au plus haut point pour les étudiants et leurs parents. En effet, dans l'enseignement de masse qui est celui de l'Université, l'échec en premier cycle parait scandaleux, impossible à supporter dans la mesure où si la grande majorité accède à l'Université, c'est pour en retirer un profit, non pour s'y trouver en situation d'échec.

Le ministre joue donc là sur une corde sensible en axant sa politique sur la réorientation dans la mesure où il fait passer le message suivant aux étudiants et à leurs parents : "si vous échouez en Deug, c'est le fait d'une erreur d'orientation, vous n'aviez pas fait le bon choix, vous vous étiez trompé soit sur le contenu d'une discipline, soit sur vos propres capacités". On peut faire une autre analyse et considérer la réorientation comme un nécessaire adaptation à des disciplines nouvelles et à des méthodes d'apprentissages très différentes de celles du lycée. Les réorientations peuvent être positives en ce sens que l'on peut légitimement accepter qu'un étudiant construise son expérience en passant un an à s'identifier comme étudiant, à chercher sa méthode de travail, à découvrir la vraie nature de la discipline choisie au départ. Un processus d'essai/erreur est formateur et il ne s'agit pas d'une perte brute.

Actuellement, la lutte contre l'échec est déjà un souci pour nous enseignants de sociologie : le tutorat se généralise, les mises à niveau existent et les réorientations se font. On accepte volontiers des gens qui ont déjà fait une première année dans une autre discipline. Ce qu'il faut bien voir c'est qu'un processus de réorientation suppose des institutions stables, qui soient connues des étudiants et progressivement utilisées par eux, les annonces officielles et le bouche à oreille jouant petit à petit leur rôle. Il y a des processus qui se sont mis en place au fil des ans et qui seront gravement perturbés par une modification en vue d'une hypothétique amélioration du système. La réforme va aggraver les difficultés tout simplement parce qu'elle modifie la situation actuelle et va donc introduire une nouvelle perturbation dans un système qui n'en avait pas besoin. Ajoutons que vouloir faire des choses nouvelles à moyens constants est quand même assez peu réaliste.

Résumons-nous : la lutte contre l'échec suppose un cadre d'action stable ; il faut prendre en compte les expériences faites et les généraliser ; il ne faut pas commencer par tout casser pour prétendre reconstruire. Faire cela c'est mépriser les milliers d'enseignants du supérieur qui gèrent sans beaucoup d'aide administrative les centaines de milliers d'étudiants à qui ils veulent donner une formation solide et qui sont sensibles, comme tout un chacun, à l'échec contre lequel ils luttent. Faire cela, c'est flatter l'opinion publique et non travailler à améliorer la situation actuelle. Disons-le franchement : par sa réforme le ministre veut se rendre populaire auprès de l'opinion publique en mettant en avant son attention au problème de l'échec. Il ne prend pas la bonne méthode car il veut proposer un système dont l'expérience montre qu'il met en jeu une énergie disproportionnée au résultat escompté.

Une réforme ne se réfléchit pas entre quatre énarques, cinq "experts" qui ne représentent qu'eux mêmes, des syndicats étudiants qui veulent avant tout une amélioration de la condition étudiante (ce qui est légitime mais partiel) et des "commissions disciplinaires" où l'on apprend surtout à parler le nouveau vocabulaire (on ne parle plus de module mais d'UE, d'Unités d'Enseignement : ce changement de nomenclature va perturber les étudiants et le personnel administratif pour graver dans les mémoires qu'une réforme a eu lieu : est-ce bien nécessaire ?). Le rôle d'un ministère est de fédérer les expériences, d'expliciter les prises de consciences, de codifier la pratique en dialoguant avec ceux qui sur le terrain ont par leur pratique fait avancer les choses, pris en compte la réalité du problème et initié des solutions. Qu'il explique aux enseignants retardataires qu'ils doivent prendre acte de l'université de masse et aux étudiants qu'ils doivent progressivement passer du statut de lycéen à celui d'étudiant et que cela ne se fait pas sans la douleur d'un apprentissage quelque fois long. On souhaite d'ailleurs qu'un éventuel prochain ministre ne soit pas un ministre avec de meilleures idées pour construire une belle usine à gaz de gauche mais un ministre qui motive les enseignants plutôt que de les prendre pour des réactionnaires à qui il faut imposer des solutions pensées à leur place.

Ce jugement négatif sur la réforme est simplement le fruit de notre expérience d'enseignants de sociologie qui viennent déjà d'appliquer des réformes : ce n'est pas par conservatisme que nous pensons que celle-ci est mal venue, c'est simplement parce que si des évolutions sont nécessaires, elles doivent être élaborées en concertation et en tenant compte des expériences. C'est ainsi seulement que l'on évite les splendides usines à gaz.

Philippe Cibois

PS après le vote du CNESER du 9 avril, la publication de l'arrêté général de ce jour et des arrêtés spécifiques aux sciences humaines et sociales du 30 avril : il faut dépasser le mouvement d'humeur qui a été le nôtre et s'y mettre, mais la progressivité semble acquise. Enfin, comme l'a fait remarquer l'un d'entre nous, la préoccupation de s'occuper des 10% d'échec doit être autant une priorité que de s'occuper des 10% de chômeurs de notre société.

Analyse des nouveaux arrêtés

Afin d'aider à se faire une opinion plus précise sur les textes de la réforme, on trouvera au centre de ce numéro la reproduction des arrêtés du 9 avril (arrêté général) et du 30 avril (arrêté relatif aux sciences humaines et sociales). Dans l'analyse qui va suivre, on s'est attaché à faire un travail d'exégèse par comparaison de ce texte avec les arrêtés précédents (réforme Jospin-Lang). On cherche à repérer les différences entre les deux textes et à en comprendre l'inspiration.

Arrêté du 9 avril 1997 (dit arrêté général)

Titre premier : dispositions générales

L'ancien et le nouveau texte donnent les finalités générales du Deug, de la licence et de la maitrise. Il y a quelques interversions entre les articles. Les différences sont les suivantes :

- nouveautés du nouveau texte : "chaque année se décompose en deux semestres d'enseignement". Il est insisté sur le fait de la valeur nationale des diplômes "quels que soient les établissements qui les ont délivrés". Le Deug est conçu "de manière à permettre à chaque établissement de définir et d'organiser des réorientations pour les étudiants, notamment au cours de la première année, à l'issue du semestre initial".

- omissions par rapport à l'ancien texte : le premier cycle "prolonge les formations sanctionnées par le baccalauréat". La licence et la maitrise "donnent lieu à des pratiques pédagogiques adaptées à la diversité des formations et des publics".

Titre II : organisation des enseignements

Article 4 : pas de changement

Article 5 : on passe du module entendu comme "groupe identifiable d'enseignements comportant entre eux une cohérence scientifique et pédagogique" à l'unité d'enseignement constituée comme un "regroupement cohérent d'enseignements et d'activités". Le changement de vocabulaire est semble-t-il imposé pour visualiser la réforme mais l'évolution porte sur le contenu du regroupement qui est plus large. Cet article 5 voit l'addition d'un grand nombre d'activités qui concourent à la formation : en plus des cours, travaux dirigés et travaux pratiques qui étaient présents dans l'ancienne version on trouve aussi des "travaux personnels (projets tutorés (sic), mémoires, travaux d'études personnels, stages...) en groupes de taille adaptée, dans le but d'améliorer la réussite".

Ensuite vient un paragraphe nouveau sur le tutorat qui officialise des dispositions qui jusqu'ici n'étaient qu'expérimentales.

Article 6 : l'ancien texte parlait pour le Deug de deux niveaux et à l'intérieur du premier niveau de deux périodes. A la fin de la première, l'orientation était possible. Les enseignements étaient faits en 8 à 12 modules dont deux optionnels.

Le nouveau texte est beaucoup plus précis. On parle de première et de seconde année divisée chacune en deux semestres. A des fins de réorientation, le semestre initial doit permettre non seulement la découverte de la matière principale mais aussi d'autres disciplines. De ce fait il comprend trois unités d'enseignement (UE) : une UE de la discipline fondamentale, une UE d'autres disciplines, une UE de méthodologie du travail universitaire. Le deuxième semestre est constitué de 3 ou 4 UE : une ou deux d'enseignements fondamentaux (avec des complémentaires pour accueillir les réorientés), une UE de méthodologie disciplinaire, une UE de culture générale et d'expression (inclut langue vivante et informatique).

Pour la deuxième année, 4 UE par semestre dont une optionnelle. Ceci fait en tout un Deug avec 14 ou 15 UE.

Analyse : on peut faire l'hypothèse que tout se joue ici. Dans le texte précédent une certaine liberté était encore laissée pour faciliter la réorientation en demandant que la première période permettre ces réorientations. Le présent texte prend acte du fait que les universités n'ont pas appliqué les dispositions prévues et ont plongé immédiatement les étudiants dans leur discipline en refusant les possibilités d'ouverture. De ce fait on encadre maintenant avec beaucoup plus de précision le contenu disciplinaire des différentes UE.

Article 7 : organisation du deuxième cycle. Il est beaucoup plus précis que l'ancien qui donnait une fourchette du nombre de modules. On retrouve les semestres à 4 UE : la nouveauté se trouve dans la validation possible d'un stage professionnel ou d'un semestre européen.

L'article 8 porte sur les responsables de formation : le nouveau texte ajoute des exigences nouvelles de publication du nom des responsables, des objectifs de la formation, des possibilités de réorientation. Il était dit dans l'ancien que le responsable "assure le bon fonctionnement de la formation" : cet objectif a-t-il été jugé irréaliste ? Il ne figure plus dans le nouveau.

Titre III Garanties et droits des étudiants

Article 9 sur l'accès en Deug, article 10 sur l'accès en deuxième cycle, article 11 et article 12 sur l'accès avec 80% du diplôme précédent : pas de changement.

Article 13 sur l'accueil : l'ancien texte parlait d'une semaine d'accueil, le nouveau d'un "dispositif d'information et de découverte". Est prévu explicitement une commission pour l'accueil des handicapés.

Article 14 sur l'orientation : les modalités du contrôle des connaissances ainsi que les coefficients affectés aux UE (nouveauté) sont portées à la connaissance des étudiants "dès que les modalités en sont arrêtées" et, selon l'article 18, "au plus tard un mois après le début des enseignements".

Apparait à la fin du premier semestre une commission d'orientation pour examiner ceux qui veulent se réorienter. L'étudiant décide la poursuite dans le Deug ou dans la mention de Deug dont il a fait "l'unité de découverte", la commission décide s'il demande une réorientation vers un Deug différent, un BTS, un IUT, une prépa. On notera donc que le changement à l'intérieur d'un ensemble de mentions de Deug est de droit si l'étudiant à suivi un enseignement de découverte de cette mention.

Articles 15 et 16 sur le nombre d'inscriptions : pas de changement à la réserve que le CEVU fixe un régime d'études spécifiques pour les catégories déjà envisagées par l'ancien texte (salariés, etc...) mais auxquelles s'ajoutent les étudiants engagés dans plusieurs cursus et les handicapés.

Articles 17 à 19 sur le contrôle des connaissances et des aptitudes (intitulé inchangé). En plus de dispenses liées aux études antérieures ou faites à l'étranger, on peut envisager de faire valider des acquis. L'obtention des diplômes "implique notamment des contrôles écrits et des contrôles oraux" (pas de changement). Dans chaque UE "les aptitudes et l'acquisition des connaissances sont appréciées soit par un contrôle continu et régulier, soit par un examen terminal, soit par ces deux modes de contrôle combinés" (nouveauté). Il y a deux sessions séparées par au moins deux mois (pas de changement). "Les modalités des examens garantissent l'anonymat des épreuves écrites" (nouveauté). C'est l'obtention de la moyenne qui fait qu'une UE est définitivement acquise et capitalisable. Cette notion de moyenne n'était pas prévue par l'ancien texte ; cela allait peut-être de soi, mais cette précision laisse penser que certains ont du trouver là un moyen de tourner l'intention du législateur.

Apparait ensuite un concept entièrement nouveau, celui d'élément capitalisable à l'intérieur d'une UE : le CA fixe, après consultation du CEVU "les modalités de capitalisation des éléments constitutifs des unités d'enseignement". On voit officialiser là une pratique "sauvage" mais bien attestée qui faisait qu'il y avait entente informelle entre étudiants et enseignants pour conserver d'une année sur l'autre une partie de module obtenue.

Au sein d'une UE, la compensation se fait sans note éliminatoire (pas de changement). La compensation entre modules qui était déterminée par chaque établissement voit ses termes précisés par affectation de coefficients aux différentes unités : 2 pour l'unité d'enseignement fondamentaux, 2 au maximum pour les deux autres unités du premier semestre. Pour les autres semestres les coefficients varient de 1 à 2. Sans délibération du jury, ceux qui ont 70% de la première année peuvent passer en 2e. Avec moins de 70%, si le jury le propose. Cette notion de passage d'année en Deug est nouvelle et codifie des pratiques diverses.

Il n'y a pas d'autres règles de compensation prévues en Deug ce qui élimine les notes éliminatoires. Par contre elles sont possibles en deuxième cycle où les coefficients peuvent aller de 1 à 3 et où il est dit que "les règles de compensation sont définies par chaque établissement".

Les "modalités d'appréciation des aptitudes et des connaissances" sont publiées au plus tard un mois après le début des enseignements (sans changement).

Article 20 : publication des notes et accès aux copies. Le nouveau texte ajoute que cet accès se fait "dans un délai raisonnable".

Article 21 : le diplôme indique la liste de ses éléments constitutifs (sans changement).

Titre IV Habilitation et évaluation

Article 22 : pas de changement sur la durée des habilitations (4 ans).

Article 23 : l'évaluation des enseignements et de la formation. Le nouveau texte met au point une procédure d'évaluation sous la forme d'une commission par université. On prendra en compte "l'appréciation des étudiants". La procédure "permet à chaque enseignant de prendre connaissance de l'appréciation des étudiants sur les éléments pédagogiques de son enseignement. Cette partie de l'évaluation est destinée à l'intéressé." Par rapport à l'ancien texte la différence réside qu'auparavant il était dit qu'une procédure analogue pouvait être établie (art.24) alors qu'elle devient la norme dans le présent texte.

Article 24 : dispositions transitoires. "Dès la rentrée universitaire 1997-1998, les établissements doivent au moins :

1. Organiser la première année de Deug en deux semestres de manière à répondre à l'objectif d'orientation à la fin du premier semestre (...) et permettre aux étudiants la découverte d'autres disciplines ouvrant à des possibilités de réorientation ;

2. Mettre en place les dispositifs de contrôle des connaissances, de compensation, de capitalisation, prévus par le présent arrêté aux articles 11 et 18, ainsi que les dispositions prévues à l'article 23. Jusqu'aux nouvelles habilitations, les établissements conservent le contenu des formations actuelles et définissent l'équivalence entre les actuels modules ou matières et les unités d'enseignement à mettre en place. (...) Sous ces réserves, l'habilitation des cursus est prorogée jusqu'à de nouvelles habilitations".

En clair il faut au moins faire en sorte, qu'avec les enseignements actuels, des évaluations soit faites à la fin du premier semestre qui permettent une réorientation et que d'autre part les nouvelles règles concernant le contrôle des connaissances soient appliquées.

Arrêté du 30 avril 1997 (arrêté spécifique aux sciences humaines et sociales)

Article 2 :il n'est plus dit que "la formation comporte dans les deux cycles la pratique d'au moins une langue vivante étrangère"

A l'article 3 définissant le rôle de l'établissement, il n'est plus dit qu'il définit les modalités de contrôle.

Dans la liste des Deug sciences humaines et sociales, apparition d'un Deug "interventions sociales et éducatives".

Les durées des Deug (800 heures), des licences et des maitrises (350 heures) sont inchangées.

Descriptions des enseignements fondamentaux du Deug. Très peu de modifications (et même du conservatisme comme la notion de majeure encore utilisée pour le Deug Misashs) ; une mention d'informatique appliquée en psychologie mais un nouveau Deug (interventions sociales et éducatives) et une modification du Deug mention sociologie:

1) dans le Deug mention sociologie, le premier enseignement théories sociologiques est remplacé par questions de sociétés. C'est la seule modification vraiment importante parmi toutes les disciplines.

2) la nouvelle mention Interventions sociales et éducatives est un mélange de psychologie, de sociologie et d'histoire, des "ou" manifestant qu'elle a été créée soit dans une UFR psycho-socio, soit dans une UFR psycho-histoire. On trouve par exemple la possibilité "histoire moderne ou psychologie physiologique" ; "psychologie (enfant ou patho) ou histoire et théories sociologiques ou histoire ancienne et médiévale". Visiblement, il s'agit là de regroupements ad hoc liés à une conjoncture locale. Attention : ce Deug ouvre l'accès à la licence de sociologie.

En ce qui concerne le contenu de la licence et de la maitrise de sociologie, il n'y a aucun changement.

Conclusion générale : je fais l'analyse (à discuter) que ce nouvel arrêté n'est qu'une nouvelle opérationalisation de la réforme précédente Jospin-Lang : on a retiré de la liberté aux universitaires pour qu'ils ne puissent plus tourner la loi. Les contraintes de calendrier, de construction des unités d'enseignement, de contrôle des connaissances (compensation) sont beaucoup plus strictes et permettent de mieux "cadrer" les universités afin d'éviter des déviations par rapport à la norme. On veut forcer les universitaires :

- à prendre acte de l'université de masse où le choix d'une discipline n'est pas assuré et où l'étudiant doit se construire progressivement par essais et erreurs ;

- à abandonner les réflexes d'une université de petit nombre où l'on commence immédiatement dans le vif du sujet.

Ph. Cibois

 

 

 

 

Rencontre avec le directeur scientifique "Sciences humaines et sociales"

Le 12 mars, le président de l'ASES a été reçu par M. Dauphiné, directeur scientifique du département "sciences humaines et sociales" : les points suivants ont été abordés :

Recrutement

M. Dauphiné pense que le local et le national ont des logiques différentes : le système actuel est satisfaisant et il n'est pas envisagé de le modifier. Il faut lutter contre l'appauvrissement apporté par le localisme mais il ne faut pas interdire le recrutement local qui empêcherait des labos de vivre normalement parce qu'il peut être bon qu'un tiers des chercheurs soient recrutés localement.

Réforme

On peut répartir les échecs des étudiants en quatre types :

1) les échecs dus au niveau franchement mauvais de certains : ils seront difficiles à éviter,

2) ceux dus à des accidents divers (santé, finances) où la sélection sociale joue un rôle déterminant. La session de rattrapage n'a de sens que s'il existe une formation de rattrapage : ce n'est pas la nécessité d'un job de vacances qui va permettre à l'étudiant de se récupérer.

3) les échecs dus au passage non réussi de la situation de lycée ou l'élève est encadré, à celle de l'université ou l'étudiant peut se croire laissé sans directives : il faut aider au bon franchissement de ce passage par l'apprentissage d'une méthodologie spécifique au travail universitaire qui ne doit pas être confondue avec la méthodologie propre à chaque discipline.

4) les effets d'une mauvaise orientation dus à une absence de choix éclairé : le semestre d'orientation devrait permettre une réorientation dans la mesure où ce semestre confrontera l'étudiant avec une réelle découverte de deux autres disciplines.

La semestrialisation offrira aux enseignants la possibilité de bloquer leurs cours sur un semestre afin de dégager des plages de temps suffisantes pour la recherche.

Reconnaissance de la sociologie comme discipline de terrain

La sociologie, la géographie et l'histoire ont bénéficié mais aussi souffert de la pensée marxiste. Quand dans les sciences dures une théorie s'effondre, on en cherche une autre. Ce ne fut pas le cas Sciences humaines et sociales. En sociologie on se réfugie dans l'étude de cas sans cadre théorique. Il faut maintenir les deux et ne pas céder à la tentation du terrain comme d'un refuge qui dispense de rechercher un cadre théorique.

Le fonctionnement des experts et consultants du ministère

Le groupe d'étude technique du département ne saurait fonctionner sur la base de la parité : il faut que ses membres soient libres, sans mandats émanants d'un syndicat ou d'une association. Par contre, ce groupe doit être équilibré et des propositions peuvent être faites lors des renouvellements.

Annuaire de l'ASES

Il s'agit d'une bonne initiative : le futur annuaire devra se faire en collaboration avec le ministère comme le précédent.

***

Compte rendu de la discussion de la table ronde autour de la réforme Bayrou 15 mars 1997

La table ronde réunissait une trentaine de personnes. Les universités de province étaient bien présentes : Amiens, Metz, Nancy, Poitiers, Rennes, Rouen, Strasbourg, Toulouse. Il est possible de regrouper les échanges autour de quelques thèmes principaux.

À propos de l'économie générale de la réforme. C'est tout d'abord un sentiment d'indignation qui prédomine. Indignation à l'encontre du mépris dont fait montre le ministère à l'égard des partenaires qui constituent l'Université : pas de ressources supplémentaires sinon celles destinées au tutorat ; trois mois pour mettre en œuvre la réforme. Ce qui semble compter pour le Ministre, c'est qu'elle soit appliquée grossièrement au niveau national quelles que soient les formes concrètes qu'elle prendra dans chaque université. Il est souligné que cette réforme a été élaborée au sein d'un petit cénacle qui n'a pas pris soin de prendre en compte les retours d'expériences, en particulier, les effets de la réforme de 1992 concernant la modularisation. De ce point de vue là, la réforme est qualifiée par certains "d'usine à gaz". Dans le cadre du partage disciplinaire, la sociologie a été séparée des sciences de l'organisation, ceci est jugé inadmissible. L'un de nous suggère que le Président de l'ASES interpelle le ministère sur ce point. Il propose, en outre, d'analyser le texte de la réforme à partir du point de vue des sciences de l'organisation et de contribuer à montrer ainsi qu'elle ne peut pas fonctionner. Un collègue ajoute qu'il faut également prendre en compte le point de vue des sciences politiques pour comprendre le sens et l'accueil fait à la réforme. Cette réforme semble satisfaire beaucoup de monde : les présidents d'université, les étudiants (octroi de l'allocation étudiante, la double compensation). La question du semestre d'orientation fait mouche parce qu'elle paraît liée pour beaucoup à celle de l'échec. Aussi certains soulignent que l'Université n'a pas à se plier à de fausses exigences de la société civile. Il s'agit donc d'examiner attentivement la question de la réorientation.

À propos de la réorientation. De l'avis de certains, les réorientations concerneraient essentiellement, soit les transferts entre les filières droit et économie vers les filières AES, soit les transferts vers la filière technologique. D'ailleurs, les analyses des réorientations qui ont été faites dans les différentes universités représentées ou connues montrent qu'elles ne concernent qu'un faible pourcentage d'étudiants fréquentant les filières de sciences humaines, dans la plupart des cas cités moins de 5%. Faut-il donc réaménager l'ensemble de l'année pour ce petit nombre ou plutôt mettre en place des dispositifs pour seulement ceux-là ? Certains soulignent que les réorientations posent moins de problèmes à l'institution quittée qu'à l'institution d'accueil : c'est au lieu de l'accueil qu'il faut mettre en place des enseignements de soutien permettant aux arrivants en cours d'année de rattraper les connaissances déjà acquises aux cours du premier semestre. Dans certaines régions, les établissements qui ont des BTS recrutent en cours d'année les étudiants fourvoyés : ils ont mis en place des programmes de soutien. Un autre collègue propose que l'on fasse un effort tout particulier d'information envers nos futurs étudiants.

À propos de l'enseignement semestriel. Un véritable fonctionnement en semestre signifierait que l'on dispose d'un temps assez long entre les deux semestres pour que les évaluations soient connues des étudiants. Pour l'instant, même dans les UFR qui ont pris trois semaines d'arrêt, les étudiants ont abordé le deuxième semestre sans avoir leurs résultats : les effectifs extrêmement nombreux des premiers semestres pluridisciplinaires en sont la raison. Il est souligné que les universités des autres pays européens fonctionnent en semestre. Le développement des échanges entre universités pousse donc à la semestrialisation d'autant que Bayrou tient dans les cinq ans à mettre en place l'obligation d'obtenir un semestre de second cycle dans une université européenne non française.

À propos des TD, des DEUG pluridisciplinaires et de la qualité de l'enseignement de la discipline. Que doit-on enseigner et comment lors de ce premier semestre et après ? Il y a unanimité pour considérer que les TD constituent la forme de base de l'enseignement et étonnement que dans certaines UFR la question demeure en débat. À Poitiers, une étude montre que les enseignements sans TD obtiennent 25% de réussite alors que ceux associés à des TD en obtiennent 61%. Aussi pour certains le TD est plus qu'un lieu privilégié de transmission des connaissances, c'est également un lieu de socialisation, rôle que ne joue pas le tutorat. Certains, en particulier Toulouse, enchâssent dès la première année cours, TD et terrain. Il n'empêche que pour ceux d'entre nous qui sont déjà engagés dans les DEUG pluridisciplinaires, il est extrêmement difficile et parfois impossible d'organiser des TD au premier semestre et ceci pour deux raisons. D'une part ces DEUG regroupent en première année au moins 1000 étudiants et souvent davantage, il faut pouvoir financer le nombre de TD nécessaires et pouvoir aligner les enseignants, or, dans certains UFR, tous les enseignants statutaires ne sont pas particulièrement volontaires. D'autre part, la compatibilité des plages horaires entre multiples filières devient impossible à trouver sans compter la question de l'occupation des salles. Dans certaines universités, en particulier Nanterre, le DEUG pluridisciplinaire qui fonctionnait depuis quelques années va être abandonné. Au fil de la discussion deux questions s'entremêlaient à celle de la forme de l'enseignement. Tout d'abord s'affichait le souci essentiel de ne pas laisser dériver la place de l'enseignement de la sociologie vers un statut mineur. Enfin se posait la question de savoir comment faire partager aux apprentis sociologues, dans les meilleures conditions possibles, une culture générale de base concernant les autres sciences humaines : à l'initiation en première année s'opposait l'apprentissage tout au long du cursus.

Catherine Peyrard, université de Rouen.

Travaux de l'ASES

Deux réunions publiques de l'ASES ont permis à plusieurs ateliers de se constituer et de confronter les points de vue sur des problèmes d'enseignements des méthodes (réunion du 25 janvier) ou de la théorie sociologique (15 mars) : on trouvera ci-dessous les comptes-rendus de ces rencontres

***

L'observation et ses protocoles d'analyse : compte rendu de l'atelier organisé dans le cadre de la réunion-débat de l'ASES du 25 janvier 1997 consacrée à l'enseignement des méthodes

Jean Peneff, responsable de l'atelier, propose aux vingt-cinq enseignants présents de discuter trois points :

– le cadre dans lequel est enseignée l'observation comme méthode d'enquête, et notamment la forme de cet enseignement (dans le cadre d'enseignements consacrés exclusivement à l'enquête de terrain ou d'enseignements plus globaux portant sur les diverses méthodes qualitatives, voire sur les méthodes en général ; cours magistraux ou TD ; modules obligatoires ou optionnels), son volume horaire...

– les réactions des étudiants – voire celles des collègues – face à ces enseignements, réactions qui peuvent aller de l'évitement au réel plaisir de pratiquer l'observation directe ;

– les propositions à faire en vue d'améliorer les conditions de ces enseignements.

De nombreuses expériences sont rapportées par les différents intervenants qui enseignent en DEUG, en second cycle de sociologie ou bien dans d'autres cursus (IUT, écoles d'architecture ou d'ingénieurs). Celles-ci montrent que l'enseignement de l'observation se fait dans les conditions les plus diverses. Enseignement obligatoire dès la première ou la deuxième année dans telle université, l'observation ne fait ailleurs partie que des options offertes en troisième cycle. Plus couramment, elle est enseignée en deuxième cycle. Il semble qu'on ne trouvera pas forcément mentionné comme tel cet enseignement dans les plaquettes de présentation des cursus de sociologie : l'observation est parfois seulement intégrée aux enseignements de méthodologie générale où l'entretien et le questionnaire ont la part belle, ou bien elle n'est parfois signalée qu'à la faveur de tel ou tel enseignement thématique ou de la présentation de tel courant théorique.

Les enseignements sur les méthodes d'observation sont actuellement réalisés dans le cadre de cours magistraux comme de travaux dirigés. Leur contenu se trouve nécessairement lié à la forme prise par les enseignements. Ils sont parfois limités à la présentation de récits d'observation ou de notes méthodologiques (des auteurs tels que Hughes, Becker et Goffman ont été cités pour leur lisibilité), ce à quoi le cours magistral se prête particulièrement : c'est souvent la principale manière de procéder pour un cours en amphithéâtre (en dehors de la projection de films ou de documents). En fait, ces enseignements permettent de faire comprendre aux étudiants que, lorsqu'ils feront à leur tour du terrain, ils s'inscriront dans une tradition : ils ont des prédécesseurs qui ont été amenés à réfléchir sur les problèmes qu'ils ne manqueront sans doute pas de se poser à leur tour.

Les enseignements de ce type se combinent parfois – notamment lorsque des travaux dirigés en petits groupes sont offerts – avec l'encadrement d'une première expérience d'enquête de terrain. Par commodité, le travail de terrain peut porter tout d'abord sur des lieux "ouverts" (enquêtes dans le voisinage, dans des lieux publics ou à l'université). Si les étudiants de première année privilégient spontanément ce type de lieux publics, des espaces sociaux ouverts comme la rue ou le café, il vaut sans doute mieux les orienter vers des lieux où se jouent des confrontations entre classes sociales, où apparaissent des hiérarchies, du pouvoir, comme certaines situations de travail, par exemple dans des bureaux d'administration qui ont à gérer des dossiers, à faire face à des files d'attente, etc.

Le travail de terrain peut également trouver place dans le cadre de "stages", que ceux-ci soient suivis individuellement comme lorsqu'un étudiant se fait embaucher dans une entreprise, ou bien organisés collectivement, par exemple dans une localité particulière, sur le modèle des stages d'ethnologie. L'intérêt de cette forme d'enseignement qui inclut le stage de terrain, qu'il soit individuel ou collectif, est souligné par tous et confirmé par l'ensemble des enseignants qui ont eu l'occasion de le pratiquer.

Dans le cas le plus fréquent où, faute de moyens d'encadrement d'un grand nombre d'étudiants, le stage ou le travail de terrain ne sont pas possibles, des documentaires, des photographies ou des séquences de certains films de fiction sont utilisés comme substituts, généralement dans le cadre de TD : les étudiants peuvent ainsi s'exercer à repérer les qualités issues de l'observation concrète ou bien à décrire en leurs propres termes les scènes rapportées par ces différents outils. Les descriptions concrètes, très détaillées, tirées de récits littéraires, et les méthodes d'enquête des romanciers présentent également un intérêt : les œuvres de Tolstoï, Zola, Balzac, Flaubert ou encore London ont été évoquées comme sources d'exemples.

L'enseignement des méthodes d'observation peut donc articuler trois temps, celui des cours magistraux, celui des TD et celui de la mise en œuvre d'une enquête. La sortie sur le terrain peut se préparer, notamment en amenant les étudiants à exprimer leurs prénotions comme exemples de catégories du sens commun. Il faut faire travailler les étudiants sur leurs fausses visions du monde pour les retourner et montrer ainsi l'utilité de l'observation. Pour cela, ont été évoqués divers types d'exercices possibles à partir de lectures ou de documents iconographiques.

L'observation pose différents problèmes aux étudiants de sociologie. Elle suppose une certaine mémoire de ce qui a été observé, mais aussi une capacité à mettre en doute leurs certitudes sur le monde. L'observation suppose en outre un goût pour l'écriture et des qualités de rédaction minutieuse et précise dont le défaut peut poser problème à certains étudiants. Il s'agit d'une méthode particulièrement astreignante, coûteuse en temps justement parce qu'elle suppose la tenue d'un journal de terrain quotidien à l'issue de la journée d'observation. C'est en fait pour eux une excellente occasion d'approfondir leur formation, en s'astreignant à l'écriture quotidienne à travers la description, par exemple, de leur propre environnement. Pour être efficace, cette méthode suppose cependant que les travaux écrits soient lus (les étudiants expriment une forte demande en ce sens), ce qui pose deux problèmes : ont été évoqués le temps de correction pour l'enseignant s'il doit faire face à de lourds effectifs, ainsi que la résistance de certains étudiants à livrer leurs journaux ou carnets d'enquête qu'ils considèrent parfois comme relevant du domaine privé, ce qui empêche toute correction ou contrôle.

Ce type d'enseignement pose également de façon toute particulière le problème de l'évaluation. Ce peut être l'occasion de valoriser dans le travail des étudiants des qualités différentes de celles qui sont habituellement retenues, les travaux intéressants étant souvent ceux des plus expérimentés sur le monde social ou des plus curieux, qui sont parfois également les moins rodés à la parole scolaire.

La question des moyens pèse fortement sur le développement des enseignements sur l'observation directe. Il ne manque pas seulement les moyens permettant à l'Université de proposer aux étudiants des formations en photographie ou en vidéo, en montage, autant de techniques sur lesquelles pourrait s'appuyer la mise en application par les étudiants des enseignements dispensés (certains étudiants doivent ainsi suivre des formations parallèles hors du cadre universitaire). Le problème est plus large : la baisse du nombre d'heures allouées au DEUG dans les universités fait que la méthodologie est réduite à la portion congrue, alors même qu'elle exige des effectifs réduits et donc des enseignants nombreux.

Le stage collectif de terrain, qui renforce la cohésion dans les promotions d'étudiants et qui apparaît comme un instrument pédagogique extrêmement riche, pose, en plus de celle de son encadrement, la question du financement. S'ajoute le problème de l'organisation du cursus qui ne permet pas de libérer le temps nécessaire au stage. L'incitation au travail collectif et l'utilisation de tuteurs ou moniteurs peuvent permettre de résoudre en partie le problème de l'encadrement des stages et de renforcer dans le même temps la socialisation de l'étudiant au monde universitaire en faisant se rencontrer des promotions différentes. La licence pourrait être le niveau auquel se ferait cette expérience de terrain. C'est sans doute grâce à une reconnaissance explicite du stage comme étape obligée du cursus de sociologie – telle qu'elle existe dans les cursus de psychologie ou de géographie – que pourraient être obtenus les moyens nécessaires pour assurer la formation des étudiants à la méthode d'observation.

Anne-Marie Arborio, université d'Aix-Marseille II

Alain Quemin, université de Metz

***

 

Compte rendu de la rencontre de l’ASES du 25 janvier 1997 Atelier sur le questionnaire

Consacré à l’enseignement de la logique du questionnaire, cet atelier a permis de confronter les expériences réalisées dans différentes universités françaises. De nombreux points communs et des différences ont été recensés.

La présence d’unités d’enseignements des méthodes quantitatives poursuit l’objectif d’initier les étudiants aux contraintes du raisonnement sociologique explicatif. Si la sociologie est une discipline scientifique à part entière, se différenciant d’autres savoirs, il est jugé opportun d’en afficher les spécificités. Or, cet objectif, partagé par tous les intervenants, semble soulever un certain nombre de réticences, voire de résistances. Tout d’abord, la méthodologie, tout en jouissant depuis quelques années d’une place légitime au sein du savoir sociologique, est trop souvent entourée de jugements de valeurs qui la desservent. A ce sujet, on ne saurait taire la confusion souvent opérée entre l’enquête sociologique par questionnaire et le sondage d’opinion.

Qui plus est, une hiérarchie des savoirs héritée tend encore à distinguer l’approche qualitative de l’approche quantitative et le théorique de l’empirique. Fonctionnant de paired concepts ces divisions institutionnelles du savoir, au départ pédagogiques, empêchent parfois les étudiants de saisir la question cruciale de l’articulation entre la construction théorique de l’objet et l’élaboration d’indicateurs empiriques. On déplore en effet une réelle difficulté des étudiants à traduire en indicateurs des questions théoriques et on repère une tendance à se renfermer d’emblée dans l’expérience personnelle ensuite généralisée. Trop souvent, le questionnaire se réduit dans l’esprit des étudiants à une technique et l’analyse des données à un formulaire d’outils empruntés aux modules de statistique.

La fabrication du questionnaire présuppose une série de contraintes, en tout premier lieu celle de la taille de l’échantillon. L’étudiant perd le sentiment de choisir le sujet et ressent comme une contrainte l’incorporation de son travail individuel dans le cadre du travail collectif. Cette réticence au travail universitaire collectif ne semble pas seulement dériver de difficultés d’ordre organisationnel : il est difficile de construire un questionnaire à l’aide de plusieurs dizaines, voire centaines d’étudiants, par exemple.

Ces difficultés, communes aux enseignants confrontés à l’enseignement du questionnaire, peuvent s’accroître là où les sociologues ne sont pas maîtres du déroulement complet de l’enquête. Par exemple, on déplore la délégation de tâches importantes, telle l’exploitation des données, confiée à des collègues peu accoutumés au raisonnement sociologique -informaticiens, statisticiens. L’idéal serait que les enseignants fassent preuve d’une triple compétence, sociologique, statistique, informatique, nécessaire à la conception du questionnaire et à son exploitation.

Pour l’exploitation des données, en outre, les étudiants se laissent parfois abuser par l’autorité des chiffres et la facilité de maniement de l’outil informatique permettant de produire à peu de frais une grande quantité d’informations : tableaux croisés, plans d’analyses factorielles etc. Il s’ensuit qu’une grande vigilance est requise de la part des enseignants. Il faut démystifier l’autorité socialement construite du " bon " chiffre et resituer le recours aux outils statistiques et informatiques dans un objectif proprement universitaire: amener les étudiants à défendre un point de vue, une " thèse " étayés à l’aide de données.

Malgré les efforts prodigués par les enseignants, peu d’étudiants utilisent l’enquête par questionnaire, même en deuxième ou troisième cycle. Cette situation paradoxale pourrait-elle s’expliquer -en partie- par le fait que le questionnaire est un outil financièrement coûteux et que même en deuxième cycle une partie des étudiants sait ne pas se destiner à la recherche sociologique?

Sic rebus stantibus, à quel moment du cursus faudrait-il enseigner le questionnaire? L’idéal serait de commencer par l’exploitation secondaire dans les premières années de formation et de réserver la fabrication du questionnaire à un travail de mémoire -de maîtrise, DEA, thèse. Pourtant, il n’est peut-être pas inutile de commencer le cursus en montrant d’emblée les pièges et les difficultés du terrain.

Finalement, est retenue la proposition d’E. Lazega d’engager l’ASES à concevoir un CD-ROM de fichiers de données à proposer à tous les départements de sociologie. En montrant comment et sur quelles données travaillent les sociologues expérimentés, cet outil pédagogique permettrait aux étudiants de prendre conscience de certaines caractéristiques du métier de sociologue.

Vincenzo Cicchelli, Paris V -René-Descartes.

Compte-rendu du groupe de travail sur entretiens et analyses de contenu

Participants : François Cardi (Evry, Val d’Essonne), Francis Farrugia (Poitiers), Annie Guedez (Poitiers), Barbara Michel (Grenoble), Dominique Jacques (Besançon), Pierre Fournier (Aix-Marseille 1), Claudine Dardy (Paris 12, Créteil), Marcel Calvez (Rennes2), Maryse Tripier (Paris 7), France Aubert (Paris 7), René Bourreau (Paris 1), Suzie Guth (Metz), Michel Messu (Nantes), Olivier Schwartz (Versailles Saint-Quentin) Frédéric Mispelblom (Evry, Val d’Essonne), Marc Glady ( Paris 9), Philippe Lyet (Dijon), Irène Vasilachis de Gialdino (Université de Buenos-Aires)

Il est décidé, en début de réunion, de faire un tour de table, pour exposer les expériences d’enseignement, les difficultés rencontrées, les souhaits et suggestions.

En réalité l’analyse de contenu de documents " bruts ", quelle que soit son traitement, a été peu abordée au profit d’une réflexion plus générale sur les méthodes qualitatives et sur le traitement des entretiens semi-directifs.

Malgré la multiplicité des situations quelques constantes apparaissent :

-Dans de nombreux cas l’enseignement est clairement distingué entre, d’une part, méthodes quantitatives, rapprochées le plus souvent des statistiques et d’autre part, méthodes qualitatives. Dans d’autres cas est proposé une enseignement de l’enquête, qui prévoit, à certaines étapes des entretiens ou des questions ouvertes dans un questionnaire et des analyses de contenu.

- L'enseignement des méthodes, ici, qualitatives, peut être considéré comme un vecteur de la maturation intellectuelle et de la transformation de l’élève en étudiant (contact avec les difficultés de la recherche, exigence de distance, apprentissage du travail collectif..).

- L’enseignement de l’enquête est un moyen privilégié pour nouer et entretenir des liens plus étroits et constants entre étudiants et enseignants.

1/L’organisation de l’enseignement des méthodes qualitatives:

- La sociologie semble être chargée, là où on observe une division du travail entre disciplines, d’être gardienne de la rigueur méthodologique. (en AES par exemple)

- Le souhait des collègues est de fonctionner en petits groupes, ce qui n’est pas toujours possible, mais se pratique déjà le plus souvent.

- Le passage au travail de terrain est partout problématique, pour plusieurs raisons :

- Le type d’investissement requis pour l’étudiant et l’enseignant est lourd, demande de la disponibilité et des moyens financiers importants. (reconnaissance de la sociologie comme "discipline de terrain", aussi).

- La compatibilité entre le temps de " production " d’une recherche et les rythmes universitaires.

- Le positionnement par rapport à l’enseignement des théories générales, voire des théories touchant l’utilisation des méthodes elles-mêmes.

2/ les questions pédagogiques

La question a été posée du moment le plus opportun pour débuter l’enseignement des méthodes qualitatives. Faut-il " jeter à l’eau " des étudiants dès le DEUG, où faut-il attendre la licence, c’est à dire un choix plus clair pour la sociologie comme discipline de formation et l’affirmation d’une maîtrise théorique ? Faut-il favoriser la démarche tâtonnante par essais-erreurs, ou privilégier au contraire un fort encadrement par l’enseignant? Comment dans le temps imparti faire valoir les présupposés de toutes les étapes de la recherche?

Comment faire admettre que la technique d’entretien soit distincte de la démarche journalistique? Cette dernière est un modèle dominant chez les étudiants, mais ne peut-elle également servir de tremplin, permettant d’encourager les étudiants à s’engager dans la démarche volontaire de l’enquête, quitte à travailler sur la prise de distance?

Faut-il considérer l’enquête et les techniques de recherche comme secondes (et non autonomisables?) de l’apprentissage de ce que sont la construction de l’objet, les définitions conceptuelles, la formulation des hypothèses et l’élaboration d’une problématique? (et alors l’année y passe?)

Dans le débat revient souvent la difficulté à " mettre en route " une démarche d’investigation: recherche des sources, de populations d’enquête, montage d’un protocole, prises de contact, déplacements, passation des entretiens, contacts postérieurs..  " sortir de la fac "

On note également une crainte (mais qui peut être aussi le fait des enseignants) face aux méthodes qualitatives qui seraient moins balisées que les enquêtes quantitatives.

3/ Contenus et références théoriques

Une discussion s’est engagée sur les paradigmes sous-jacents au choix des méthodes d’entretien et plus généralement des méthodes qualitatives, choix qui conduisent à privilégier certains contenus d’enseignement.

Certains participants ne lient pas le choix des techniques à des théories sociologiques mais à l’opportunité selon les objets, d’autres montrent que certains courants sociologiques s’appuient exclusivement sur certaines techniques.(interactionnisme symbolique, individualisme méthodologique..)

Dans tous les cas, les participants montrent que l’analyse thématique de contenu est aujourd’hui relayée par des techniques nouvelles issues de disciplines connexes, la linguistique par exemple, et des technologies nouvelles permettant le passage de l’analyse qualitative à la quantification (logiciels..) Peut-on y faire appel, sommes nous assez formés et avons nous les moyens de les transmettre?

Un thème est revenu très fréquemment dans la discussion, celui du bricolage. Chacun convient que le travail qualitatif s’apparente souvent à cette forme d’activité. Mais les opinions divergent quant à l’étendue et à la place qu’il occupe dans le travail scientifique et dans l’enseignement que l’on dispense.(cf article Mispleblom)

Notre collègue argentine nous a indiqué que les débats méthodologiques sont nombreux, en Amérique du Nord et du Sud, justement pour pouvoir progresser dans les méthodes qualitatives qui mettent en avant la subjectivité des chercheurs tout en " contrôlant " les interprétations par le croisement avec des méthodes plus objectivantes.(observations, mesures quantitatives..)

Ces débats sont liés à la diffusion des recherches fondées sur la démarche de " théorisation ancrée " (grounded theory).

La discussion a montré la nécessité de poursuivre le débat. Cl. Leneveu, M. Calvez et M. Tripier ont proposé que l’ASES organise une ou deux journées sur la théorisation ancrée et les nouvelles techniques d’analyse de contenu.

Enfin a été posée la question des manuels et des ouvrages susceptibles d’aider les enseignants et les étudiants à penser à la fois les exigences et les limites des méthodes qualitatives. De tels manuels peuvent-ils exister ? Si oui, sous quelle forme ?

France Aubert et Maryse Tripier, université Denis-Diderot - Paris VII

Réunion de l'ASES du 15 mars : Compte rendu du débat sur le thème : théorie sociologique, et sociologie générale

Les universités et les filières représentées dans le débat : un IUT carrières sociales de Paris, AES Lille III, AES Paris VIII, AES Paris I (2°cycle), Amiens, Evry, Nantes, Perpignan, Poitiers, Besançon.

La sociologie n'est pas toujours abordée de la même manière selon les universités et les filières. Sans entrer dans le détail, les préoccupations affichées étaient dans l'ensemble d'une filière :

- donner une place importante à l'histoire de la sociologie ; elle est très présente ;

- lier la pensée des sociologues avec les méthodologies. Tantôt on part des méthodes et on illustre par les auteurs, tantôt on part des auteurs pour aller vers les méthodes ;

- introduire assez tôt (dès la première année le plus souvent) du travail de terrain

- des allers et retours sont effectués entre sociologie générale et sociologies spécialisées, en partant de l'une ou des autres.

En première année, il faut distinguer les enseignements selon qu'ils comportent un cursus complet ou 30 à 40 heures :

I - quand ils ont très peu d'heures à leur disposition, les enseignants se donnent comme objectif de : 1) axer l'enseignement sur une prise de distance du sens commun 2) créer des repères sur les grands courants de la sociologie pour faciliter les lectures ultérieures. Un exemple a été donné d'une expérience pédagogique partant d'opérations intellectuelles : "comment le sociologue définit, classe, compte ?.."

II - dans un cursus complet :

2.1- Organisation. L'existence de la sociologie comme discipline majeure ou mineure donne lieu dans l'ensemble à des contenus d'enseignement différents. On constate que peu d'étudiants remettent en cause leur choix de départ à l'issue de la première période d'orientation.

Quand l'enseignement est dispensé à des élèves qui ont choisi sociologie en mineur, il est quasiment impossible d'avoir des TD étant donné l'organisation que cela implique et le budget que cela demanderait.

Les heures dont disposaient les universités ont été beaucoup réduites et entraînent de grandes difficultés.

2.2 - Contenu. Les contenus d'enseignement sont organisés de manière différente selon les universités. Certains axent l'enseignement de la théorie sociologique en priorité autour de la diachronie, d'autres partent plutôt de phénomènes sociaux et introduisent la diachronie sur un aspect.

L'entrée par la diachronie

On peut distinguer :

- ceux qui font quelques auteurs précurseurs,

- ceux qui en font plus mais avec deux vitesses (tantôt sur le mode de l'histoire pour expliquer la constitution de la discipline, tantôt de manière plus approfondie sur certains auteurs).

Les auteurs qui semblent le plus étudiés en première année sont Marx, Durkheim, Weber puis viennent Comte, Tocqueville, Saint Simon...

L'entrée par les phénomènes sociaux

- L'enseignement est axé sur l'étude d'ensemble de notre société, les auteurs sont mobilisés dans ce contexte.

- On mobilise des auteurs pour éclairer une question (ex l'éducation, l'intégration).

2.3 - Démarche pédagogique

- entrée par les auteurs : On part des auteurs pour montrer quel est leur objet, quels concepts ils construisent et comment ils traitent de questions particulières (ex : le suicide de Durkheim). Ceux qui ont abordé la question du contenu de l'enseignement et la question pédagogique mettent l'accent sur l'initiation à la lecture des auteurs non pas seulement à partir d'extraits mais également à partir des ouvrages eux-mêmes.

Une démarche commune semble être de partir des questions qui "touchent" les étudiants, qui les concernent.

Dans les seconds cycles on trouve la volonté de lier les précurseurs avec d'autres auteurs contemporains.

En conclusion : la pédagogie s'articule autour de deux axes. Donner de l'importance à la théorie, lier théorie, sociologie générale, sociologies spécialisées et méthodologies. Les ambitions sont limitées en fonction du public et des conditions d'enseignement (effectifs, possibilité d'introduire de l'histoire pour accompagner l'enseignement de théorie, possibilités de faire des TD).

Régine Bercot, université d'Amiens

Tribune libre

A propos de "bricolage".

Dans les ateliers et en séance plénière consacrés au thème "enseigner les méthodes" (26/01/97), le mot "bricolage" a été assez largement utilisé pour parler de nos manières de mener des entretiens et de les analyser, au point de sembler constituer une sorte d'évidence de notre métier de sociologue et par conséquent, d'enseignant. Pour les uns, le terme évoque peut-être Castorama, l'astuce, le fait d'être plus ou moins doué pour cela, car certains savent y faire tandis que d'autres nullement. Et c'est probablement ainsi que l'entendront la grande majorité des étudiants. Pour d'autres, le bricoleur évoquait La Pensée Sauvage de Claude Levi-Strauss, et tel collègue se posait la question de savoir s'il valait mieux un bon bricoleur ou un mauvais ingénieur. Cette référence ne donne en principe pas au bricolage la même signification que la précédente, puisque Lévi-Strauss, à l'encontre de Levy-Bruhl, montrait que la "pensée sauvage" n'était pas pré-logique, mais relevait d'une logique autre que celle qui domine dans les pays où règne le cartésianisme, donc le rationalisme qui consiste notamment à séparer des domaines de la réalité et de la pensée qui pour cette logique ne vont pas ensemble : raison et sentiments, logique et affects, politique et science. A l'encontre de cette pensée rationaliste, la pensée dite sauvage peut associer des domaines très variés, de l'humain et de l'animalier, des pierres et des arbres, les morts et les vivants. Mais ce sur quoi insiste Lévi-Strauss, c'est sur le fait qu'il y a là néanmoins une logique, à découvrir.

Je crois que c'est dans ce sens qu'on peut déconstruire cette notion de "bricolage" si souvent évoquée pour parler des pratiques d'entretien, et qui rend à mon avis leur enseignement très problématique : car peut-on enseigner le bricolage sans qu'il cesse d'être bricolage ? Je crois que ce terme est symptômatique de quelque chose de plus profond dans notre discipline, qui est qu'il nous arrive de croire que comparée à d'autres disciplines, la sociologie comporte des dimensions importantes qui ne sont pas très scientifiques, ou du moins, qu'on a du mal à théoriser. Si cette idée, généralement contenue dans la sphère des pensées privées quand il s'agit de théorie sociologique, surgit en public au moment où l'on parle des entretiens, c'est qu'il se passe en effet dans les entretiens quelque chose de tout à fait singulier, qui met à l'épreuve nos capacités de théorisation. Il en va de même de nos découvertes scientifiques : comment rendre compte aux étudiants du cheminement de la pensée, des associations d'idées souvent très étranges et en partie méconnues du chercheur lui-même, du rôle de l'imaginaire et de l'imagination ? Mais comme l'a montré Bachelard, et le montrent aujourd'hui Callon, Latour, Stengers et bien d'autres, la même chose vaut, mutatatis mutandis, pour les sciences physiques et naturelles.

Notre paradoxe à nous, sociologues, serait le suivant : une partie des matériaux à partir desquels nous construisons nos échafaudages théoriques, qui affirment en principe le primat du collectif sur l'individuel et exposent les mécanismes de la détermination sociale, est élaborée dans un colloque singulier où se trouvent empiriquement face à face un sujet sociologue intervieweur et un sujet social X interviewé. Une partie de notre laboratoire expérimental est constitué d'une configuration qui n'est pas l'objet d'étude principal de notre discipline, et pour laquelle on convoque d'ailleurs des apports inter- et pluri-disciplinaires, car elle est aux confins du social et du psychique, de l'individuel et du collectif. C'est un peu comme si une partie de nos matériaux était produit par un dispositif dont la conception et la compréhension relève légitimement plutôt d'autres disciplines que la nôtre : psychologie, psychologie sociale voire psychanalyse.

Je ne veux pas adopter ici une position excessivement scientiste ou défendre une orthodoxie sociologique qui n'existe guère en la matière, mais il me semble que nous disposons aussi d'un certain nombre de repères théoriques propres à la sociologie elle-même pour répondre à une bonne partie des questions que posent les entretiens, et réinterpréter sociologiquement les apports à mon avis tout à fait utiles des disciplines plus "psy", repères dont on peut se servir pour guider et analyser la situation d'entretien. Preuve en était l'atelier sur l'enseignement de l'entretien et de son analyse dont on trouvera le compte-rendu dans ce numéro, où le foisonnement d'expériences pédagogiques exposées montrait bien que l'on essaie de bricoler en connaissance de cause. Notre collègue du Brésil notamment nous a donné un exemple d'approches à la fois méthodologiques et théoriques, dont elle a montré l'indissociabilité, associées à des dispositifs pédagogiques tout à fait intéressants.

Un thème récurrent des récits des expériences exposées était que les méthodes enseignées ne sont rien sans la personnalité des étudiants, et que beaucoup de choses dépendaient finalement de cette dernière. Tant qu'ils n'osent pas intervenir, guider l'entretien, relancer, poser des questions au bon moment, tant qu'ils n'ont pas atteint une certaine maturité, les matériaux produits sont pauvres et le fait d'appliquer telle ou telle méthode n'y pouvait pas grand chose. Mais on remarquait aussi que quelques années plus tard, le "murissement" de la personnalité était aussi dû à l'appropriation de nouvelles théories sociologiques, et que le fait de ne pas séparer les cours théoriques des cours de méthodes, pouvait produire des résultats encourageants, les étudiants comprenant la non-neutralité théorique de telle technique d'entretien. Ils pouvaient ainsi découvrir la logique propre à tel et tel bricolage.

Le secret des entretiens et de leur enseignement se trouve donc peut-être dans un renversement de l'approche méthodique habituelle. Il ne s'agirait pas d'appliquer telle méthode conçue d'avance en croyant qu'elle va produire tel résultat, mais d'utiliser telle ou telle approche conçue d'avance en sachant qu'elle va nécessairement produire un résultat inattendu qu'il s'agit justement d'analyser après-coup, en étudiant la combinaison toujours singulière entre les théories sociologiques appropriées, telle méthode employée, le sujet socio-historique singulier qu'est l'étudiant apprenti sociologue et le sujet socio-historique singulier qu'est la personne interviewée. Si j'insiste sur ce "sujet socio-historique singulier" c'est que les théorisations d'Elias sur les inscriptions de chaque individu dans de multiples configurations, de Wright Mills sur la biographie socio-historique, fournissent les apports pour une approche non exclusivement psychologique du sujet singulier. Quand en petit groupe on tente de faire une analyse même des premiers entretiens menés "sans filet" par des étudiants de première année qui ont dû se jeter à l'eau, on peut montrer en se référant aux théories sur la famille, le système scolaire et d'autres institutions, que les normes et valeurs de celles-ci parlent par la bouche des interviewés et des intervieweurs. Les entretiens et leur analyse posent à la sociologie la question de fond du statut du langage dans notre discipline, et de l'étude des formes langagières sous lesquelles apparaissent dans un entretien les différentes pratiques sociales dont il y est question. Les positions occupées par les uns et les autres sont aussi inscrites dans un rapport de pouvoir, l'apprenti-sociologue tentant de diriger l'entretien sans toujours y arriver, la personne interviewée accepte cette direction ou tente d'avancer ses propres thèmes et questionnements, en référence aussi à ses propres positions sociales. Dans un entretien se confrontent ainsi des stratégies discursives, bien des étudiants affirment "interroger" les personnes, et leur crispation fréquente sur un questionnaire tout fait oscille souvent entre l'interrogatoire policier et le devoir scolaire. S'ils tiennent souvent tant à la position de supposée "neutralité" dans l'entretien, c'est qu'ils ont peur de la non-maîtrise de leurs propres investissements socio-subjectifs dans celui-ci. Mais quelles que soient les méthodes que les étudiants essaient d'employer, "ça cloche" toujours, l'entretien leur échappe, ils provoquent des blocages en émettant des jugements de valeur, ou ils se laissent mener vers des thèmes très éloignés des questions de départ.

Si l'on crée, en plus de l'enseignement des méthodes tout à fait indispensables, des "lieux d'analyse théorique des situations d'entretien", où les comptes-rendus et récits d'entretiens réels faits soit par des sociologues confirmés soit par les étudiants eux-mêmes peuvent être l'objet d'une analyse théorique, on peut progresser sur deux plans. Le premier est la connaissance des formes de discours donc des systèmes de représentation qui se confrontent dans un entretien : présupposés, normes et valeurs qui parlent chez la personne interviewée comme chez l'étudiant, et la combinaison qui s'effectue entre les deux. Le second plan est celui de la stratégie d'enquête et de la tactique d'entretien : le type de positionnement qu'on adopte envers les personnes interviewées. Bien des enquêtes s'approprient les savoirs des interviewées sans leur en restituer les résultats, d'autres au contraire visent à les leur restituer sous la forme de savoirs sociologiques sur les situations des enquêtés. Cela fait des entretiens des interrogatoires, des dispositifs d'expropriation, mais aussi des moments semi-directifs où un savoir partagé peut s'élaborer et une vérité de la situation être produite in situ, comme dans des discussions-débats. Dans la tactique d'entretien, les méthodes, les techniques, les principes, les règles, ont toute leur place et leur utilité, même s'ils ont leurs limites. Car ils sont la cristallisation d'une théorisation préalable qui détermine une bonne part du positionnement de l'enquêteur, dont les effets réels s'analysent au fur et à mesure. Loin d'être un outil qu'on applique, une stratégie s'élabore en marchant, en théorisant pas à pas les effets sociaux et de connaissance en train d'être produits.

Du point de vue des dispositifs pédagogiques qu'une telle approche exige, il y a d'abord la non-séparation des cours et TD de méthodologie de ceux de la théorie sociologie, générale et spécialisée, tentée dans certaines universités. Non pas qu'il faille supprimer totalement la spécificité des uns et des autres, mais les cours de méthodologie devraient exposer constamment comment chaque méthode est la matérialisation d'une théorie, et montrer qu'il faut changer de méthode ou de technique selon les objets étudiés. Inversement, les cours de théorie démontreraient que les résultats théoriques, les livres et les articles, les concepts et les notions, ont été tributaires de certaines conditions de production dans lesquelles les méthodes employées ont joué un rôle décisif. On pourrait alors imaginer qu'il n'y ait plus de TD spécifiques de méthodes, dans lesquels souvent on demande aux étudiants de "faire une petite enquête" pour les besoins d'illustration de la méthode, mais qu'il y ait des TD ou des ateliers à thème, où pour traiter le thème on fasse appel aux connaissances des théories enseignées dans les cours de sociologie générale et spécialisée et à telle méthode dont les principes sont enseignés dans des cours ad hoc. Dans de tels TD ou ateliers devraient alors exister des moments "d'analyse de situations d'entretien singulières", où les étudiants pourraient apprendre petit à petit quelles conceptions sociales et sociologiques, et quel type de positionnement méthodique, ils ont de fait mobilisés dans tel entretien : pour passer de leurs stratégies d'enquête plus ou moins inconscientes, à des stratégies mieux connues, toujours singulières et toujours à remanier. La question des méthodes est une question de théorie : le "bricolage" serait alors une théorie à la recherche d'elle-même.

Frederik Mispelblom Beyer, université d'Evry, Centre Pierre Naville

***

Portrait d'un sociologue en RMIste sauvage

De la Philosophie de la misère, en passant par la Misère de la philosophie, à La misère du monde, il semble que les sociologues approchent de plus en plus la misère comme réalité objective et construit social. Cependant, elle est toujours celle d'un ailleurs métis, autre exotique, géographique dicible mais rassurant par la distance - je pense ici au chômeur, au jeune, à la femme (au foyer ou non), au maghrébin, au juif, à Sarajevo, etc. Et ce sont toujours des processus ou d'autres acteurs "humains ou non-humains", dirait B. Latour, qui sont responsables. Je voudrais dans ces quelques lignes tenter de réduire cette distance de l'idée à l'objet en ce qui concerne la misère des "intermittents de l'enseignement supérieur et de la recherche". Pour bien faire comprendre ce vécu au quotidien, je ne m'autoriserai à parler avec pudeur que du cas singulier de ma propre misère. Soyons assuré que s'il existe une hiérarchie du déclassement et de la souffrance, "elle n'est ni pire ni meilleure que d'autres", comme on me l'a signifié. A la banalisation des situations et au discours du général et de l'anonyme, je tente de répondre - encore dans un effort de survie - par l'exemplarité du cas singulier. Si certaines difficultés peuvent être imputées à des éléments de parcours personnels, il n'en reste pas moins que les concours de recrutement des maîtres de conférences, des ATER, ou encore des chercheurs institutionnels (CNRS, ORSTOM, etc.) jouent un rôle déterminant dans la fabrication de ces nouvelles catégories de "crèves-la-faim". Je ne reviendrai pas sur les aspect généraux discriminants du concours, d'autres l'on déjà fait et continuent à le faire, je parlerai en tant que candidat-enseignant.

J'ai soutenu ma thèse en octobre 1995, trois ans après mon inscription en doctorat. Je n'ai eu ni bourse d'étude, ni poste d'allocataire-moniteur, ni poste d'ATER. Ce diplôme, je l'ai voulu. Père célibataire, j'ai assuré seul la garde et l'éducation de mon enfant durant cette période. J'ai écrit ma thèse la nuit, ou quand je pouvais, allant sur mes terrains de recherches à des moments où ma fille serait chez sa mère, en vacances. Des petits contrats de recherche avaient pris la relève du poste de maître-auxiliaire que j'avais perdu l'année des premières "charrettes". 7000 F par mois net environ pendant un an, sans soutien familial, sans pension de mon ex-épouse, elle-même étudiante sans revenus. Puis le chômage pendant quelques mois, à nouveau des contrats, 6500 F par mois… De nombreux jeunes chercheurs travaillent au rabais, se voient effectuer des travaux dont la gestion est assurée par différents laboratoires tous les 6 mois et entrecoupés de périodes de chômage plus ou moins longues (le temps de renouvellement des conventions) afin qu'ils ne puissent pas réclamer une titularisation éventuelle voire des indemnités de chômage. Qu'importe, avec un peu de foi et de courage, au bout peut-être, enfin, un poste d'enseignant.

Depuis 1985, j'ai enseigné dans la formation professionnelle, dans le secondaire et enfin dans le supérieur, à tous les niveaux. Durant mes années de thèse, j'avais quelques enseignements en tant que chargé de cours vacataire sur trois universités différentes. Mais pour être payé, là encore il faut jongler, trouver un prête-nom qui encaissera pour moi dans 6 mois - ou plus - les petites sommes durement gagnées. Nous savons tous que pour faire des vacations il faut attester d'un emploi principal. Nombre de vacations sont effectuées pour créer des liens avec des universités et des réseaux de chercheurs ou plus simplement avoir une ligne dans un curriculum-vitae afin de "candidater" sur des futurs postes d'ATER ou d'enseignant. Ainsi, je quittais mon domicile d'Aix en Provence pour quelques heures de cours à Montpellier, Lyon et plus tard Chambéry. J'étais trop heureux de ce parcours du combattant qui me rapprochait de la fin de ma thèse et d'un statut moins précaire. De plus, je rencontrais des sociologues et des ethnologues au contact desquels j'affinais mes réflexions. Il serait malhonnête de ne pas parler également du contact avec les étudiants : j'aime enseigner et serait-ce prétentieux que d'affirmer "je suis fait pour ça !". J'ai fait une thèse pour être "professeur à l'université" : à l'heure ou on parle de projet professionnel, je peux affirmer que tel était le mien.

Bon an mal an, pendant mon doctorat, je gagnais moins de 60 000 F par an, avec un enfant à charge. Entre deux contrats, des périodes de chômage qu'il fallait organiser. Qu'est-ce que le quotidien d'un intermittent de la recherche qui accepte de gagner petitement sa vie car le but c'est la thèse ? Le savez-vous réellement, chers collègues sociologues, vous qui êtes spécialistes des questions sociales ? Le jeune enseignant-chercheur est un cas atypique pour l'ANPE et les ASSEDIC, à la marge. Son statut est flou, imprécis. Lorsque on est exclu de la voie royale de l'université : bourses, allocataire-moniteur, ATER, etc., on prend le risque d'évoluer dans les territoires les plus incertains de l'aide sociale. D'autre part, l'employeur public avec qui on contracte le plus est le moins respectueux du droit du travail. Ces incertitudes m'amenaient à prendre plusieurs fois le chemin de la Direction Départementale des Interventions Sanitaires et Sociales, voire des organismes d'aides concernant les populations les plus exclues : Secours Populaire, Secours Catholique, faisant la queue parmi d'autres "désaffiliés" pour se voir attribuer un colis repas, une aide d'urgence de 300 F, se faire payer une petite facture ou se voir, dans le meilleur des cas, attribuer le RMI. A chaque fois, à côté de la demande d'urgence, il faut afficher un discours positif, optimiste et se présenter avec une foi à déplacer les montagnes en assurant aux services sociaux que "l'on va enfin s'en sortir", que "ce n'est qu'une question de temps !".

Jusqu'en maîtrise à l'université de Provence, en DEA à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, et en doctorat à l'université de Lyon II, plus qu'une instabilité, mon parcours montre une volonté d'augmenter mes connaissances dans tous les aspects de la sociologie et auprès des professeurs qualifiés sur les domaines qui m'intéressaient. Cela me demandait beaucoup de temps, d'énergie et de sacrifices. Mais j'ai acquis la connaissance de ma discipline et des compétences de sociologue. A un point près cependant, et il est de taille : je n'étais le candidat d'aucune université, le protégé d'aucun professeur, ce qui peut être handicapant pour la suite, le concours.

Qualifié par le CNU en 1996 et auditionné sur plusieurs postes quelques mois après l'obtention de mon doctorat, j'étais heureux et je faisais des projet avec mon enfant. Je préparais un livre et j'étais plein d'enthousiasme et d'idées de recherche. Je croyais avoir "mangé mon pain noir". J'avais parcouru des terrains difficiles, voire pionniers. Toutes ces souffrances étaient derrière ou du moins je le croyais. Quelle ne fut pas ma déception d'apprendre que je n'avais pas de poste après la deuxième commission de spécialistes ! Invariablement les mêmes raisons revenaient dans les propos des gens que j'interrogeais dans les universités : après des candidats locaux, pas dans le profil, ou d'autres excuses plus cyniques "l'allure et l'accent trop provençal !", etc. Pas même un poste d'ATER là où j'étais le seul candidat qualifié par le CNU et ayant fini sa thèse (en 3 ans).

De septembre 1996 à janvier 1997, j'ai effectué d'autres recherches, d'autres cours et j'ai "candidaté" à nouveau sur les postes de maître de conférences (22 postes). Fort d'un ouvrage publié chez A.M Métailié (et d'un second en préparation), d'articles dans des revues à comité de lecture, d'une longue expérience de l'enseignement, d'émissions de radio sur France Culture et Europe 1 et enfin des encouragements de certains collègues du CNRS et universitaires, j'abordais le concours avec optimisme. La gifle fut à la hauteur de mes espérances ! Aucune audition !

Depuis le 14 janvier sans couverture social, sans RMI (il faut attendre 3 mois pour l'obtenir) et entre deux contrats hypothétiques, je cherche en vain des éléments d'explication acceptables de cet échec. L'absence de cadre cohérent d'interprétation de l'échec fait subir au candidat une violence symbolique terrible qui, ne pouvant trouver d'échappatoire, le mutile davantage. A la violence du silence du recrutement il ne peut répondre que par une violence plus forte, celle du cynisme de l'amertume, ou de la destruction de soi-même. Vers qui ou quoi se retourner, aucun recours ? Je ne suis ni amer ni aigri, mais il paraît difficile de parler sur un ton neutre de ce qui touche l'essence même de la personne : ses rêves, ses espoirs, sa situation sociale, son enfant et son désespoir. A ceux qui penseraient que c'est du misérabilisme, je répond : vous êtes loin du compte dans vos processus de banalisation de la misère. Je ne suis pas d'accord avec ce sociologue connu qui me disait : "Tout le monde est dans la merde !". Les images et les poncifs ont un effet nivelant qui rabotent les aspérités dérangeantes de la réalité. Entre ne rien avoir et avoir "un peu" il y a des nuances ; entre laisser faire dans les commissions en étant spectateur passif et dénoncer, il y a le poids de la complicité ou de la dignité.

Malgré un bon dossier scientifique, il semble difficile de concourir lorsque les jeux sont faits d'avance comme dans les situations où s'exerce le népotisme local, ou dans les cas des candidats "parachutés" par des grands patrons qui ainsi font école et assoient leur prestige. Pour favoriser ces premiers types de candidats, il est commun de fermer la compétition en établissant un profil étroit, voire fait sur mesure, qui ignorera les lacunes des candidats choisis et qui verrait E.Durkheim et M.Mauss exclus de l'université. Allons, vous connaissez tous ce type de pratiques et les universités qui les perpétuent. S'y ajoutent d'autres candidats qui sont dans le profil aujourd'hui "coté". Ils ont obtenu une bourse dans les limites des 25 ans, ils sont allocataires-moniteurs, normaliens, etc. A côté du "parcours de bon élève sage", il y a pourtant place pour l'expérience empirique du chercheur qui à 19 ans était en Afrique, a exercé de nombreux métiers, a financé ses études, a su prendre la distance nécessaire par rapport à son lourd vécu pour permettre la construction théorique de son objet et faire une thèse plus qu'honnête. A vouloir privilégier l'un ou l'autre genre ou les opposer, les sociologues et la sociologie prennent le risque de se couper de leur légitimité et de s'éloigner des gens qu'ils étudient traditionnellement. Je ne m'étendrai pas dans ce sens, sauf à souligner le cynisme avec lequel certains présidents de commissions refusent même l'accès aux rapports motivés des rapporteurs, contre la réglementation en vigueur en justifiant : "à notre grand regret il n'est pas possible de répondre à cette requête pourtant légitime des candidats". C'est l'opacité la plus totale.

J'ai entendu toutes les explications relativisant l'échec en le transformant en voie d'attente. Elles ne me satisfont pas. Combien de terrains exotiques et urbains nous faut-il traverser ? Combien d'auteurs nous faut-il encore aborder ? Combien de temps devons-nous faire allégeance et profil bas pour avoir un poste ? Ne me répondez pas avec suffisance ou mépris que c'est une question d'offre et de demande. Étant donné le coût et l'investissement moral et financier que représente l'accès à ce niveau de concours, il est urgent et impératif de prendre les candidats au sérieux et de leur offrir des conditions de concours dignes d'un recrutement dans une institution réputée prestigieuse. Pour finir et au risque de vous paraître moraliste, j'ajouterai : n'oubliez pas que derrière chaque dossier se dessine un enseignant qui aura la responsabilité d'une jeunesse étudiante dont vous êtes comptable et qui mérite mieux qu'une leçon d'exclusion.

Serge Dufoulon

 

Assemblée Générale de l’ASES

du 15 mars 1997

ASES Assemblée générale 1997

Rapport moral

Philippe Cibois

Situation de l'ASES

Combien sommes-nous ? 126 en 1995 ; 151 en 1996 : 170 environ en 1997 sur 500 statutaires en 96 (contre 437 statutaires en 94). Nous contactons avec notre fichier environ 200 personnes (cotisants de 95 ou 96 ou 97).

Qui sommes-nous ? 2/3 hommes, 1/3 femmes ; 9/10 statutaires avec la répartition suivante : le rapport du nombre de professeur au nombre de maitres de conférences était au plan national de 35% contre 65% en 1994. A l'ASES il est de 31% contre 69%. Les hommes sont surreprésentés dans les professeurs (trois quarts à l'ASES contre deux tiers au plan national.

La répartition par universités est la suivante :

Région parisienne 35%

Nord et Normandie 16%

Grand Est 16%

Grand Ouest 14%

Sud-ouest 11%

Sud-est 4%

Centre 4%

Les résidants en Région parisienne représentent 45% des effectifs de l'ASES. Un tiers des résidents de RP sont enseignants en province (27 turbo-profs parisiens dont 12 hommes et 15 femmes, 19 en Nord ou Normandie, 3 grand est, 1 sud est, 3 ouest, 1 centre)

Le recrutement récent concerne 14 sur 34 des MCF recrutés cette année qui ont adhéré immédiatement à l'ASES.

En conclusion, avec 200 adhérents ou sympathisants dont 180 statutaires sur 500 soit 35%, nous obtenons un chiffre significatif qui assure notre représentativité avec une bonne répartition selon les catégories, mais un déficit au Sud de la France. L'intégration des nouveaux collègues est bonne mais elle doit être également assurée dans les instances de l'ASES. Nous jouons un excellent rôle de socialisation.

L'année 1996

Nous avons traité des questions suivantes :

1) Problème du recrutement, essai du nouveau mode de recrutement : Réunion de janvier 96 Nouvelles règles du jeu, nouveaux enjeux. Pétition de la revue Genèses (Stéphane Beaud) (mauvais traitements et localisme). Position de l'ASES (Lettre 22)

2) Problèmes des débouchés. Réunion de mars 96 : débouchés des DEA et docteurs.

3) Rapports avec la Mission scientifique et technique du Ministère qui expertise les habilitations, propose primes et allocations, propose un avis sur les créations de poste. Cette année, à la suite de demande de précision sur les problèmes de primes, nous avons publié un important article de Catherine Rollet consultante de la sociologie auprès du ministère dans la Lettre 22.

Contact direct : j'ai rencontré le Directeur. La collaboration est acquise pour l'annuaire à venir. Le suivi de la collaboration est à envisager avec le consultant.

4) Réforme du Deug. Réflexion à long terme : rencontre de septembre 96. Il en est ressorti un refus d'un Deug généraliste.

5) Amélioration de nos enseignements. Les méthodes : janvier 97. Cette réunion à souligné l'importance de la reconnaissance de la sociologie comme discipline de terrain. Cette position a été refusée par M. Dauphiné : pour lui, la sociologie s'est, depuis un certain délaissement du marxisme, réfugiée dans une empirie. Il faut qu'elle se muscle du point de vue théorique.

Il reste donc un travail important à faire pour assurer notre reconnaissance.

Il nous reste à discuter ce jour de la théorie et de la réforme annoncée.

6) Travail d'information à travers 3 numéros de la lettre de l'ASES (c'est le rythme de parution des bonnes années, à continuer) : l'innovation des tribunes libres permet la circulation de l'information et des prises de conscience.

Le futur

1) vie de l'ASES : comment développer nos activités dans le Sud ?

2) activités à développer : nouvelle version de l'annuaire ; lobbying auprès du ministère (lettre, contacts, pétitions) sur le statut de la sociologie ; gérer la réforme ; ne pas attendre qu'un nouveau gouvernement fasse des choses selon nos désirs, mais se faire reconnaitre comme un interlocuteur incontournable à terme ; faire en sorte que les décisions soient élaborées d'une manière plus collective.

***

Assemblé Générale annuelle du 15 mars 1997

Rapport financier

La trésorière : Michèle Dion

Bilan comptable pour l’année 1996

 

Recettes Dépenses

142 cotisations à 150F 21 300,00 Frais de réunion du CA 6 388,00

Recettes Sicav 1 077,60 Frais d’envois 7 222,65

Lettres de l’ASES 4 000,00

Solde créditeur 4 766,95

--------------------------------------------------------------------------------------------------

22 377,60 22 377,60

 

 

 

 

Bilan de trésorerie

31 décembre 1995 31 décembre 1996

Sicav 34 130,40 Sicav 35 208,00

CCP 12 394,86 CCP 16 084,21

Solde créditeur 4 766,95

--------------------------------------------------------------------------------------------------

51 292,21 51 292,21

 

 

 

 

Projet de budget pour l’année 1997

 

Recettes Dépenses

170 cotisations à 150F 25 500,00 Frais de réunion du CA 6 000,00

Recettes Sicav 1 000,00 Frais d’envois 7 000,00

Lettres de l’ASES 5 000,00

Solde créditeur 7 500,00

--------------------------------------------------------------------------------------------------

26 500,00 26 500,00

 

***

 

Compte-rendu de l'Assemblée Générale du 15 mars 1997 par François Cardi

Après les deux débats de la matinée (sur la réforme Bayrou et sur l'enseignement de la sociologie dans le premier cycle), l'Assemblée Générale a écouté le rapport moral du Président et le rapport financier de la Trésorière. Tous deux ont été approuvés à l'unanimité.

Puis Philippe Cibois a introduit le débat sur l'orientation de l'Association face à la réforme en cours : quelle attitude adopter ? Faut-il se saisir d'une occasion pour ne pas casser tout ce qui a pu être construit ou bien s'opposer à une réforme qui ne nous convient pas entièrement ?

Plusieurs intervenants soulignent la trop grande rapidité de la réflexion et de la concertation et l'absence de volonté de négociation du côté du ministère. D'autres expriment l'impression d'un mépris à l'égard des enseignants et des étudiants à travers les proposition du ministre et l'empressement à appliquer la réforme. D'autres enfin (mais ce sont souvent les mêmes) constatent l'absence de moyens d'accompagnement et mettent en doute les possibilités de réussite de l'ensemble en l'absence de ces moyens.

C'est donc plutôt une position de non-conciliation ou de conflit qui semble s'imposer du fait de l'attitude du ministère.

Au-delà de ces prises de positions, plusieurs questions de fond son posées :

- celle de l'orientation en cours de premier cycle qui ressemble fort à une sélection déguisée (orientation vers les filières technologiques, par exemple, qui rejettent elles-mêmes les candidats les moins bons - et ils sont nombreux). N'est ce pas une façon d'instaurer le collège universitaire ?

- celle de l'échec en premier cycle, liée à la première, dont on ne connait précisément ni l'ampleur ni la nature. La réponse apportée en terme de réorientation n'est pas réellement convaincante. La seule réponse claire réside dans les moyens donnés aux premiers cycles universitaires

- celle de l'état de l'ensemble des trois cycles, qui vont être touchés par la réforme.

- celle des missions de l'Université, qui constitue bien le débat central et que la réforme esquive.

En termes d'orientation de l'ASES, la tonalité générale semble être plutôt celle d'une logique de conflit par rapport à la réforme et du refus de mesures qui ne seraient pas accompagnées de moyens significatifs. La représentativité de l'ASES doit nous donner une forte légitimité dans nos actions et une grande ambition dans notre contestation de la situation faite à la sociologie.

***

Elections au Conseil d'administration

L'Assemblée Générale élit ensuite les nouveaux membres du Conseil d'Administration : 57 votants élisent ou réélisent Yesa Boulhabel (Paris 1), Frédéric Charles (IUFM Créteil), Laurence Costes (Evry), Claudine Dardy (Paris 12), Francis Farrugia (Poitiers), Stéphane Jonas (Strasbourg 2), Bruno Péquignot (Besançon), François de Singly (Paris 5) et Maryse Tripier (Paris 7).

Lettre de l’ASES :

au sommaire des précédents numéros

Lettre n°22 : décembre 1996

Recrutement : bilan et questions. Position de l'ASES, les nouveaux recrutés

L'évaluation du secteur Sciences humaines et sociales par Catherine Rollet

Tribune libre

Bruno Péquignot : aux rédacteurs de la pétition sur le recrutement

Collectif : Quelques propositions pour améliorer le recrutement

Nicole Pinet : à propos du nouveau programme de terminale SES

Jean Copans : l'univers paradoxal des universitaires

Lettre n°21 : septembre 1996

Réforme du Deug ? Comment la prendre en charge ?

Frederik Mispelblom : Enseigner dans le DEUG : le savant est aussi un politique.

Philippe Cibois : Pour un Deug généraliste

Daniel Filâtre : Après trois ans d’expérience du Deug rénové, faut-il une autre réforme ?

Lettre n°20 : juillet 1996

Alain Chenu : CNU 1996, un bilan

Philip Milburn : chronique d’une grève annoncée

Philippe Cibois : morale provisoire pour l’Université

Lettre n°19 : novembre-décembre 1995

Table ronde de l’ASES : sociologies pour non spécialistes (écoles d’ingénieurs, médecine, IUT, architecture)

Maryse Tripier : habilitations des DEA, la campagne 1995

Jean Pavageau : les qualifications de maitres de conférences en 1995

Lettre n°18 : été 1995

Bilan et perspectives, par les quatre présidents : Catherine Paradeise, Pierre Tripier, Bruno Péquignot, Maryse Tripier.

Jean-Pierre Terrail : les félicitations et leur inflation

Si vous souhaitez adhérer à l’ASES

Remplissez le bulletin ci-dessous et retournez-le à :

Michèle DION (ASES)

46 bd Richard-Lenoir

75011 PARIS

La cotisation annuelle de 150 F (chèque à l’ordre de l’ASES)

inclut le service de La Lettre de l’ASES

 

 

 

 

 

 

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

 

Association des Sociologues Enseignants du Supérieur

 

Adhésion pour l’année 1997

 

NOM Prénom

Fonctions professionnelles

Etablissement

Adresse pour l’envoi du bulletin

Signature

 

Pour recevoir un reçu fiscal, veuillez cocher cette case o