Association des Sociologues Enseignants du Supérieur

La Lettre de l’ASES

20

juillet 1996

 

Prendre en charge la réforme

Philippe Cibois 3

CNU 1996, un bilan

Alain Chenu 4

Vie de l’ASES

Réunion de janvier : nouvelles règles du jeu, nouveaux enjeux 13

Réunion de mars : débouchés des DEA et docteurs 17

Assemblée générale annuelle 19

Conseil d’Administration de mai 25

Au sommaire de ASES Grand Est 28

Publications 28

A la mémoire de Alain Girard 29

Chronique d’une grève annoncée

Philip Milburn 30

Informations 34

Tribune libre 37

 

Prendre en charge la réforme

Philippe Cibois (président de l’ASES)

Elu président lors du dernier Conseil d’Administration qui a suivi l’Assemblée Générale, je voudrais d’abord remercier Maryse Tripier pour son travail de présidente d’une année qu’elle a du interrompre pour des raisons personnelles : ce travail a été fructueux comme on peut le voir dans les divers comptes-rendus qui en sont fait dans ce numéro ou dans le précédent.

L’action à mener pour l’ASES se situe dans la continuité, quel que soit le président : il s’agit d’abord de suivre attentivement le déroulement des procédures de recrutement et dans l’article qui suit, Alain Chenu, président du CNU fait un bilan provisoire de la session 1996. Nous essayerons dans un prochain numéro de tirer des conclusions sur les nouvelles modalités de recrutement.

L’actualité nous incite à réagir : les propositions de F.Bayrou pour la réforme du Deug ressemblent beaucoup au Deug 1984 réformé 95 même si l’on peut mieux tirer parti de la période d’orientation si l’on dispose de plus de moyen pour éviter que ceux qui arrivent sans avoir le niveau requis aillent d’échec en échec. Mais ce que beaucoup d’entre nous constatent, c’est le changement dans la population étudiante. Comme le soulignait O.Galland (Le Monde du 18 juin) " nous accueillons en fait de plus en plus d’étudiants qui ont fait un choix par défaut, qu’ils valorisent a posteriori par une motivation désintéressée, sans avoir obtenu la filière sélective à laquelle ils prétendaient (...) Finalement, leur motivation est faible, et ils refusent de s’approprier le domaine intellectuel dans lequel ils évoluent. Les comportements sont très différents selon les disciplines, mais cette remarque vaut à plein pour les sciences sociales. En sociologie, par exemple, une majorité d’étudiants veulent devenir travailleurs sociaux ou professeurs des écoles et ne s’identifient pas à la discipline. Donc ils ne lisent pas les grands auteurs, s’ennuient en histoire de la sociologie, ne rentrent pas dans la sphère intellectuelle de cette discipline. La sociologie devient une simple matière à connaitre pour l’examen. "

Il serait dangereux de noircir le tableau : si les nouveaux étudiants sont accueillis correctement, si on les prend à leur niveau, en acceptant leurs changements d’orientation, leur maturation lente, leur découverte progressive de ce qui nous intéresse, nous pourrons les transformer petit à petit en étudiants authentiques. Mais nous somme nombreux à ressentir la difficulté de gérer une partie de la population qui nous apparait en dessous du niveau requis et une autre partie sans motivation pour la discipline ; cependant, le " flop " de la réforme annoncée nous laisse une possibilité : prendre en charge nous-mêmes la réforme, c’est à dire réfléchir sur ce qui serait souhaitable et tenter d’arriver à un consensus sur ce qui est à modifier. Il faudrait faire ensuite passer notre conviction à nos collègues des autres disciplines de sciences humaines par l’intermédiaire de leurs associations de spécialistes, puis aux syndicats et à la conférence des présidents d’universités. Si les enseignants de sciences humaines sont d’accord, ils pourront faire passer une réforme raisonnable. Ce n’est peut-être pas sûr, mais ce qui l’est, c’est que si nous ne faisons rien, nous n’avons plus qu’à nous lamenter car rien ne se passera plus désormais avant longtemps. Si nous décidons de prendre les choses en main, nous nous redonnons l’espoir.

Si nous décidons d’être partie prenante de nos affaires, et c’est bien la raison d’être de l’ASES, c’est pour arriver à proposer des choses raisonnables qui peuvent être acceptées par d’autres. Plutôt que d’attendre des améliorations venant d’en haut, et cette manière de faire vient de montrer ses limites, prenons les choses en main et mettons nous-mêmes au point ce qui nous parait souhaitable.

Dans un premier temps, le bureau de l’ASES vous invite à participer à une rencontre sur le sujet. Pour qu’elle soit profitable, nous proposons à ceux qui désirent intervenir d’envoyer une contribution écrite pour le 1er septembre. Les différentes contributions seront publiées dans un numéro spécial de la Lettre de l’ASES qui paraitra avant la rencontre de façon que la discussion puisse immédiatement commencer sur le fond, les contributions étant supposées connues.

***

CNU 1996, un bilan

Alain Chenu

De nouvelles procédures de recrutement viennent d'être mises en oeuvre. Elles comptent un grand nombre d'étapes et leur calendrier est particulièrement chargé. On tente ici d'en tirer un premier bilan, uniquement quant au rôle du CNU.

La formule 1992-1995

De 1992 à 1995, la 19e section du CNU comptait 24 membres, répartis en deux commissions fonctionnant en alternance. Les années paires, la commission 1 (6 professeurs, 6 maîtres de conférences) décidait des qualifications, la commission 2 gérait les promotions, les reclassements, les congés sabbatiques. Les rôles étaient inversés les années impaires. Les candidats à un emploi d'enseignant-chercheur devaient obtenir du CNU une qualification nationale, valable quatre ans, avant de pouvoir concourir localement. La section avait à examiner beaucoup de dossiers ; elle avait aussi une vue panoramique sur l'ensemble des candidats. La lettre de l'ASES a rendu compte en détail de ces campagnes de qualification (voir les numéros 12, 14, 16, 17, 18, 19). Ces articles ont permis à des collègues et à de futurs candidats de se faire une idée plus précise des conditions dans lesquelles des thèses ou des habilitations aboutissaient ou non à une reconnaissance par le CNU. Le bilan statistique de ces quatre campagnes était approximativement le suivant :

 

   

1992

1993

1994

1995

 

Candidats (dossiers complets)

320

217

229

271

Maîtres de conférences

Qualifiés

138

93

97

115

 

Taux de qualification (%)

43,1

42,9

42,4

42,4

 

Candidats (dossiers complets)

78

52

42

46

Professeurs

Qualifiés

29

20

19

13

 

Taux de qualification (%)

37,2

38,5

45,2

28,3

 

Chaque année, les postulants étaient environ au nombre de 250 pour l'exercice des fonctions de maître de conférences, d'une cinquantaine pour le professorat. Deux candidats sur cinq obtenaient leur qualification. Parmi les 81 qualifiés au professorat au long des quatre années, 43 étaient devenus professeurs en sociologie ou démographie au 31 décembre 1995.

 

La réforme de 1995

Un décret du 27 avril 1995 (n° 95-490) a modifié, une fois de plus, la procédure de recrutement des enseignants-chercheurs. La première sélection intervient désormais au plan local, devant une commission de spécialistes qui établit une liste alphabétique de cinq noms au plus. Vient ensuite le tour du CNU. La séparation en deux commissions est abolie : une section plus nombreuse — 36 membres — traite la même année des qualifications et des promotions. Elle a surtout le pouvoir de dire non, d'éliminer certains candidats. Pour les maîtres de conférences elle se prononce sur dossier, pour les professeurs elle procède en outre à des auditions. Elle n'a aucun pouvoir de repêchage : le filtrage opéré au travers des choix définis localement — sur la base des profils ou d'autres considérations — est sans appel. Les qualifications ne valent plus que pour un an. Enfin les commissions locales classent les survivants, les conseils d'établissement avalisent ou non ces classements, les élus confirment ou non leur candidature, le ministère nomme.

La composition de la 19e section

Aux élections de novembre 1995, trois listes se partagent à parts presque égales les voix du collège des professeurs ; deux d'entre elles sont prépondérantes dans le second collège.

 

 

Premier collège

Liste soutenue par le SNESup

Liste SGEN

Soutien Qualité de la science et ANECLSH

Total

Voix

38

36

37

111

%

34,2

32,4

33,3

100,0

Sièges

4

4

4

12

Second collège

Liste soutenue par le SNESup

Liste SGEN

Soutien ANECLESH

 

Voix

69

67

33

169

%

40,8

39,6

19,5

100,0

Sièges

5

5

2

12

Ensemble

       

Voix

107

103

70

280

%

38,2

36,8

25,0

100,0

Sièges

9

9

6

24

En janvier 1996, le ministère procède à douze nominations. La composition de la section est alors la suivante :

 

Soutien SNESup

SGEN CFDT

Soutien ANECLESH

Nommés

A

Alain Chenu

Bruno Péquignot

Lise Demailly

Yves Charbit

Pierre Dubois

Jean-Marie Vincent

Sonia Dayan

Maxime Haubert

A.-M. Guillemard

Pierre Parlebas

Michel Wieviorka

Suzie Guth

Jean Baechler

Jean-Michel Berthelot

Jean Bunel

Yves Grafmeyer

Monique Hirschhorn

Bernard Valade

B

Brigitte Dussart

René Bourreau

Sylvette Denèfle

Brigitte Fichet

Yvon Lamy

Jean-Marie Duprez

Alfred Dittgen

Roger Brand

Yvette Delsaut

Dominique Merllié

Léon Gani

Marie-Noëlle Lacroix

Alain Blanc

Bruno Brévan

Marcel Calvez

Monique Legrand

Patrice Mann

Monique Segré

Sont élus au bureau :

— Alain Chenu, président

— Anne-Marie Guillemard, vice-président 1er collège

— Jean-Marie Duprez, vice-président 2e collège

— Brigitte Dussart, assesseur.

Alfred Dittgen est élu expert permanent auprès du bureau pour les questions concernant la démographie.

 

Les qualifications 1996

En mai 1996, la section décide des qualifications.

Sur 98 dossiers de maîtres de conférences examinés, 83 sont retenus — soit un taux de 85 %.

47 candidats avaient déjà été qualifiés par la 19e section — pour une durée de quatre ans, croyaient-ils — en 1993, 1994 ou 1995 ; parmi eux, 45 sont de nouveau qualifiés.

Sur les 15 dossiers écartés, 7 refus sont motivés principalement par une orientation disciplinaire dominante autre qu'en sociologie-démographie, 6 par l'insuffisance du dossier scientifique, 2 par l'absence d'expérience en matière d'enseignement.

La liste nominative des qualifiés, consultable sur Minitel (3615 EDUTELPLUS, rubrique DPESR), est la suivante :

Qualifications aux fonctions de maître de conférences

cochoy franck*

charrier gilda

jalaudin christophe

pfirsch jean-vincent

alonzo philippe

chevalier sophie

laacher smaïn

poiret christian

amirou rachid

chevalier vérène

le goff jean-louis

quemin alain

arborio anne-marie

combessie philippe

le moigne philippe

ramé sébastien

astier isabelle

correia mario

leblanc frédérique

rarrbo kamel

bachet daniel

dubois michel

lecestre rollier béatrice

reguer daniel

bajos nathalie

dubois vincent

legoux luc

roselli l'homme m.

banens maximiliaan

dufoulon serge

legros patrick

rostaing corinne

bataillon gilles

duran patrice

lehmann bernard

saint-martin corinne

beaud stéphane

erikson philippe

lemarchant clotilde

sitnikoff françoise

bertheleu hélène

esterle hedibel maryse

luca nathalie

spadone pierre-louis

bertho alain

feroni isabella

lutrand marie-claude

stebe jean-marc

blin odile

fijalkow yankel

lyet philippe

suteau marc

bonfils mabilon béatrice

franguiadakis spyros

martin olivier

thiry bour carole

bonnet estelle

gaboriau patrick

maugeri salvatore

vallet louis-andré

boyer bresson maryse

gamba nasica c.

maurines béatrice

vidal dominique

brisset-sillion cécile

gaudard pierre-yves

papinot christian

vilbrod alain

bronner gérald

girard alain

passavant éric

vogels christian

careil yves

glady marc

pedron sylvie

wagner anne-catherine

chabot robert

goldberg salinas a.

perez patrick

zimmermann quetin b.

champy florent

guibert pascal

perriaux anne-sophie

*Intégration

Parmi les 24 candidats au professorat, 3 dont le dossier de publications est jugé trop maigre ne sont pas convoqués à l'audition. 4 autres sont écartés après audition. 70 % environ des candidats sont donc qualifiés. Tous les candidats déjà qualifiés par le précédent CNU — ils étaient au nombre de sept — le sont de nouveau. La section constate que le niveau requis pour une habilitation est susceptible de connaître d'amples variations d'un jury à un autre (cf. La Lettre de l'ASES, n° 15, janv. 1994).

Qualifications aux fonctions de professeurs

berger denis

ferreol gilles

merllié dominique

trigano yves

boëne bernard

heinen jacqueline

navez bouchanine f.

zylberman patrick

cours-salies pierre

lamy festy marlène

poulain martine

drulhe marcel

le huu khoa

quiminal catherine

ferrand alexis

lindenberg daniel

spurk jan

La nouvelle procédure accroît les risques que des emplois demeurent non pourvus. Une publication des emplois demeurés vacants, ouverts aux qualifiés non recrutés, est prévue par les textes, mais fin juin 1996 on ne sait pas encore si elle interviendra effectivement.

 

Gestion des carrières

En juin 1996, la 19e section examine les demandes de promotions, de reclassements, de congés sabbatiques. En ce domaine le rôle du CNU n'a guère été modifié par l'arrêté du 27/04/95. La suppression de la répartition en deux sous-commissions, qui permet de mieux garder la mémoire, d'une année à l'autre, des décisions prises, peut être appréciée comme un changement positif.

Promotions par la voie 1

 

 

Promus par les établissements

Contingent national

maîtres de

conférences

1ère classe

17

Brut C. Paqueteau B. Buron B. Bourreau R. Valentini B. Blanc A. Pagès-Delon M. Plas P. Primon J.-L. Authier J.-Y. Felouzis G. Laurens P. Le Feuvre N. Le Guirriec P. Vinck D. Xiberras M.

10

Beynier D. Cardi F. Cresson G. Dion M. Célérier S. Bagla-Gokalp L. Dechaux J.-H. Dilas-Rochérieux Y. Gadea C. Jacques-Jouvenot D.

m.c. hors classe

1

Bernard R.

1

Eloy J.

professeurs

1ère classe

2

Molinari J.-P.

Brohm J.-M.

3

Paradeise C. Dubar C.

Valade B.

pr. classe except.

0

 

1

Sainsaulieu R.

pr. cl. exc. 2e éch.

0

 

1

Birnbaum P.

 

 

 

Les contingents à distribuer sont particulièrement étiques dans le cas des professeurs : une promotion pour 56 promouvables à la classe exceptionnelle, 3 (+ 2 par les établissements) pour 88 en 1ère classe. Si une telle pénurie devait se poursuivre, beaucoup de collègues seraient assurés de partir à la retraite sans avoir accédé à une promotion que leur dossier justifie pleinement.

Le 25 juin, une réunion du groupe IV (qui rassemble 9 sections du secteur Sciences humaines) a décidé des promotions au titre de la voie 3, réservée aux collègues bénéficiant d'une prime pédagogique ou d'une prime administrative. Pour la sociologie-démographie, seul M. Abdelkader Belbahri, maître de conférences, bénéficie d'un passage en première classe. Les 9 sections se répartissaient 9 passages à la 1ère classe des m.c., 1 à la hors classe, 4 à la 1ère classe des professeurs.

 

 

 

Reclassements

Maîtres de conférences 2e classe

Professeurs 2e classe

Nom

Bonus

Nom

Bonus

Bataille P.

Brunet G.

Fortier A.

Jacopin P.-Y.

Uribe-Sanchez J.

Vedelago F.

21 m

12 m

12 m

48 m

35 m

44 m

Bouzar W.

El-Kenz A.

Lorenz E.

24 m

36 m

23 m

Bonus en mois

 

 

 

 

 

 

Congés pour reconversion thématique

Deux congés de 6 mois étaient disponibles. Les candidats potentiels ayant probablement pensé que leurs chances par la voie nationale étaient minimes, aucun ne s'est manifesté. Le contingent de la 19e bénéficiera à d'autres disciplines qui ont fait des demandes complémentaires. Pour l'an prochain, avis aux amateurs.

 

Il faut attendre les informations sur les décisions des établissements et des candidats, puis sur les éventuelles republications de postes, pour tirer un bilan de la longue campagne de recrutement qui a débuté avec les publications de postes du 28 décembre 1995.

D'ores et déjà on peut souligner que la nouvelle procédure implique un calendrier trop serré. Les publications complémentaires du 20 janvier 1996 (un samedi, postes de m.c. à Amiens et à Brest) étaient trop proches de la date limite de dépôt des dossiers (le 26 janvier à midi). Au stade des auditions par les commissions de spécialistes, certains candidats, convoqués simultanément à plusieurs endroits, ont dû sacrifier certaines auditions, certains collègues membres de plusieurs commissions n'ont pu être présents partout.

Par ailleurs le filtrage initial des candidatures au travers des profils de postes définis localement empêche certains dossiers d'accéder à l'étape du CNU, et de participer ensuite à l'éventuel second tour concernant les postes non pourvus. Certains emplois à pourvoir en 19e sont publiés avec d'étranges spécifications — par exemple, "Logistique, économie des transports", m.c. à l'IUT d'Orléans-Chartres, 28/12/95. La commission de spécialistes qui a examiné les candidatures à cet emploi a pu, légitimement, écarter d'excellents dossiers de sociologues ou de démographes ; la 19e section du CNU, qui n'est compétente ni en logistique ni en économie des transports et qui ignore sur quel(s) emploi(s) ont été sélectionnés les candidats, a pu, tout aussi légitimement, écarter les dossiers remontés d'Orléans-Chartres. La nouvelle procédure place le CNU devant l'alternative de tenir compte de tous les profils — y compris des plus fantaisistes — ou de définir un standard unique pour toute la discipline.

Le rapprochement des informations sur les taux d'encadrement des étudiants, les publications de postes, les qualifications et les promotions fait apparaître deux goulots d'étranglement principaux.

L'un se situe au plan des créations d'emplois de maître de conférences : d'une part beaucoup d'enseignements de sociologie et démographie sont dispensés, auprès d'étudiants très nombreux, par des enseignants qui sont souvent de statut précaire ; d'autre part les candidats qualifiés aux fonctions de m.c. sont, dans la nouvelle procédure presque autant que dans l'ancienne, bien plus nombreux que les postes à pourvoir.

L'autre concerne les blocages de carrière pour les professeurs : la seconde classe s'enfle, la part en son sein des collègues qui ont d'excellents dossiers scientifiques, pédagogiques et administratifs est importante, et les promotions sont très peu nombreuses. Le risque de voir se multiplier les attitudes de retrait s'aggrave. La réforme Jospin a raccourci le temps de passage du 1er au 5e échelon de la 2e classe (de 6 à 4 ans) ; mais faute de possibilités accrues de changement de classe la file d'attente s'allonge au 6e échelon.

Vie de l’ASES

ASES Réunion-débat publique du 27 janvier 1996 -Campagne de recrutement 1996 Nouvelles règles du jeu, nouveaux enjeux

Cette rencontre a eu lieu à la salle Louis Liard et a permis un vaste débat entre la salle et les membres du CNU présents (Alain Chenu, Marcel Calvez, Monique Hischhorn, Bruno Péquignot, Dominique Merllié, Brigitte Dussart, Jean Bunel, Yvette Delsaut, Yves Charbit, Yvon Lamy, Pierre Parlebas)

Maryse Tripier rappelle la condamnation par l’ASES du changement de système car l’ancienne manière de faire permettait de connaitre l’état du marché. Ce n’est pas en cassant le thermomètre que l’on empêchera de voir que de nombreux qualifiés ne sont pas pris.

Après un rappel de la procédure nouvelle par Alain Chenu et un vaste débat, les points suivants sont retenus :

Débats :

Localisme

- On peut considérer qu’au niveau local, il est légitime qu’un responsable de département ait le souci de recruter un personnel qui ait le souci du bien commun et qui ne rechigne pas au tâches de gestion. Mais l’on court le risque d’être soumis à la pression de quelqu’un envers qui l’on a des " dettes " et que l’on aura à côtoyer encore s’il n’est pas retenu si l’on a choisi quelqu’un qui ait un niveau scientifique supérieur. De plus un niveau scientifique élevé ne garantit pas une intégration correcte dans une équipe. De ce fait il est possible de minimiser les risques en utilisant un candidat déjà intégré.

- Entrer dans la prise en considération des travaux faits au niveau local peut conduire à la ruine de la discipline avec le risque de voir des gens faire toute leur carrière en un lieu donné et devenir professeur là où ils ont fait toutes leurs études. Il faut dénoncer des stratégies de commissions de spécialistes qui vont entourer leur candidats médiocres d’autres candidats encore plus nuls. Ce risque est plus grand encore du fait de personnalités extérieures dans les commissions de spécialistes.

- Il faut garantir un jeu ouvert : un candidat local peut avoir un avantage uniquement à égalité de compétences scientifiques. Ne pas décourager les candidatures extérieures. Envoyer toujours devant le CNU une liste complète de 5 candidats.

Fléchage

- Un fléchage, s’il est très spécialisé, risque de ne sélectionner qu’une seule personne en particulier et d’interdire la compétition. Par ailleurs, tout enseignant doit être capable de tout enseigner en sociologie.

- Un fléchage peut être le fruit d’une politique à long terme qui tend à couvrir d’une manière raisonnable les divers champs de la discipline.

- Un poste peut être à la fois non fléché officiellement et cependant l’être car la mise en avant du profil particulier risque de n’attirer que les spécialistes alors que l’on souhaite un double profil.

Exigences a priori

- Un jeune chercheur ne peut être jugé que sur sa thèse (félicitations et jury honorable). Quelqu’un ayant plus d’ancienneté devra être apprécié en fonction de ses publications et de son intégration dans la profession (enseignements).

A faire :

Demander immédiatement au Ministère qu’un délai soit donné pour les postes qui ont été publiés une semaine avant la date ultime (Amiens, Brest). Demander à un juriste l’état de la question (textes et jurisprudence).

Pour l’enregistrement des dossiers : faire exiger une preuve de dépôt si remise directe par les services du personnel des universités.

Auditions simultanées : est-il possible de demander à une sous commission de décaler une audition.

Conseils :

Dossier de candidature : faire préciser par les candidats les types d’enseignement qu’ils ont pu avoir à assurer et les responsabilités qu’ils ont pu assumer.

Information des candidats sur les postes : il semble justifié que les candidats puissent avoir des renseignements complémentaires. Il peut être bon de rédiger ces précisions pour qu’elles puissent être données aisément (par un secrétariat, un enseignant quelconque).

Après audition prévenir individuellement les refusés en leur expliquant le pourquoi de ce refus.

Les rapports (CNU) peuvent être communiqués aux intéressés sans anonymat.

L’Ases peut jouer un rôle de régulation par la publicité donnée aux résultats qui permettent de juger des pratiques (soit en termes individuels, soit d’une manière collective en ce qui concerner les effets sur la profession).

Notes de Ph.Cibois et J.Y.Trépos

Nous versons au dossier la contribution écrite de Jean Peneff (Université de Provence) :

Après avoir discuté avec de nombreux candidats (ils doivent être associés à une réflexion sur un recrutement plus juste), avec des membres de CS et avec l'expérience de la présidence d'une CS (dont le choix a été d'ailleurs contesté, en 95, par le CA de l'université après l'élection d'un MCF ;l'élu a été refusé dans un premier temps, puis accepté par le CA au cours d'une deuxième réunion), je peux faire la constatation suivante :

Quand une commission d'une dizaine de membres a à connaître 70 à 100 dossiers par poste, il est impossible de les étudier correctement et de rapporter avec précision et équité. Il faudrait pratiquement arrêter toute activité (!) pendant quinze jours pour se consacrer à l'analyse des dossiers, la rédaction des rapports. L'impossibilité matérielle d'étudier les dossiers à fond avantage les candidats connus, c’est à dire en place depuis longtemps. La non limitation des candidatures (équivalent à la démocratie du recrutement, à des chances égales) avec des dossiers de plus en plus lourds, se retourne contre la recherche du meilleur candidat, par exemple en décourageant un membre de la Commission qui vient de rédiger une vingtaine de rapports, d'aller s'informer directement en étudiant lui-même le dossier d'un candidat "rapporté" par un collègue. La préférence ou le hasard dans la distribution des dossiers n'est pas compensé, du fait de la lassitude de chacun, par un contrôle collectif de la Commission (même si le principe du double rapport est respecté, le deuxième rapport est parfois expédié).

On a constaté - l'ASES y a fait écho - une grande hétérogénéité des thèses qui restaient jusqu’ici l'indicateur principal. J’ai vu passer l'an dernier des thèses nouveau régime qui sont de quasi thèses d’Etat et d'autres du niveau d'une maîtrise ordinaire. La mention, l'appréciation du jury ne sont plus des indices valables, du fait de l'alignement sur la formule la plus élogieuse. La lecture du rapport de soutenance n'est pas d'un grand secours. Il faut donc aller lire les thèses des candidats que l'on n'a pas "rapportés" pour se faire une idée, ce qui complique notre tâche. Par ailleurs, les dossiers deviennent de plus en plus lourds et riches - ce qui est en soi un bien, un espoir de qualité - mais nous n'avons plus les moyens de les juger avec équité et égalité des chances. A moins que l'enseignement et autres charges des membres des CS soient suspendues pendant les trois semaines du recrutement (et bien entendu plus, longtemps pour le CNU : un trimestre sabbatique ?). Dans la situation actuelle, les membres les plus consciencieux baissent le niveau de la vigilance et laissait la place à des ententes locales dont les bons candidats font les frais.

Quelques suggestions, dans l'état actuel de la réforme des recrutements : on peut encourager le CNU à ne pas jouer un rôle potiche d’enregistrement formel d'une qualification qui, dans un sens large, comprendrait 95% des dossiers issus de la 19e section. Au lieu d'avaliser simplement une liste transmise par les CS, et conférer mécaniquement un vague label de qualifié, le CNU peut utiliser le petit pouvoir qui lui reste - et qui est réduit si on lui interdit de classer les 3 ou 5 pré-élus par la CS - en refusant de se soumettre au "profilage" excessif de plus en plus répandu dans la publication des postes. Les CS, en exigeant une spécialisation préalable, préviennent les critiques extérieures contre leur recrutement, se prémunissent contre les débats trop ouverts et protègent ainsi des candidats préférentiels. Le CNU peut rappeler que l'on recrute, au moins pour trente ans, quelqu'un qui sera amené à enseigner un peu de tout et que cette hyper-spécialisation peut d'ailleurs devenir caduque quand le savoir évolue vite. De tel candidat recruté pour enseigner (en Deug) la sociologie de l'esthétique, on peut penser qu'il ne fera pas ça durant toute sa carrière. Si un département a besoin d'un enseignement pointu, il y a des chargés de cours pour cela.

Si la lecture d'une centaine de thèses très hétérogènes est impossible, le CNU peut s'orienter vers des critères qui deviendraient des éléments plus sûrs, plus objectifs du jugement. (Un indicateur rapide de la valeur de la thèse est néanmoins accessible : le candidat a-t-il tiré de sa thèse un ou deux articles dans une revue de large audience?), Le critère de la publication d'articles dans des revues nationales (ou la publication de livres) devrait devenir un élément déterminant. L'accord se ferait vite sur la dizaine de revues qui représentent les tendances de la discipline et où la variété des options scientifiques et le travail de filtre des comités de rédaction a permis déjà d'entrevoir l'élite des candidats. Pour cela il faut isoler dans les CV les lieux de publication : les grandes revues nationales ou bien les communications à de larges colloques reconnus. Actuellement, dans la masse des publications dont les candidats se targuent, notre jugement est noyé. L'habitude a été prise de présenter dans les CV des pages entières de listes de publications : du résumé de cours à la demi-page écrite dans une brochure. Dans l'intérêt des bons candidats, il faut homogénéiser la notion de " publication " .

Enfin, outre l'obtention de la thèse, la réussite aux concours nationaux (anonymes, démocratiques) tels que CAPES, agrégation, ENS, est un autre moyen de jugement. Si cela n'augure pas des qualités de chercheur, c'est au moins la probabilité que le candidat n’a pas fait une carrière locale à l'ombre d'un directeur-protecteur, et cela présage de bonnes qualités d'enseignant, ce que réclament les nouveaux étudiants de Deug.

L'ASES pourrait inciter le CNU à distinguer la compétence et la valeur de tel ou tel candidat dans la liste transmise par la CS. Le CNU pourrait argumenter ses préférences au nom des intérêts généraux de la discipline dont il a la charge. Si le CNU ne donne pas un avis motivé sur les candidats choisis localement, cela ouvre la porte aux transactions locales dans la troisième phase du retour (par exemple, en ayant obtenu l'aval du CNU après avoir mélangé un " protégé " à 2 ou 3 candidats extérieurs qui vont servir d'écran).

L'ASES pourrait appeler les commissions à encourager le mobilité et les expériences acquises par les candidats qui ne viennent pas du sérail local. Un sondage ou un recensement après cette campagne pourrait fixer nos idées : combien de candidats élus qui ont fait une thèse sous la direction d'un membre de la CS ? Combien de candidats élus dont un membre du jury de thèse a fait partie de là commission ? Combien de candidats élus furent ATER, moniteur, chargé de cours, etc.. uniquement dans l'université où ils furent recrutés ?

On doit encourager la mobilité géographique, la richesse et la variété des expériences, la prise de risques dans une carrière débutante, l'indépendance scientifique, bref, l'ouverture au lieu de la dépendance vis-à-vis d'un patron ou d'un département qui vont assujettir un jeune MCF dans le cas d'une élection de réseau local.

On ne peut exiger l'application de critères rigides, il faut de la souplesse. Il n'y a pas de moyens totalement satisfaisants d'évaluer en quelques semaines 300 ou 400 candidats "sur le marché" , mais on peut améliorer l'équité et l'efficacité du recrutement en limitant les excès dans le localisme du recrutement dont l'ASES s'est fait l'écho l'an dernier. Le progrès de l'enseignement de notre discipline passe par le recrutement le plus ouvert, le plus juste possible. C'est également répondre à la demande des étudiants en grève cet automne dernier.

 

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Samedi 24 mars - Réunion sur les débouchés des DEA et Docteurs

Après une introduction de Renaud Sainsaulieu, Jean de Legge, directeur d’un important cabinet de Rennes insiste sur le fait que le métier de consultant est d’abord un métier de collecte et de traitement des données : les méthodes d’enquête et d’analyse des données sont aujourd’hui parfaitement banalisés. Ce qu’on attend du sociologue est dur à définir dans la mesure où tout le monde a un discours sur la société. Cependant sur ce marché des consultants ou la formation ENSAE est très adaptée, ce qui est recherché, c’est une intelligence de la société dont le sociologue n’a pas l’exclusivité et dont ce qui se fait dans les premiers cycles de sciences sociales ne donne pas une haute image.

Jean-Claude Vidal, sociologue à la mairie de Saint-Denis, montre que les attentes face au sociologue sont diverses et qu’il se trouve en concurrence avec divers experts et consultants. Il doit à la fois s’assurer d’une certaine distance à son objet et en même temps accepter de répondre à des demandes légitimes de la part de l’institution dont il est membre.

Barbara Allen nous fait vivre la vie du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment où elle travaille et où la pluridisciplinarité est vécue comme une évidence. Si la discipline sociologique peut donner son apport propre, c’est le professionnalisme qui est considéré comme l’exigence majeure : tenir les délais, savoir animer la vie de la recherche et les rapports avec l’extérieur, savoir écouter.

Monique Legrand souligne la demande sociale vis-à-vis de la sociologie qui se présente sous des formes très diverses : c’est à la discipline sociologique elle-même qu’il incombe de faire l’inventaire des sollicitations qui lui sont faites et aussi de les structurer. Ceci se fait d’ailleurs plus facilement au niveau local.

 

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Tout à fait en parallèle avec cette rencontre, il faut signaler la parution à L’Harmattan en 1995 (collection Logiques Sociales) d’un ouvrage issu du Colloque de l’AISLF tenu à Liège en 1993, La Sociologie et ses métiers, textes réunis et introduits par M. Legrand, J.-F. Guillaume, D. Vrancken, dont voici la table des matières :

Introduction : le métier de sociologue en pratique (R.Sainsaulieu)

Sociologies extra-universitaires en Europe

De l’université à l’engagement professionnel (J.-F.Guillaume) ; au Portugal (M.Da Silva e Costa) ; en Pologne (W.Pankow) ; en Allemagne (J.Spurk) ; en Belgique francophone (J.-E. Charlier et Ph.Scieur) ; en France (D. Desjeux) ; aux Pays-Bas (R.Wippler).

Effervescence d’une demande sociale de sociologies spécialisées

Entre le piège et le défi d’une diversification des pratiques sociologiques (M. Legrand)

Les interventions en entreprise (G.Széll, J.-F. Chanlat, A.Eraly, N.Alter)

L’accompagnement du développement local ((M.Blanc, L.Voyé, A.Huet)

Les réponses aux défis de la socialisation (Cl.Macquet, L.Van Campenhoudt, L.Verhaegen, J.-Y.Trépos, L.Demailly)

Les sociologues dans la bataille de l’emploi (J.-L.Laville, L.Favreau et B.Lévesque, M.Legrand)

Formation et parcours de professionnalisation en France (M.Legrand, D.Gerritsen, O.Piriou, F.Streicher, P De Rozario, M.Hirschhorn)

Figures et contrastes sur la scène sociologique (D.Vrancken, Cl.Javeau, A.Bourdin, J.Coenen-Huther, R.Doutrelepont, F.Heselmans, P.Italiano, M.Jacquemain, F.Kinet, M.Vandekeere, M.Bolle de Bal)

Conclusion : pour une sociologie du nouveau milieu des sociologues.

Assemblée Générale annuelle du 23 mars 1996

Rapport moral de Maryse Tripier, Présidente de l’association, concernant l’exercice 1995-1996.

L’ASES est devenue, en huit ans d’existence, une institution reconnue et presque " familière " pour la plus grande partie de nos collègues. Elle occupe une place spécifique, aux côtés des syndicats et des sociétés savantes, que nul ne peut lui contester. Cet enracinement est à porter aux crédit de tous ceux qui ont oeuvré à son implantation et à son rayonnement.

L’année écoulée nous a encore permis de faire des progrès dans cette voie, puisque le nombre d’adhésions a augmenté, situant à 130 le nombre d’adhérents, ce qui devrait faire environ un quart du corps. Cet enracinement est marqué par de nombreux signes, la présence significative et régulière de nombreux collègues lors de nos réunions publiques, l’avis positif et l’usage concret fait de notre annuaire et de La lettre de l’ASES, des attentes de plus en plus grandes à notre égard. L’ASES a permis que des collègues se connaissent et a permis à certains de sortir de l’isolement.

C’est dans ce contexte que je voudrais souligner les points positifs, les lacunes et des propositions pour l’année à venir.

Points positifs :

- L’association est bien gérée : trésorerie, envois du bulletin..

- L’association a réussi, dans le grand-Est, une véritable implantation régionale, avec des réunions et la rédaction d’un bulletin.

- La lettre de l’ASES se modifie positivement, on y donne plus d’informations utiles et on y amorce plus de débats. Le bulletin 18, qui contenait pour la première fois des informations nominatives sur le recrutement et qui a été distribué très largement a permis de renforcer notre audience.

- La représentativité de l’ASES dans les différents grades et sur tout le territoire se maintient, avec une forte présence des universités de province, des IUT, des maîtres de conférences et des professeurs nommés dans les cinq dernières années, mais aussi la présence d’ATER et bientôt de retraités..

- Des groupes de travail ont pris corps : réunion des directeurs de filières, " sociologie hors les murs "...

- L’ASES a su garder ses objectifs et ses missions : ainsi de nombreux membres de l’association se retrouvent dans le nouveau CNU sur les trois listes et parmi les membres nommés. Ce qui ne l’a pas empêchée de prendre position sur la réforme des procédures de recrutement qui ont prévalu pendant les quatre dernières années, sur le calendrier extravagant de la campagne de recrutement en cours, sur les dysfonctionnements des habilitations de DEA..

- Les réunions publiques ont été tenues régulièrement (une par trimestre), en balayant des thèmes larges mais en phase avec les préoccupations des collègues : recherche universitaire, campagne des DEA, nouvelles procédures de recrutement, débouchés des étudiants..

- Le conseil d’administration s’est également tenu régulièrement, malgré les avatars (positifs) du mois de décembre dernier.

Les lacunes

Ce qui vient d’être énoncé indique clairement l’amélioration des liens entre l’ASES et sa base potentielle; les lacunes viennent de :

1) ses rapports avec l’extérieur

- Le MESR et les instances de décision

A part une rencontre avec B.Valade, chargé de mission pour la sociologie au CNRS, et l’aide que nous a fournie F.Piolet, en tant que consultante pour la sociologie auprès du MESR, notre rôle de groupe de pression s’est amoindri. Ceci tient essentiellement à deux facteurs : les équipes mises en place ont été fluctuantes et les interlocuteurs difficiles à situer. François de Singly et moi sommes assez allergiques à ce type de contacts s’ils n’ont pas un but précis.

Ces contacts vont reprendre, car C.Rollet replace désormais F.Piotet et nous devrions pouvoir lui faire, ainsi qu’à des représentants du ministre, des demandes précises : obtenir une subvention pour une nouvelle édition de l’annuaire, améliorée et plus complète, éventuellement des crédits de recherche sur la connaissance du corps des enseignants-chercheurs en sociologie et/ou sur le devenir des docteurs. Participer aux Etats-généraux sur l’Université (au demeurant " squizzée " par la loi de programmation que présentera le Ministre devant le Parlement, en mai-juin, suite aux mouvements étudiants de l’automne). Nous avons mené une réflexion collective (par exemple sur le doctorat, l’habilitation, la sociologie pour non sociologues..) qui peut et doit être connue de nos interlocuteurs.

- syndicats et associations proches, associations d’étudiants

Nous avions annoncé notre intention de rencontrer les syndicats, les associations étudiantes, l’Association Française des Anthropologues, des associations comparables à la nôtre en Europe, des associations spécialisées (il vient de se monter une association des sociologues enseignants dans les écoles d’architecture). Nous n’avons pas réussi à concrétiser ces projets. A mon avis, c’est également parce que le contenu de telles rencontres n’a pas été assez précisé. Il faut se rencontrer pour monter des initiatives communes, les échanges de vue sont utiles mais peu motivants.

C’est donc dans le cadre des activités futures qu’il nous faut définir des partenariats. Ce qui me paraîtrait personnellement le plus urgent, c’est le parrainage, avec l’aide de tous ceux qui peuvent y contribuer, d’une association de " docteurs-chômeurs " en sociologie afin qu’ils se fassent entendre et puissent mutuellement s’entraider.

2) L’inégalité de l’implantation

L’ASES progresse globalement mais certains établissements sont peu représentés (à Paris notamment) et la " régionalisation " des activités est encore faible. Il se peut d’ailleurs que l’intérêt pour l’ASES de collègues de province soit de changer d’air et de voir " d’autres têtes " que leurs collègues habituels, le coût financier des voyages reste néanmoins un handicap et des réunions en région nous feraient mieux connaître. Il faut cependant que cette orientation corresponde à des besoins réels d’informations et de discussions que seul les collèges peuvent exprimer.

Ce problème n’est pas que géographique, l’enracinement de l’association passe par une diversification de ses actions et par des initiatives " ciblées ". La réussite de la réunion sur les DEA ou sur le nouveau CNU est passée par un travail d’information plus intensif auprès des personnes concernées. Si nous proposions, par exemple, une initiative concernant la publication des travaux en sociologie, il faudrait le faire en travaillant auprès de nos collègues impliqués dans des directions de collection ou de comité de rédaction de revues, avec des éditeurs.. Et, il ne s’agit pas seulement d’en faire plancher un ou deux, mais de préparer avec eux l’initiative.

Une initiative en direction des ATER et allocataires, à laquelle nous avions déjà songé peut être reprise.

3) La visibilité de l’association

L’association peut améliorer encore sa visibilité. De nombreux collègues du CNRS participant à la vie universitaire aimeraient lire notre bulletin, disposer de notre annuaire, être invités à certaines réunions, sans être membres de l’association.

L’ASES pourrait s’exprimer dans la presse, ou inviter la presse à certaines de ses manifestations. Elle aurait pu ainsi être présente à l’école d’hiver des doctorants en sociologie du travail, où dans des congrès scientifiques dans lesquels de membres de l’association sont présent. Je ne suggère ici que quelques pistes de travail.

4) Les lacunes d’organisation

Le bureau demandera l’indulgence des collègues pour son travail compte tenu des perturbations de cette année, il reste que l’on peut améliorer considérablement l’organisation du fonctionnement de l’ASES. Le bureau devrait être moins nombreux, se réunir six fois l’an, le CA trois fois et les différents membres du CA être chargés d’une mission précise dans le cadre des orientations que nous définirons et que le bureau pourra suivre entre deux CA. Un des ses membres sera chargé de reprendre les négociations pour une réédition de l’annuaire. D’ores et déjà la responsabilité du bulletin et de la trésorerie ont changé de titulaires. Alain Chenu, compte tenu de ses nouvelles fonctions de président du CNU a demandé à être déchargé du bulletin après avoir brillamment contribué à son amélioration, c’est Philippe Cibois qui s’en chargera avec notre aide collective, la trésorerie sera confiée à Michèle Dion.

Propositions d’orientation

Certaines propositions d’orientation ont déjà été évoquées au fil de ce rapport moral, mais il faut , ce que je n’ai pas fait d’entrée de jeu, penser ces orientations dans le contexte nouveau dans lequel nous évoluons. Ce n’est pas selon moi politiser l’association que de porter à la connaissance des collèges notre avis critique et nos inquiétudes devant des évolutions dangereuses.

Le mouvement étudiant de décembre a mis en lumière l’écart croissant entre les besoins des universités en postes et en crédits et les réponses gouvernementales; la part accordée au recrutement de PRAG pénalise lourdement les docteurs en sociologie ayant chois une vois classique, y compris quand ils sont allocataires et ATER.

Les besoins sont loin d’être couverts et les conditions de travail des collègues ne s’améliorent pas. En témoignent l’existence de nombreux maître de conférence dont la réputation scientifique est plus qu’attestée et qui ne passe pas leur habilitation. Malgré les problèmes que connaît le CNRS, nos collègues boudent les postes universitaires dont la charge de travail parait rédhibitoire.

Le nombre de primes d’encadrement doctoral est tombé à un niveau scandaleux et de nombreux collègues, pouvant légitiment y prétendre, en sont privés. Les budgets de DEA et le nombre d’allocations de recherche ont été réduits, ceux des URA CNRS sont dans la tourmente.

La réponse aux besoins les plus criants sont recherchés dans un redéploiement grâce au système le plus stupide qui soit, celui des normes San Rem, qui tire l’ensemble des taux d’encadrement vers le bas. L’emploi scientifique est en panne, comme l’ont dénoncé de nombreux directeurs de laboratoires du CNRS, de l’INSERM et les syndicats de l’enseignement supérieur. Le chômage des diplômé s est en augmentation et nous nous inquiétons de l’avenir de nos étudiants.

Pourtant la demande de recherche et de formation en sociologie n’est pas en régression et appelle de notre part une réflexion plus approfondie, comme nous commençons à la faire, pour qu’elles ne débouchent sur l’emploi précaire et des petits boulots pourtant qualifiés.

Cette situation doit nous amener à intensifier notre action pour la défense de notre corps et de nos missions, sans nous substituer à d’autres formes d’organisation.

Nous pourrions ainsi :

- tenter de dresser un bilan pour notre discipline et de le faire connaître,

- parrainer une association de docteurs, peut-être avec l’aide de quelques " figures ",

- proposer des initiatives communes à d’autres organisations.

Pour autant, il faut continuer à organiser l’activité spécifique de l’ASES d’où elle tire sa légitimité. Notre force, c’est la connaissance rapprochée de notre milieu. Nous avons déjà rédigé un rapport sur l’état de la recherche universitaire en sociologie (Dubar, Chapoulie), produit sur les candidats à la qualification et sur le corps des titulaires une analyse statistique que nous sommes seuls à avoir accompli. Nos débats nous ont permis de mieux connaître les activités diverses de nos collègue. Cette orientation de recherche doit être maintenue et nous devons demander au MESR qu’il la soutienne.

Nous avons créé des outils comme l’annuaire et La lettre de l’ASES qui doivent s’améliorer encore.

Nous disposons d’un capital de confiance important et de bonnes volonté, nous devrions donc aborder positivement cette année.

Voilà quelques suggestions offertes au débat, qui se prolongeront au conseil d’administration. Je remercie l’ensemble des membres du bureau et du CA pour leur aide, en particulier Ph.Cibois.

 

 

 

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Rapport financier par Ph.Cibois, trésorier

 

 

 

Bilan comptable pour l’année 1995

 

Recettes Dépenses

134 cotisations à 150F 20100,00 Frais de réunion du CA 9028,90

Recettes Sicav 1756,80 Annuaire ASES 14671,88

Frais d’envois 1994,20

Solde débiteur 8922,58 Lettres de l’ASES 5084,40

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30779,38 30779,38

 

Le solde débiteur de cette année est du à la réalisation de l’annuaire de l’ASES dont la vente progressive nous permettra de rentrer dans nos frais.

 

Bilan de trésorerie

31 decembre 1994 31 décembre 1995

Sicav 42954,30 Sicav 34130,40

CCP 12493,54 CCP 12394,86

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55447,84 46525,26

Solde débiteur 8922,58

 

Le solde débiteur de cette année a été couvert par une ponction dans nos réserves.

 

 

 

 

 

Projet de budget pour l’année 1996

 

Recettes Dépenses

140 cotisations à 150F 21000,00 Frais de réunion du CA 9000,00

Recettes Sicav 1400,00

Frais d’envois 2000,00

Lettres de l’ASES 5000,00

Solde créditeur 6400,00

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22400,00 22400,00

L’équilibre positif de notre budget fait que nous devrions rapidement reconstituer nos réserves en vue d’autres opérations exceptionnelles

Le rapport moral et le rapport financier sont acceptés à l’unanimité.

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Elections au conseil d’administration.

Sont élus en remplacement des membres sortants : François Cardi, Alain Chenu, Catherine Déchamp-Le Roux, Daniel Filatre, Monique Hirschhorn, Monique Legrand.

 

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Conseil d’Administration du 11 mai 1996

Présents : Y. Boulhabel-Villac, F. Cardi, Ph. Cibois, C. Déchamp-Le Roux, M. Dion, J.-P. Durand, D. Filatre, M. Hirschhorn, M. Legrand, B. Péquignot, O. Schwartz, F. de Singly, J.-Y. Trépos, M. Tripier.

Après que Philippe Cibois ait rapidement présenté sa candidature à la présidence de l’ASES en termes de continuité par rapport à l’activité de Maryse Tripier qui ne souhaitait pas se représenter pour des raisons à la fois personnelles et professionnelles, les élections du président et du bureau ont eu lieu.

Philippe Cibois est élu Président de l’ASES à l’unanimité. Sont ensuite élus à l’unanimité également, comme membres du bureau :

François Cardi : secrétaire général

Alain Chenu : affaires corporatives

Philippe Cibois : président, bulletin

Michèle Dion : trésorière, organisation

Bruno Péquignot : relations publiques

François de Singly : vice-président

Jean-Yves Trépos : pédagogie

Maryse Tripier : recherche

Responsabilité des secteurs d’activité de l’ASES :

Pédagogie : Trépos, Calvez, Filatre, Cardi

Recherche : Tripier, Huet, Durand

Affaires corporatives : Chenu, Singly, Filatre

Relations publiques + outils (annuaire...) : Péquignot, Jacques

Organisation : Dion, Cardi

Professionnalisation : Legrand, Guth, Singly

International : Hirschhorn, Singly, Déchamp-Le Roux

1 - En ce qui concerne les tâches de l’ASES, plusieurs propositions et projets sont exprimés autour de la question de l’insertion des nouveaux maitres de conférences, des ATER et des chargés de cours et des rapports avec les doctorants en général :

- un séminaire résidentiel de l’ASES : pour les doctorants ? pour le Grand-Est ? Quel thème général ? Quel financement ?

- une campagne d’information pour les nouveaux maitres de conférences. La préoccupation du ministère semble forte en ce qui concerne les ATER et les jeunes m.c. (dont la compétence à enseigner est souvent très récente). Quel financement ?

- projet de " stage de prise de poste " (A.Chenu) portant, en 2 jours, sur la recherche, l’enseignement, les affaires corporatives et les problèmes de gestion administrative des universités. Quel financement ?

La question des ATER et des chargés de cours et de leur insertion à terme reste entière. L’ASES a vocation à organiser ceux qui ont une thèse et souhaiteraient être intégrés à un moment ou à un autre. Un appel dans le Bulletin pourra aider à faire le point.

2 - Le CA engage ensuite un débat sur l’enseignement des théories sociologiques.

Jean-Yves Trépos souhaite qu’un travail de réflexion soit engagé sur des cas concrets et des situations réelles. Monique Hirschhorn fait remarquer l’importance de cet enseignement comme discipline structurante dans une optique pédagogique et pour la reconnaissance de la sociologie. Jean-Pierre Durand observe que, dans la période de réformes qui s’annonce, la question est stratégique pour le 1er cycle. François de Singly expose alors les termes du choix que devra faire le Ministère en ce qui concerne ce cycle : propédeutique sciences humaines (en fac. ou dans les lycées ?) ce qui est considéré par certains comme une secondarisation du DEUG.

Il est décidé que la prochaine réunion publique de l’ASES sera organisée autour de la réforme de l’Université et de la place de la sociologie dans les 1er cycles.

Dans ce cadre, une réunion avec l’association des agrégés de sciences sociales pourrait éclairer la question du contenu des programmes d’enseignement.

La deuxième réunion publique aura pour thème les enseignements des méthodes d’enquêtes (et problèmes connexes, math, stat, informatique).

Tâche ponctuelle : rassembler les noms des élus dans les différentes universités pour publication dans le n° 21 (les qualifiés étant publiés dans le N°20)

3 - Prochaines réunions

Samedi 28 septembre 1996 : réunion publique le matin sur la réforme de l’Université et la place de la sociologie dans les 1er cycles, conseil d’administration l’après-midi

Samedi 16 novembre 1996 : bureau de l’ASES

Samedi 25 janvier 1997 : réunion publique le matin sur l’enseignement des méthodes d’enquêtes, conseil d’administration l’après-midi.

Compte rendu de F. Cardi, Secrétaire général

 

 

 

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Au sommaire de " ASES - Grand Est

Nous somme heureux de saluer la parution du bulletin de liaison de l’ASES pour la région du Grand-Est dont le numéro zéro de mars 1996 présente la recherche en sciences sociales dans les divers centres universitaires de la région : Strasbourg, Nancy II, Metz, Besançon. On y trouvera également la liste des adhérents de l’ASES dans la région.

La direction de la publication est assurée par Stéphane Jonas et on peut se procurer ce numéro à l’adresse de la rédaction : GRUES, 22 rue Descartes, 67084 STRASBOURG

 

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Publications

Alain Renaut, Les révolutions de l’Université.Essai sur la modernisation de la culture,Calmann-Lévy, 1995, 283 p., 148 F

Face au problème de l’Université qui le concerne directement puisqu’il est professeur à la Sorbonne et qu’il est au coeur des difficultés, Alain Renaut a le réflexe du professionnel sérieux qui s’attaque à un problème de société avec l’outil familier du spécialiste de philosophie politique qu’il est : l’étude historique et comparatiste. Après 15 ans de carrière, l’auteur est on ne peut plus impliqué dans l’institution et il supporte difficilement le mépris dont elle est l’objet tout en voyant bien que ses problèmes deviennent d’autant plus criants du fait de l’explosion des effectifs universitaires, en particulier ceux du premier cycle de Lettres.

L’étude historique se fait sur les trois dossiers que sont le modèle médiéval, l’Université allemande du début du XIXe siècle et l’Université française recréée par la IIIe République ; quant à l’étude comparative, elle se fait par rapport à la situation contemporaine des universités américaines.

Les perspectives que dégage l’auteur à la fin de son livre sont les suivantes : d’abord pour réfléchir sainement, arrêter de faire réformes sur réformes qui conduisent les étudiants dans la rue et découragent toute vraie réflexion. Commençons par instaurer un moratoire des réformes et mettons au travail une commission du type de celle qui a bien fonctionné sur le problème du code de la nationalité. Deux orientations de réforme sont suggérées : favoriser l’autonomie des universités par rapport à l’état centralisateur car ce qui s’est fait pour les collectivités locales devrait pouvoir se faire aussi pour les universités. En second lieu, il faut faire le choix de compenser la culture professionnelle jugée si importante aujourd’hui par une développement de la culture générale dans un premier cycle de deux ou trois ans, complémentaire d’un enseignement secondaire dont le développement à toute la classe d’âge fait qu’il est devenu incapable de fournir aux universités une population immédiatement apte à entreprendre des formations de haut niveau.

Olivier Galland et Marco Oberti, Les Etudiants, La Découverte, juin 1996, coll Repères, n°195.

D.Chuard, Le devenir des étudiants de l’Université de Bourgogne. Enquête auprès des sortants des UFR sciences économique et sciences humaines, Dijon, rapport IREDU, 1995, 63p.

Pierre Fournier, Quand enseigner c’est faire de la sociologie de terrain. Rapport demandé par le CIES à l’issue d’un monitorat assuré à l’université de Provence, DEES n°102, décembre 1995, p.93-113

 

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A la mémoire de Alain Girard (1914-1996)

Nombreux sont ceux d’entre nous qui ont connu Alain Girard, nombreux sont ceux qui utilisent Le choix du conjoint pour initier leurs étudiants à la sociologie.

Après avoir été professeur de Lettres, Alain Girard a été un des fondateurs de l’INED où il avait été d’abord l’adjoint de Jean Stoetzel puis y dirigea le département de psycho-sociologie.

Alain Girard a été professeur de sociologie à la Sorbonne, puis à l’UFR de sciences sociales dont il a été directeur au moment de la création de l’université Paris V - Renée Descartes. Ceux qui l’ont connu à cette époque ont apprécié son sens de la négociation à un moment crucial pour la vie de l’université.

En France, il est à l’initiative des enquêtes longitudinales sur les élèves qui conduiront aux différents Panels de l’Education nationale.

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Chronique d'une grève annoncée

Philip Milburn, Département de Sociologie, Université de Metz.

 

Le mouvement étudiant de novembre 1995 à Metz.

L'université de Metz, traditionnellement calme et peu engagée dans les combats revendicatifs d'avant-garde, a connu une effervescence remarquable et remarquée en novembre dernier, à l'initiative d'une partie de ses étudiants. C'est le récit de ce mouvement revendicatif très vigoureux et déterminé que je propose de retracer ici, après l'avoir suivi d'assez près.

1 ère période : gestation

Alors que j'assurais un cours en amphi en 1ère année de DEUG ce jeudi 2 novembre, survinrent de manière impromptue des étudiants, interrompant le cours et invitant ceux qui y assistaient à participer à une Assemblée Générale où disaient-ils, " la presse est présente et on est quelques dizaines : c'est ridicule... ". N'ayant été aucunement prévenu, je leur demandai de repasser à la pause pour faire leur annonce : ils tentèrent de mobiliser les étudiants -sans grand succès - sur leurs conditions d'étude, sur la suppression de certaines bourses, le paiement d'un surplus de 300 F aux droits d'inscriptions légaux, sur les locaux, etc. J'appris par la suite qu'une coordination d'étudiants syndiqués et non syndiqués, principalement inscrits en licence dans l'UFR de Lettres et Sciences Humaines s'était réunie autour de l'UNEF-ID avec des revendications qui touchaient à des problèmes internes à l'université : le refus de passage en licence dans le cadre des 7/8èmes (qui occasionnait la perte du bénéfice de bourses), le surplus de 330 F des droits d'inscription voté par le CA de l'université pour combler le déficit structurel.

Cette coordination organisa par la suite des AG quotidiennes, s'étoffant d'étudiants d'autres UFR et d'autres syndicats, et votant un mouvement de grève des études qui ne concernait que les quelques centaines d'étudiants présents aux AG. Durant la première semaine, le mouvement fut assez flottant, les étudiants de DEUG se sentant peu concernés en dépit des interventions dans les cours. Ce fut l'occasion pour les membres actifs du mouvement de glaner des informations auprès des enseignants syndiqués sur les carences réelles de l'université de Metz, tant en personnel qu'en dotation financières et donc de développer leur " plate-forme " revendicative. Elle se fonda dès lors sur la situation d'iniquité que vit l'université de Metz par son sous-équipement (par référence à d'autres) à tous les niveaux : surface, personnels IATOS et enseignants, bibliothèque, CLOUS, etc. Le mouvement messin emboîtait alors le pas à celui de Rouen, qui avait obtenu gain de cause sur cette base.

La journée du jeudi 9 novembre, annoncée comme un moment fort connut un franc succès : le grand amphi Yves Lemoigne fit plus que remplir ses 600 places lors de l'AG du matin, et l'après midi, un cortège de plusieurs milliers d'étudiants et de personnels universitaires traversa bruyamment (mais calmement) la ville pour aboutir devant la Préfecture où fut reçue une délégation. Mais les cours continuent bon train le vendredi : aucune grève générale en vue pour l'instant.

2ème période : éclosion

Le mouvement serait sans doute resté sans grand effet (l'UFR Droit étant majoritairement opposée et les enseignants des UFR de Sciences peu présents) si les étudiants de la coordination n'avaient pas su maîtriser un levier puissant : les médias. En effet, ceux-ci furent convoqués dès les premiers instants : la presse locale d'abord, mais l'implantation d'une chaîne de TV nationale à Metz (RTL9) eut pour effet de donner une résonnance nationale au mouvement, remplissant une actualité alors peu fournie. La " grève " des étudiants de Metz semblait être connue sur tout le territoire sauf des étudiants messins, qui, pour la plupart, assistaient benoîtement à leurs cours !

Le basculement eut certainement lieu le ... dimanche soir ! Mme Sinclair recevait à " 7/7 ", sur TF1, le ministre de l'Education, M. Bayrou à qui elle évoqua la " grève " de l'université de Metz, que le ministre confirma et qui d'après lui participait d'un malaise légitime des " jeunes universités " très insuffisamment dotées.

Les étudiants messins ne pouvaient en effet qu'être sensibles (d'autant qu'ils provenait du ministre lui-même) à l'argument de l'iniquité, car la plupart d'entre eux, enfants de la Moselle, sont issus de familles touchées de près ou de loin par les restructurations de la sidérurgie et la fermeture des mines. L'université de Metz est pour eux le seul espoir de lendemains qui chantent. En outre, la Moselle, qui a subi plusieurs décennies d'occupation, se reconnaît dans un régime d'exception, pour ses réussites comme pour ses déboires.

Le problème, au surplus, est réel : l'université connaît une croissance démographique de ses étudiants considérable (le nombre d'étudiants inscrits en 1ère année de sociologie est passé de 110 en 94 à 180 en 95 : + 60 %) alors que des filières ont été créées très récemment (1993 pour psycho et socio). La sous-dotation en locaux et en personnels (notamment administratifs) est dès lors impressionnante, notamment en lettres et sciences humaines.

Et c'est ainsi que la prophétie médiatique s'accomplit d'elle-même : la grève, ainsi annoncée, se devait de devenir réalité. A compter de ce moment, les manifestations deviennent quotidiennes, les AG font le plein et les personnels se mobilisent. Mardi, les locaux sont occupés et les piquets de grève s'organisent : l'université est bientôt paralysée. Le président fait connaître sa solidarité avec une revendication aussi juste en faisant voter au CA la suspension des cours, malgré l'opposition des enseignants de l'UFR de Droit. Le lendemain, il est reçu par le ministre mais au même titre que tous ses homologues : l'exception messine n'est pas respectée, même si le président revient avec des promesses de personnels et de dotation supplémentaires pour l'année prochaine.

3ème période : apogée

Ces promesses galvanisent les AG : elles sont bien en deçà des revendications fixées très précisément : 50 postes supplémentaires d'enseignants, autant en IATOS, 11 MF de dotation pour combler le déficit. Le mouvement se durcit. Le ministre envoie illico à Metz un " médiateur ", Mme Ferrier, directeur-adjoint du cabinet. Les étudiants déclarent ce jeudi " jour Ferrier ". Programme des festivités : accueil bruyant à midi à l'entrée du campus, puis le médiateur est convié par la coordination à faire une visite guidée des locaux. Elle rencontre ensuite les étudiants en coordination, l'entrevue étant retransmise par mégaphone à l'extérieur des bâtiments. Les revendication et la détermination des grévistes est exprimée, mais l'envoyée spéciale du ministre fait des discours interminables qui irritent les étudiants massés à l'extérieur. Elle reçoit ensuite les enseignants, qui rappellent la situation de pénurie de l'université en termes de personnel, de capacité réduite à la recherche, etc. Les normes sanremo sont au coeur du débat, le médiateur reconnaissant leur caractère inadapté. C'est aussi l'occasion de lui signifier que les 30 postes promis par le ministres n'en constituent que 23 réels, 7 étant des PRAG. Interpellée (par mes soins) sur la question du transfert des agrégés des lycées vers l'université, et sur la secondarisation du supérieur, elle rétorque qu'il s'agit " d'une pure rumeur ". Rumeur figurant dans le Monde de la veille, lui objecte-t-on : " méfiez-vous de la presse, elle colporte aussi des rumeurs " conclut-elle.

Surchauffés par 3 heures de ce qui leur apparaît comme pur dialogue de sourds, les étudiants massés devant les portes cherchent à pénétrer dans la salle, déterminés à séquestrer l'envoyée du ministre et à lui faire passer une nuit de camping dans l'amphi occupé. Le service d'ordre étudiant résiste tant bien que mal, les journalistes sont à l'affût, la panique s'instaure. Le médiateur et le recteur téléphonent au ministère : le ministre lui-même s'inquiète du sort réservé à sa représentante et promet personnellement aux étudiants de la coordination et au président de renégocier à condition de laisser Mme Ferrier rentrer à Paris. La coordination étudiante accepte et il faut un tour de passe-passe pour dérober le médiateur à l'ire des étudiants les plus farouches que cette issue ne satisfait aucunement.

Les nouvelles négociations ont lieu le lendemain : le président propose un plan de rattrapage sur quatre ans sur les bases des propositions ministérielles, auquel il ajoute des postes en bibliothèque, en médecine préventive, une assistante sociale et un directeur du CLOUS. Le plan propose d'opérer un rattrapage sur quatre années. Les étudiants, conscients de l'essoufflement du mouvement malgré l'activisme d'une minorité, suggèrent des augmentations à la marge, notamment quant à la dotation. Quant aux représentants des enseignants (qui ne sont pas en grève mais " soutiennent " le mouvement étudiant), ils refusent ce plan et restent sur la base de la plate-forme de départ, souhaitant rejoindre un mouvement national des universités, marqué par la manifestation prévue pour le mardi suivant. Une proposition proche de celle de la présidence est adoptée, et votée illico, malgré l'opposition des étudiants les plus déterminés, au cours d'une AG étudiante houleuse.

Des négociations avec le ministère occupent une partie de l'après-midi et l'on débouche sur un accord légèrement en-deçà des demandes votées : un plan de rattrapage sur 4 ans afin que les déficits accumulés soient comblés en termes de personnels et de dotation (avec une dotation de 100 % à l'issue de ce délai.)

Epilogue

Ainsi, la spécificité messine avait réussi à se faire entendre, même si l'on était bien en deçà des revendications initiales, juste avant le mouvement national qui démarra le mardi suivant, où certains auraient préféré se fondre. Au total, quelques remarques d'ensemble peuvent être faites sur ce mouvement très particulier. Il convient tout d'abord de souligner la remarquable compétence des étudiants réunis en coordination. Ils ont su user des instruments syndicaux sans obstination idéologique. Mais surtout, ils ont su manœuvrer tous les leviers des rapports de pouvoir en vigueur ces dernières années : le recours aux médias fut essentiel, on l'a vu (malgré quelques débordements, quand par exemple, les journalistes de telle chaîne de TV auraient incité les étudiants à entraîner la manifestation sur l'autoroute afin de créer l'événement). Leur capacité à la négociation avec des interlocuteurs de haut rang fut non moins remarquable. L'ensemble de leur dispositif constituait d'ailleurs en un réseau de communication (téléphone, fax, etc.) situé dans une salle qu'ils occupaient jour et nuit, qui a assuré le succès de leur action car elle manifestait, en quelque manière, son sérieux.

En second lieu, il conviendrait de s'attarder sur le clivage entre revendication locale/ revendication nationale. Les préoccupations qui ont animé le mouvement étaient, à l'origine, internes. Elles ont savamment été transformées en revendications localistes sur la base d'un argument d'iniquité sur un plan territorial. C'est ce principe qui a mobilisé la coordination comme la " base " des étudiants. En revanche, les étudiants les plus déterminés à durcir le mouvement (à l'instar des syndicats enseignants) s'appuyaient sur des arguments plus radicaux et généralistes : la défense du service public, le droit universel à la culture, etc., et ils étaient prêts à se fondre dans le mouvement national afin d'obtenir satisfaction à ce niveau, c'est à dire " en faisant plier le gouvernement ". D'aucuns suggéreront que de telles positions radicales sont toujours présentes dans ce type de mouvement. Il convient toutefois de noter qu'elles ont été particulièrement puissantes et leurs représentants bien plus nombreux qu'ils ne le furent dans un passé récent : elles ne doivent pas être négligées de l'analyse visant les mouvements étudiants. Il semble qu'en l'occurrence se soient marqués deux registres de la conscience civique actuelle des étudiants : l'une fondée sur le principe d'équité et l'autre sur celui d'égalité.

 

 

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Informations

Association Européenne de Sociologie (AES)

L’association a été officiellement créée en 1994. Elle se propose de fournir un cadre professionnel au sein duquel puissent se regrouper des sociologues qui accompagnent intellectuellement ce développement historique. Surtout investie par les sociologues de l’Europe du Nord, l’AES espère une entrée en nombre de sociologues français.

Les ressources offertes par l’association sont essentiellement ses comité de recherche, et ses listes de discussion par courrier électronique gérées par Robert Miller (Belfast). Sept comités de recherche ont déjà été reconnus, sur les thèmes suivants (avec leurs responsables).

- Sociologie des faits familiaux (Jean Kellerhals et Claudine Attias-Donfut)

- Rapports sociaux de sexes, marchés du travail et protection sociale (Tomas Böje et Eva Cyba)

- Sociologie de la jeunesse et des générations (Jean-Charles Lagrée)

- Relations industrielles (Franz Taxler)

- Perspectives biographiques dans les sociétés européennes (J.-P.Roos)

- Sociologie de la consommation (Kaj Ilmonem)

- Mass-médias et télécommunications (Peter Golding)

D’autres comités de recherche sont en voie de formation. Pour proposer la création d’un comité de recherche, centré de préférence sur une question posée d’emblée à l’échelle européenne, il faut réunir dix sociologues d’au moins trois pays.

Présidente Sylvia Walby, Secrétaire générale Bart van Steenbergen, information et adhésion auprès de Bernard Kruithof, ESA, SISWO, Plantage Muidergracht 4, NL 1018 TV Amsterdam, tel. : (31) 205270 646 ; fax (31) 20 622 9430, Email kruithof@siswo.uva.nl ; adhésion (1 an) US $ 40.

 

European Society of Health and Medical Sociology

La société européenne de sociologie médicale et de la santé a été fondée en Grande-Bretagne en 1984 à la suite d’une recherche réalisée par Lisbeth Claus recensant plus de 800 sociologues européens travaillant dans le champ de la Santé. L’association s’est donné pour objectif de favoriser les échanges à caractère scientifique entre ceux-ci. Un congrès bisannuel réunissant 300 participants a lieu depuis 1986 dans une ville universitaire d’Europe qui est à chaque fois différente. Le 6è congrès se tiendra à Budapest en Août 1996 en même temps que la 2è Conférence Européenne de Sociologie de l’European Sociological Association.

Ces réunions scientifiques donnent une visibilité à l’activité de recherche des sociologues de la santé et favorisent une collaboration européenne. Un bulletin est envoyé aux adhérents et une université d’été est régulièrement proposée à des sociologues en formation. La langue commune des participants est l’anglais.

Le 7è congrès pourrait se réunir en 1998 en France ce qui serait une opportunité pour de nombreux collègues français (encore très minoritaires dans l’Association) de faire connaître leurs travaux.

Informations complémentaires auprès de Catherine Déchamp-Le Roux, (Membre du comité exécutif de l’ESHMS), Maître de conférences à l’Université Paris-Nord (tel. : (1) 48 38 76 16)

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Tribune libre

Nous ouvrons ici une nouvelle rubrique : les textes publiés dans cette tribune libre sont sous la responsabilité de leurs auteurs. Leur but est d’aider à la discussion. Le présent texte est paru dans le numéro de Juillet 1996 de la revue Esprit.

Morale provisoire pour l'Université

Ph.Cibois

Tant la conjoncture sociale que la conjoncture universitaire incitent à la réflexion : la pression étudiante, si elle a pu faire qu'un ballon d'oxygène soit donné à certaines universités, ne nous dispense pas d'une réflexion sur les missions de l'enseignement supérieur. Cette réflexion a d'ailleurs été initiée par Alain Renaut qui nous incite à suivre la pratique (conseillée par l'évangile) de s'asseoir avant de bâtir : moratoire de réformes pour plusieurs années et mise en place d'une commission nationale pour la réforme des Universités.

Il est évident que nous avons à réfléchir en profondeur sur les missions de l'Université. Tout universitaire aujourd'hui se pose des questions sur son rôle face à la massification de l'Université. Alain Renaut quant à lui pose les jalons de cette réflexion en interrogeant l'histoire et en examinant les conséquences de choix faits à divers époques (Moyen-Age et période contemporaine) et en divers lieux (Allemagne, France, Amérique du Nord).

L'auteur attend de ses interlocuteurs qu'ils se situent au même niveau et qu'ils réfléchissent donc sur le long terme. Cependant, en attendant l'issue de cette réflexion, il faut vivre, il faut disposer de règles d'action immédiate, d'une morale provisoire qui puisse nous guider, nous enseignants à l'Université, dans nos choix immédiats.

En effet, quelle que soit l'urgence des réformes à effectuer, nous avons des étudiants en face de nous à qui nous devons donner des cours, faire faire des Travaux Dirigés, faire subir un contrôle continu et des examens. Ces étudiants sont aujourd'hui en face de nous et, comme tout enseignant, je vois très concrètement leur visage se dessiner dans ma mémoire et je suis mal à l'aise quand je les entends être considérés comme des "nuls", des "consommateurs", des "gens qui ne devraient pas être là". En réaction à cette attitude dévalorisante, je voudrais réfléchir d’abord sur les attentes réciproques de l’étudiant et de l’enseignant avant de prendre quelques situations concrètes (rapports avec l’administration, problème de la notation) qui me serviront à voir comment cette morale provisoire nécessaire peut s’appliquer dans des cas concrets.

Définition d’un objectif à court terme

Comme enseignant, fixons-nous un objectif raisonnable, c’est à dire qui tienne compte d’une population étudiante réelle et non mythique, mais un objectif suffisamment valorisant pour que nous soyons encouragé à le réaliser. Pour cela, acceptons de partir d’une population qui n’a pas choisi nos disciplines pour elles-mêmes, mais sur la base de raisons assez contingentes, comme par exemple le désir d’être admis dans un IUFM. (je parle ici de Deug de sciences humaines mais la réalité est assez générale).

Au départ, ce sont des élèves, non des étudiants : c’est ainsi qu’ils se désignent, ce qui est révélateur de leur différence par rapport à des générations antérieures où le statut d’étudiant était désiré comme tel. Ceci veut dire qu’ils s’attendent à continuer de faire ce qu’ils faisaient au lycée où la finalité de tout l’enseignement était pour eux en priorité la réussite au bac et non l’acquisition d’une discipline académique. Ils recevaient les matières à apprendre d’un enseignant pendant un cours et leur part de travail personnel consistait dans la pratique d’exercices, de devoirs à rendre. Ils arrivent à l’université dans le même état d’esprit : il s’agit pour eux d’abord de vaincre un obstacle, l’obtention d’un Deug, et pour cela ils sont prêts à prendre en compte un interlocuteur nouveau qui, paradoxalement à leurs yeux, semble attacher moins d’importance qu’eux au diplôme final mais davantage à son contenu.

En effet, pour nous l’objectif est assez différent : notre but n’est pas leur réussite au Deug en soi, mais qu’ils manifestent, par leur réussite, qu’ils ont acquis une méthode de travail intellectuel faite d’autonomie par rapport à un enseignant et d’acquisition stable de contenus disciplinaires qui ne s’évaporeront pas de leur mémoire instantanée sitôt l’examen passé. Il s’agit par les moyens les plus divers, organisation des enseignements, travaux dirigés, cours, contrôle continu et examens, de faire en sorte que des élèves aux réflexes de lycéens, consommateurs d’examens, deviennent des étudiants aptes au travail intellectuel fait d’étude autonome et de recherche personnelle.

On pourra discuter dans le futur sur les évolutions rendues nécessaires par le fait que les étudiants que nous recevons aujourd’hui sont moins autonomes qu’autrefois par bien des aspects : qu’ils sont plus longtemps dépendants de leurs parents, que l’adolescence est prolongée et que ce qui était tenu pour acquis à 17 ou 18 ans à la fin d’études secondaires ne doit plus l’être. Ce débat est raisonnable et nous aurons à décider si des modifications doivent être faites pour construire un enseignement équivalent par exemple aux junior colleges américains. Cette question peut être posée mais en attendant, nous avons besoin d’une morale provisoire qui nous aide à accomplir au mieux l’objectif de transformation d’un élève en étudiant.

Cette morale provisoire, elle consiste à dire que pour l’acquisition de l’autonomie, il faut faire en sorte que l’organisation des études la favorise, que l’administration ne soit pas un obstacle supplémentaire dans ce qui est vécu comme un parcours d’obstacle mais une aide ; que la notation faite par les enseignants favorise l’acquisition d’un travail intellectuel conforme aux normes universitaires. Ce sont ces deux situations que je voudrais à titre d’exemple développer.

L'accueil des étudiants dans les secrétariats

Quand un étudiant entre dans un secrétariat, on peut faire l’hypothèse qu’il vient demander une aide, qu’il vient demander à être écouté individuellement, qu’il s’attend à être écouté en tant que personne. Vraisemblablement, il y a souvent, à travers une question anodine, une demande d’aide face à des règles du jeu universitaire qui sont complexes et pas toujours explicitées. Or, en forçant le trait on constate que l’administration se présente souvent à l'étudiant d’une manière telle qu’elle aura pour effet d’éliminer ceux qui n’ont pas eu de modèle pour l’accès à l’université. Les milieux où les enfants sont les premiers à accéder à l’université risquent davantage d’être désorientés ou éliminés si l’administration constitue plus un obstacle qu’une aide.

Hélas ce résultat peut être obtenu de diverses manières :

- le secrétariat fantôme : plusieurs sous-options sont possibles. Le secrétariat peut être inexistant par des heures d'ouvertures restreintes au minimum comme par exemple deux après-midi par semaines de deux à quatre. On peut aussi être présent sans l'être : soit en téléphonant d'une manière intensive, soit en ayant des tâches nombreuses en cours dont l'importance ne devrait pas échapper à toute personne présente dans le bureau. On peut enfin être très présent et de bonne volonté, mais ne rien savoir : l'étudiant est ainsi invité à participer à la formation du secrétariat en l'initiant à ce qu'il sait lui.

- le secrétariat flipper : sa stratégie est le renvoi de l'étudiant vers une autre source d'information (un enseignant, un autre secrétariat). L'étudiant jouera le rôle de la balle dans un flipper avec un stationnement réduit au minimum mais un renvoi énergique vers une autre destination (le jackpot est obtenu quand, après un long parcours, on se fait renvoyer avec assurance à son point de départ).

- le secrétariat tribunal : l'étudiant y est entendu, jugé et en repart avec une condamnation bien sentie : vous devriez savoir que..., vous osez demander que...

Il s'agit bien évidemment de caricatures et je connais des secrétariats animés par des gens très sympathiques, avenants, mais le problème est là aussi : il ne faut pas espérer que nous ne mettrons face aux étudiants que des personnels dotés d'un dévouement supérieur à la moyenne. Une organisation doit fonctionner sur la base de personnels de secrétariat n'ayant pas une qualification plus forte que celle requise par leur statut et des motivations ordinaires. Qui est responsable ? Pas nous, disent les enseignants, mais l'administration qui nous donne trop peu de personnel et un personnel sous-qualifié (dont d'ailleurs on vous dira que les autres composantes de l'université se sont débarrassés).

Question : qui a la responsabilité de ce personnel ? Ce n'est pas "l'Administration", bouc émissaire de toutes les difficultés, c'est toujours un enseignant, directeur de département ou d'UFR. Quel responsable accepte de prendre en charge un personnel qui n'a pas forcément la même conception que lui quant à la gestion de son travail, qui n'entend pas y trouver particulièrement là son épanouissement, mais attend seulement d'avoir un salaire en échange d'une présence active ?

La mauvaise gestion d'un personnel c'est : ne pas être présent, tolérer l'absence et le travail mal fait (on les paye si peu) mais pousser un colère noire quand "les limites sont dépassées" alors que les bornes ne sont pas fixées, ni même souvent simplement les règles. La bonne gestion c'est de donner des directives, développer des motivations positives à être efficace dans l’accueil des étudiants, surveiller la bonne exécution du travail, contrôler les horaires et les absences, s'en tenir au seul point stable de référence qu'est le règlement : cela peut paraitre scandaleux qu'un enseignant puisse envisager une telle manière de voir mais c'est être respectueux de la manière de voir d'un personnel. L'ethnocentrisme c'est de refuser son rôle de supérieur hiérarchique, ce que l'on est objectivement, et de faire comme si nous étions tous des égaux qui discutent en bons copains de leurs problèmes réciproques. La colère, le mépris, l'incapacité de travailler seront la conséquence rapide de cette manière de voir : les lois de l'organisation hiérarchisée s'imposent à tous, même si l'on prétend les refuser.

Un directeur qui a autorité sur un personnel doit prendre acte de sa situation et y jouer son rôle, il ne peut tirer son épingle du jeu social par des faveurs : il doit certes négocier mais aussi motiver. Un secrétariat doit être fier de son organisation, de son efficience, de son professionnalisme tant vis-à-vis des enseignants que des étudiants, mais cela suppose que l'enseignant vive son rôle comme au service de sa tâche et non comme une corvée qu'il a eu la faiblesse de se faire imposer par ses collègues, ou pire comme une étape hélas nécessaire pour pouvoir faire figurer des tâches d'intérêt général dans son curriculum vitae universitaire.

Un secrétariat digne de ce nom propose à des heures d'ouvertures suffisantes un personnel disponible (c'est à dire n'ayant pas d'autres tâches à accomplir en même temps), pouvant répondre aux questions des étudiants, ayant sous la main un logiciel permettant immédiatement de dire à un étudiant où il en est dans son cursus, capable de trier les questions de façon à renvoyer l'étudiant à un enseignant le cas échéant pour des problèmes pédagogiques.

Il n'est nullement requis par une bonne organisation que la personne qui assume ce rôle soit affable, prévenante et soit capable d'interpréter les questions et y déceler d'autres interrogations ou une inquiétude sous-jacente. Ceci est le rôle d'un tuteur qui relève d'autre chose que de l'administration. Dans une administration, le sourire est permis, il n'est pas exigé sinon par un ethnocentrisme de classe supérieure qui veut des hôtesses d'accueil BCBG et non des employés. Ce qui est exigé par contre, c'est un niveau de compétence adapté à la tâche.

Soyons clair, le niveau de compétence initial est fixé par le cadre de l'administration publique et dans un secrétariat on n'aura pas en général le personnel que l'on souhaiterait, c'est à dire à qui on pourrait déléguer tout le travail que l'on a pas envie de faire. La solution n'est pas de rêver à un alter ego (quant aux motivations intellectuelles) mais qui se chargerait de toute l'intendance. La compétence dans le rôle est à donner au personnel en lui faisant découvrir au jour le jour les implications de son travail : qu'une négligence va entrainer une conséquence négative pour un des acteurs et que cela n'est pas acceptable car on respecte les acteurs, que ce soit des enseignants ou des étudiants. Les rôles de l’administration et des enseignants sont complémentaires : l’administration doit informer sur le fonctionnement de l’enseignement, les enseignants doivent améliorer les enseignements et conseiller les étudiants. Chacun a sa compétence propre.

On manque de personnels ? Est-ce si sûr ? On manque plutôt d'enseignants pour les encadrer, les motiver, les rendre efficients, et qui seront d'autant mieux entendus dans leurs demandes de postes vis-à-vis de leur président d'université qu'ils pourront montrer les manques. Leurs arguments seront d'autant plus forts qu'on reconnaitra leur souci de rentabilisation du personnel déjà là.

La gestion des étudiants

Respecter les étudiants, c'est aussi avoir un système de gestion sans erreur. La "qualité totale" n'est pas le propre de l'industrie mais de toute organisation responsable : par ce terme on entend simplement le fait qu'un étudiant qui a obtenu une note puisse être certain que cette note soit exactement enregistrée dans un système quelconque (manuel ou informatique) et qu'elle sera correctement utilisée au jour dit (jury de module ou jury final). Cela peut sembler aller de soi mais l'expérience montre que l'on rencontre beaucoup de difficultés du fait de notes, mal transcrites lors d'un enregistrement informatique, qui n'arrivent pas ensuite à être correctement corrigées en temps voulu.

Gérer correctement des étudiants c'est aussi les soumettre à un système lisible de gestion de leur notes : beaucoup d'étudiants ne savent pas comment leur notes finales sont calculées. Cette opacité laisse évidemment beaucoup de liberté à l'enseignant qui peut appliquer son jugement personnel sur chaque étudiant d'une manière parfaitement arbitraire. Si les règles d'application du contrôle continu ne sont pas connues des étudiants c'est soit qu'elles n'existent pas, soit qu'elles ont été oubliées par l'enseignant.

La lisibilité du système doit aussi exister au niveau de l'organisation globale d'un cycle : si le calcul par l'étudiant de sa note finale de Deug doit être optimisée par un algorithme qui tient compte par exemple qu'une note d'un module peut être prise dans certains cas soit comme module obligatoire soit comme optionnel, on peut être certain que l'étudiant aura bien du mal à s’y retrouver. Or pour s'améliorer, il faut savoir où on en est, être capable à chaque instant de savoir ce qui est fait et ce qui reste à faire. Dès que le système devient trop complexe, cette lisibilité cesse et la réussite relève de la stratégie shadok (on a une chance sur mille pour que ça marche, dépêchons nous de faire 999 tentatives pour que la millième réussisse).

Comment peut-on en arriver là sinon simplement par laisser faire : chacun introduit ses contraintes et le résultat final s'en déduit par simple agrégation et donne un système d'une complexité redoutable. Si personne, se mettant à la place de l'étudiant, ne se pose le problème de la perception du système, celui-ci ne pourra aller qu'en se complexifiant (et en s'aggravant du fait de la nécessaire gestion des modifications du système). Le problème n'est pas technique mais moral : la finalité d'un système de gestion est-elle de permettre aux enseignants de satisfaire leurs obligations de faire passer des examens ? Est-elle de minimiser le travail de l'administration ? Ou est-elle de permettre aux étudiants de vérifier leurs acquisitions et de progresser ? C’est évidement cette dernière motivation qui doit être première, même si les autres ont leur place légitime.

La notation

On en arrive au coeur de questions controversées : le vrai respect de l'étudiant diront certains c'est d'être exigeant avec lui, et ils disent haut et fort que le laxisme n'est qu'une forme de mépris déguisé.

Ce que je sais bien c'est que nous sommes actuellement dans un système d'une perversité redoutable : comme trop souvent l'enseignant refuse de considérer les étudiants pour ce qu'ils sont, refuse de partir de leur niveau de conceptualisation, il leur donne un enseignement qui n'est absolument pas digéré et qui, de ce fait, est restitué aux examens sous forme de bouillie infâme. Quand les formes grammaticales et stylistiques sont respectées, on donne une note légèrement supérieure à la moyenne, dans le cas contraire on met huit ou neuf. Ce qui est sûr, c'est que sauf dans le cas rare où tout est parfaitement assimilé, ou symétriquement où le néant est total, et comme on a beaucoup de mal à trancher, on réduit d'autant l'amplitude de la notation. On peut arriver ainsi à avoir une notation sur 5 déguisée en notation sur 20 : 8 devient très insuffisant, 9 insuffisant, 10 passable, 11 assez bien et 12 bien. Quelques notes très mauvaises ou très bonne sauveront la face.

Que veux-t-on signifier par un tel système extrêmement répandu (car les notes se situent le plus souvent entre 8 et 12) sinon que l'on ne sait pas si une acquisition est faite ou non, que l'on est incapable de codifier les parties d'un examen et d'affecter à chacune un nombre de points à obtenir.

Quant à ceux qui donnent quand même de très bonnes notes ou de très mauvaises, comme leurs références sont bien incertaines, les comparaisons de copies faites par les étudiants font que l'on parle d'arbitraire à leur propos, et peut-être n'est-ce pas à tort. Si des variations infimes entrainent des différences fortes de notation, la confiance des étudiants risque d'être remise en cause. Comme exercice noté, la dissertation, méthode royale pour montrer son aptitude à réfléchir, se trouve pervertie au plus haut point. En effet, alors qu'elle fonctionne à merveille pour faire s'affronter des thèses, elle devient la juxtaposition de tranches de cours ou de manuels, livrées brut de décoffrage, à charge pour le lecteur, qui doit être mieux renseigné que l'étudiant, de savoir pourquoi elles se trouvent là.

Ne pas tirer les leçons d'une telle situation, que beaucoup subissent, me semble révélateur d'un refus profond de prendre en compte la réalité des personnes que l'on a en face de soi : si des étudiants, qui semblent intellectuellement normalement constitués, qui sont capables lors de mouvements étudiants de produire des textes intelligibles, se croient autorisés à nous produire du charabia, c'est qu'ils ne comprennent pas ce que nous leur disons, que nous ne sommes pas capable de les intéresser à ce qui nous intéresse.

Il leur manque les bases entend-on dire : qu'est ce qui empêche de les leur donner ? De faire un enseignement qui commence par le commencement ? Car n'oublions pas que ceux qui arrivent à l'université sont ceux qui ont été exclus des filières nobles du système scolaire (les préparations aux grandes écoles). Nous ne construisons pas sur des apprentissages antérieurs mais sur des échecs antérieurs, sur des apprentissages ratés : par exemple on voit des conceptions mathématiques qui sont devenues des blocages, des apprentissages de la dissertations qui évoquent le sentiment d'échec et qui sont pourtant ravivés par des injonctions permanentes ("je ne fais que vous rappeler ce que vous devriez déjà savoir").

Dans ces conditions, une évaluation risque de n'être que l'expression d'un rapport de force entre des enseignants qui ont l'impression d'être laxistes et des étudiants qui vivent les examens comme une loterie (plus on tente sa chance, plus on a de chances de gagner). Ce rapport de force se joue sur le mode de la négociation : face à tout enseignant, une note se négocie ce qui signifie qu’on ne comprend pas pourquoi on l’a eue (et si on le comprenait , il y aurait de bonne chances qu’on ait eu une meilleure note, ce qui veut dire que pour le faire comprendre, il faudrait refaire le cours).

De plus les enseignants sont soumis à la pression de la collectivité qui s'affole déjà d'un taux d'échec que, quant à eux, ils n'estiment être qu'une concession qui devrait être remise en cause. Certains enseignants, s'autoproclameront les garants du sérieux et, pour les enseignements de lettres et sciences humaines, l'on verra apparaitre des modules guillotines, en général axés sur des terrains plus formalisés et proches des mathématiques (logique formelle, méthodes quantitatives, informatique, statistique, économie, psychologie expérimentale). Les plaisirs pourront varier dans d'autres domaines mais il se trouvera souvent une sous-discipline qui se positionnera en gardien de la rigueur par le biais de notes éliminatoires.

L'expérience montre qu'il est possible de faire acquérir des notions même complexes (par exemple dans le domaine statistique à des étudiants éliminés par les mathématiques) à condition de faire table rase non des acquis antérieurs mais des échecs antérieurs, de déconditionner, de réintroduire les concepts mal digérés avec des mots nouveaux, de progresser pas à pas en ne laissant rien dans l'ombre. Expliciter, ne pas supposer d'acquis préalables, suppose que l'on prenne les étudiants tels qu'ils sont et non selon l'image mythique que l'on se forme d'eux.

C'est la faute du secondaire dira-t-on en reprenant la vieille antienne qui consiste à se plaindre du prédécesseur. Le lycée dira aussi que le collège a mal fait son travail, qui accusera l'école élémentaire de n'avoir pas vérifié les acquis fondamentaux, qui soupçonnera la maternelle de n'avoir pas assez éveillé, qui accusera la femme enceinte de n'avoir pas fait écouter Mozart à son futur rejeton au stade intra-utérin. Sans attendre là non plus que les autres se réforment, commençons par balayer devant notre porte et adaptons notre enseignement à la population qui est en face de nous.

Objections et réponses

- Vous n'en avez pas le droit, c'est la ruine de l'enseignement supérieur : ce n'est pas à nous de nous adapter aux étudiants, mais c'est aux étudiants à s'adapter aux exigences universitaires.

- Il est peut-être regrettable que l'Université, surtout dans ses premiers cycles soit devenue une Université de masse mais c'est un fait. On peut se lamenter, travailler pour une modification profonde du système, mais aujourd'hui, il faut prendre acte des étudiants que nous avons en face de nous, les traiter correctement et non les mépriser.

De plus, il s'agit de s'adapter aux étudiants à l'entrée pour les mener, s'ils le désirent, au niveau élevé des exigences universitaires : démarrer doucement en s'assurant que personne n'est laissé en arrière est la règle d'or de tout organisateur de ballades. Si le groupe est bien mené, il peut aller loin, même si certains estimeront qu'ils sont déjà allé assez loin et s'arrêteront d'eux mêmes sans sentiment d'échec.

La technique actuelle des mises à niveau et du tutorat est certes une bonne chose, mais si elle risque ensuite d’être réduite à néant par des enseignements qui ne respectent pas le principe de la progressivité, on conduit à l'échec une bonne part de la population.

Cependant, peut-être faut-il prendre acte qu’à l’université aussi, les études deviennent plus longue et que les acquisitions fondamentales doivent se faire par exemple sur un cycle de trois ans (ce qui correspond pour bon nombre à la durée effective de leur Deug) et non sur deux, cycle qui inclurait la licence et qui permettrait l’acquisition d’une culture générale qui consiste à savoir mettre en relation diverses sources d’information, les cours, les lectures mais aussi la vie, l’expérience, les moyens d’information.

Il faudrait aussi réfléchir aux manuels de premier cycle dont le développement montre bien qu’ils correspondent à une demande étudiante : malheureusement ce sont trop souvent des livres déguisés (où l’auteur cherche à prendre position par rapport à ses collègues) qui en guise d’apprentissage se contentent de jeter le lecteur dans le grand bain, ou au contraire des mémentos de bachotage qui permettent de faire semblant d’avoir compris.

- Du temps consacré à la gestion des étudiants, c'est du temps pris à la recherche, or le propre d'un universitaire est d'être un enseignant-chercheur : il est jugé sur sa production scientifique et, au niveau international, absolument pas sur ses qualités de gestionnaire. Pourquoi un enseignant ferait-il autre chose que le minimum dans ce domaine puisque ce n'est pas son intérêt ?

- Il est tout à fait exact qu'en termes stricts d'intérêt de carrière, prendre au sérieux la présence des étudiants n'est pas rentable, pas plus que de s'occuper convenablement de ses enfants, d'écouter un opéra, de visiter un pays étranger ou de faire une bonne bouffe. Mais justement, les rétributions associées à toutes ces opérations sont réelles mais d'une autre nature que la réussite professionnelle. Elles ne sont pas inexistantes pour autant.

S'occuper sérieusement des étudiants parce qu'ils sont en face de vous, leur consacrer du temps et de l'énergie n'a de sens qu'à plusieurs conditions dont la première est de ne pas être seul. Heureusement il est souvent possible de se retrouver à plusieurs sur les mêmes bases et il faut faire pression pour que tout le monde finalement soit concerné. Le temps alors passé devient raisonnable : il faut expliquer à ceux qui disent n'être pas capable de gérer une organisation que cela s'apprend et que l'excuse n'est pas plus valable que celle qui sert à conserver les rôles sociaux sous prétexte d'inaptitude. Il n'y a pas de chromosomes de l'habileté à faire la vaisselle associé à l'X ou à l'Y. Pas plus que taper sur un clavier d'ordinateur n'est impossible à qui que ce soit.

Bien évidemment, faire mal une charge est une bonne stratégie pour qu'on vous ne la confie plus, mais il ne faut pas être dupe et confier à chacun une tâche même minime. Répartir les tâches entre tous, c'est éviter que certains déclarent forfait du fait d'une overdose. Il est anormal que certains enseignants ne fassent plus que de l'administration : peut-être qu'à côté des obligations statutaires d'enseignement, faut-il envisager des obligations statutaires d'administration, par exemple une journée par semaine de présence dans un bureau. Ceux qui ont actuellement des responsabilités trouveront que c'est bien peu par rapport à ce qu'ils font, ceux qui n'en n'ont pas, que c'est bien beaucoup par rapport à ce qu'ils n'ont pas envie de faire.

Les rétributions liées à la pratique de l'administration existent : plaisir du travail en équipe, de la création sur le long terme d'une organisation efficiente, sentiment d'avoir son mot à dire au plus haut niveau.

- Si je comprends bien, vous proposez à ceux qui ont admis qu'ils ne seront pas reconnus au plan scientifique, des compensations de second ordre. Cela me fait penser à ce fameux film québecquois le déclin de l'empire américain, où un enseignant d'histoire, découvrant "qu'il ne serait jamais Braudel", accepte de trouver des compensations dans sa vie relationnelle.

- Qu'entend-on par reconnaissance au plan scientifique ? S'il s'agit pour tout universitaire d’arriver au Collège de France comme pour tout lycéen, bien poussé par ses parents, de finir major à Polytechnique, il y aura beaucoup de frustrés. Il me parait plus raisonnable de viser la reconnaissance de la société de ses pairs et de se convertir, je pense que le mot n'est pas trop fort, à ce que l'on est, plutôt qu'imaginer ce que l'on pourrait être. Quant à la reconnaissance sociale, médiatique, elle n'est ni à fuir car elle visualise le fait qu'on est ancré dans la société, ni à rechercher parce qu'on y sera toujours frustré. C'est un indifférent, ni bon ni mauvais.

- Pour parler crument, pour être bon enseignant, il faut une mentalité de bonne soeur ?

- Il ne s’agit pas d’un travail de bonne soeur et des exemples nombreux dans diverses disciplines manifestent que beaucoup de chercheurs illustres ont eu en même temps des responsabilités dans l’appareil universitaire, qu’ils ont su gérer en alternance avec une carrière reconnue. Si pour reprendre un thème religieux, conversion il doit y avoir, c'est par rapport à l'étudiant qui est en face de soi qu’il faut modifier sa pratique, non pour lui remonter sa note par bonté d'âme, mais pour qu'il sorte de son incompréhension du système, qu'il comprenne pourquoi il se trompe, où sont ses lacunes, qu'il découvre comment y remédier. Apprendre à travailler au plan universitaire, ce peut être un apprentissage progressif accessible à tous. Respecter l'étudiant, c'est surtout faire preuve de réalisme, prendre ce qu'on appelle les perversions du système pour des symptômes, essayer de comprendre plutôt que condamner. On retrouve là des principes pédagogiques anciens, ceux de Coménius ou, plus près de nous ceux de Cousinet, ceux de l'Ecole Nouvelle, ceux d’une Université Nouvelle à venir car une morale provisoire ne peut servir qu’un temps. Cela supposera que l'on change le système, que l'on envisage des réformes : prendre pour base le respect de l'étudiant me parait un bon point de départ.

 

 

 

 

 

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