HORIZONS DÉBATS

Réflexions d'un chrétien sur la maladie du pape

Article paru dans l'édition du 04.03.05
OUR le spectateur ordinaire, ce qui se passe au Vatican évoque les problèmes que pose la maladie d'un chef d'Etat, avec ses luttes intestines, ses dissimulations, le blocage dans le système de décision. Pour un chrétien, il semblerait qu'une autre image soit suggérée, sinon voulue par le pape lui-même : celle du serviteur souffrant, annoncé par Isaïe.

Jean Paul II s'est présenté à Lourdes « malade parmi les malades » et a fait remarquer récemment dans un message aux malades que la santé n'est pas seulement un bien-être physique ou spirituel, mais aussi une harmonie avec Dieu, à laquelle on ne parvient qu' « à travers le mystère de la Passion, de la mort et de la résurrection du Christ ». Comme nous nous rapprochons du temps liturgique de la Passion, l'identification du pape avec le Christ souffrant est tentante.

Il s'agit bien d'une tentation, car ce que nous dit la tradition est que Pierre est le roc, et le jeu sur ce nom remonte aux origines, sinon aux paroles de Jésus : il s'agit du roc sur lequel on construit solidement une organisation. Le rôle du successeur de Pierre, quelle que soit l'interprétation qu'en donnent les différentes Eglises, est fonctionnel : il a une autorité didactique et disciplinaire, qu'il partage avec d'autres (le « tout ce que vous lierez sur la terre se trouvera lié dans le ciel » est collectif et non lié à la personne de Pierre).

La hiérarchie qui succède aux Apôtres (les évêques) et à Pierre (le pape) a une mission sur terre, celle de conduire le peuple de Dieu, comme l'a rappelé le dernier concile, indiquant ainsi que l'Eglise est une communauté dans laquelle on est aidé à vivre sa foi, ce qui suppose une organisation. De ce fait, le rôle de la hiérarchie en général et du pape en particulier est fonctionnel, et, pour accomplir sa mission, il doit être en état de le faire.

Dans toutes les organisations humaines, il y a un âge de la retraite. Les personnes à la retraite peuvent être encore socialement utile, mais, si on accède aux postes de responsabilités avec l'âge, la retraite vient empêcher que les décisions soient prises par des gens incapables d'assumer leur rôle.

L'Eglise fixe une limite d'âge de 75 ans pour les évêques. On peut s'étonner que le pape ne respecte pas la règle qui s'impose aux autres. Certes, l'exception est prévue par le droit canonique, et le pape ne fait là que suivre la pratique des hommes politiques, qui ne sont pas concernés non plus par la limite d'âge. Les chefs d'Etat, par exemple en France, ne sont pas critiqués pour leur âge (sauf par ceux qui voudraient bien prendre leur place), mais leur état de santé est surveillé. L'opinion a mal supporté la maladie de Georges Pompidou et c'est la maladie cachée de François Mitterrand qui a été une affaire d'Etat, non son âge.

Mais toute atteinte de l'âge est niée, car le devoir d'Etat d'un chef d'Etat est d'être en état de tenir son rôle, et donc d'être opérationnel. Ce n'est plus le cas du pape, ce qui laisserait supposer que soit c'est son entourage qui décide, soit le travail pontifical se réduit à peu de choses, ce qui est peu probable.

Quant au témoignage d'union à la Passion, à la mort et à la résurrection du Christ que donnerait le pape, c'est sa manière de reprendre à son compte le langage traditionnel de l'Eglise, fait d'abandon au Père et de refus de la peur . Le pape, comme chaque chrétien, doit vivre porté par l'espérance du royaume à venir et en témoigner, mais il doit d'abord accomplir son devoir d'Etat de dirigeant. S'il ne le fait pas, il outrepasse son rôle et peut donner raison à ceux qui lui reprochent de refuser de reconnaître la situation pour des raisons trop humaines, comme on en fait reproche aux chefs d'Etat qui s'accrochent au pouvoir. Si témoignage il doit y avoir de la manière de diriger une institution selon l'Evangile, c'est celle de l'oubli de soi, de l'effacement au profit de la mission : il y a une manière évangélique d'être un homme de pouvoir, en acceptant, au temps voulu, de le perdre.

par Philippe Cibois